Seniors : Qui doit se réveiller ? (Benoît Serre, vice-président ANDRH)
Le ministre de l’Économie vient de faire une déclaration visant à aligner les durées d’indemnisation chômage des plus de 55 ans sur le régime général. Les réactions sont nombreuses. Hostiles pour certaines, neutres pour d’autres, surprises pour les derniers. On en compte peu de favorables et pourtant cette incitation à « se secouer les puces » (selon son expression) s’est faite en écho au discours du président de la République appelant un « réveillez-vous » !
Il est intéressant de constater ces réactions car elles touchent une difficulté réelle dans laquelle la France demeure le mauvais élève de l’Europe malgré une amélioration objective depuis quelques années : l’emploi des seniors. Ce sujet a pourtant été assez négligé pendant des années et n’est finalement apparu réellement sur la scène des débats sociaux qu’à l’occasion des deux dernières réformes des retraites dont une fut avortée pour cause de Covid.
Une analyse de Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH
Association nationale des directeurs des ressources humaines
, pour News Tank.
Le président de la République, déjà en 2018
Et pourtant dès 2018, le président de la République avait lui-même confirmé qu’allonger la durée de vie au travail, sans traiter sérieusement l’emploi des seniors, était un marché de dupe. Malgré ces intentions louables, dans le fameux plan de relance, pas un mot sur cette question pourtant fondamentale et il aura fallu attendre six mois après la dernière réforme pour qu’enfin dans son document d’orientation de la prochaine grande négociation sociale le Gouvernement invite les partenaires sociaux à se saisir du sujet. La déclaration
« Qu’est-ce qui justifie que l’on ait encore des durées d’indemnisation différentes suivant que l’on a plus de 55 ans ou moins de 55 ans ? Dans le premier cas, la durée d’indemnisation est de 27…
de Bruno Le Maire
Professeur invité @ E4S (Enterprise for society - Université de Lausanne, IMD business school, EPFL)
semble donc assez décalée puisqu’elle intervient au lendemain de ce document de négociation proposé par le ministre du Travail et qui ne fait d’ailleurs pas référence à ce point.
Certes, cette problématique est ancienne et par certains côtés directement issue des politiques publiques des 30 dernières années, qui tour à tour ont promu les préretraites, la contribution Delalande, le CPE (malgré son retrait) et d’autres mesures qui visaient à protéger l’emploi dans une période si longue de chômage de masse.
Plan senior après le précédent heureux du plan « 1 jeune 1 solution » ?
Nous étions confrontés à une atomisation du marché du travail dont les deux extrêmes - les jeunes et les seniors - étaient les premières victimes. L’une comme l’autre n’était évidemment pas acceptable et le choix fut fait, avec de légitimes raisons, de faire porter les efforts sur les plus jeunes avec le dernier avatar des engagements de l’État réunis dans le plan « 1 jeune 1 solution ». Ce plan a fonctionné et c’est heureux. Son efficacité vient des efforts cumulés des Pouvoirs Publics et des entreprises notamment via l’alternance et l’apprentissage.
Il devrait donc servir d’exemple pour engager résolument un plan en faveur de l’emploi des séniors qui pourraient alors donner une éventuelle légitimité aux déclarations du ministre de l’Économie qui ne peuvent être crédibles que dans une ambition plus large visant à véritablement résoudre le problème endémique de l’emploi des séniors dans notre pays. Si les entreprises ont commencé à faire leur part d’effort comme le prouvent les chiffres qui établissent qu’elles ont aujourd’hui une meilleure capacité à conserver leurs seniors, il demeure que la capacité à les embaucher demeure faible. Perdre son emploi à 57 ou 58 ans - notamment pour les femmes - signifie trop souvent s’installer durablement dans le chômage d’où l’intérêt social évident de ce droit plus long à indemnisation. Ce ne peut pourtant être la seule réponse d’autant plus que la période est favorable à l’emploi.
Il est donc encore plus surprenant de ne pas voir le Gouvernement se saisir de cela pour véritablement engager un plan « 1 senior 1 solution » en s’inspirant du modèle réussi au profit des jeunes. Cet appel a été lancé par beaucoup et notamment par l’ANDRH.
Des pistes pour la négociation sociale qui s’ouvre ?
CPF majoré
La négociation sociale qui s’ouvre embarque ce sujet et c’est une bonne chose que les partenaires sociaux s’impliquent pour réaliser une promesse devenue obligation après la réforme des retraites. Il existe d’autres solutions à explorer comme augmenter le CPF Compte Personnel de Formation à partir de 45 ans pour avoir les moyens de se former à sa seconde partie de carrière avant que ce ne soit trop tard.
Congés de fin de carrière plus accessibles
Les congés de fin de carrière sont efficaces et protecteurs pour les personnes concernées sur une base volontaire. Ils sont très coûteux et donc inévitablement réservés aux grandes entreprises. Pourquoi, ne pas permettre par un système de co-financement solidaire et des avantages fiscaux de l’ouvrir plus largement aux PME et TPE Très petite entreprise .
CDI Senior
Le Sénat, lors du débat sur les retraites, avait proposé un CDI Senior rejeté pour des raisons purement légales par le Conseil Constitutionnel. Pourquoi ne pas reprendre ce projet qui permettrait de répondre à deux enjeux majeurs de l’emploi des seniors : la volonté des individus de conserver un emploi jusqu’à leur taux plein et la crainte des entreprises de ne pas savoir les gérer dans le temps. On pourrait en effet imaginer que ce CDI pourrait prendre fin, de plein droit, avec un régime indemnitaire à déterminer et à la volonté des parties au moment du taux plein avec la possibilité de poursuivre si employeur et individu en conviennent.
Bilan de santé renforcé
De même, ce Gouvernement a légitimement prévu un bilan santé renforcé à différents âges au titre de la prévention. Le même raisonnement pourrait être tenu pour un bilan compétences et métiers à ce même titre. Les pistes de réflexion mais surtout d’actions sont nombreuses et si les entreprises ont su prendre leur part dans le chômage des jeunes, pourquoi n’y serait-elle pas disposée pour les seniors surtout en tenant compte des actuelles difficultés de recrutement. Certaines d’entre elles montrent déjà la voie en prenant des engagements forts. Les partenaires sociaux vont engager des négociations sur ce sujet dans les prochains jours. Chacun est en droit d’attendre que l’État lui-même se réveille aussi et avec plus d’ambition que l’alignement des indemnisations chômage qui ne résoudra pas grand-chose mais surtout ne contribuera en rien à lutter contre une discrimination à l’embauche qui est pourtant la principale comme le montre une étude du Medef de septembre 2022.
À l’instar des déclarations présidentielles, il faut se réveiller pour les seniors et cela vaut pour tout le monde !
Benoît Serre
Partner & director HR - People strategy @ Boston Consulting Group (BCG)
Vice-président puis vice-président national délégué @ Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
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Fiche n° 25040, créée le 29/08/2017 à 12:43 - MàJ le 14/11/2024 à 15:43