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Uber : « Les nouvelles générations cherchent des formes de travail différentes » (C. Bouchez, Actance)

News Tank RH - Paris - Interview n°177089 - Publié le 09/03/2020 à 18:32
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Chloé Bouchez - ©  Wim Lippens Photography

« La Cour de cassation aurait pu interpréter différemment la relation qui unit la société Uber à ses chauffeurs », déclare Chloé Bouchez Avocate Associée @ Actance • Avocat - Counsel @ Actance • Avocate en droit social - collaborateur libéral @ Actance
, avocate associée au sein du cabinet Actance • Activité dédiée au droit social au travers de prestations de conseils aux entreprises et d’assistance en matière judiciaire • Création : 2005 • Expérience dans le traitement et la gestion des… , dans un entretien avec News Tank le 09/03/2020. « Nous sommes sur une décision qui pourrait contraindre le législateur à venir encadrer ce statut ».

La Cour de cassation, dans un arrêt du 04/03/2020, a requalifié un chauffeur Uber de salarié, estimant que le travailleur indépendant était sous un lien de subordination avec la société.


Chloé Bouchez répond aux questions de News Tank

L’arrêt de la Cour de cassation est-il conforme aux prévisions ?

La Cour de cassation aurait pu interpréter différemment la relation qui unit la société Uber à ses chauffeurs. Il y a d’ailleurs eu des décisions des juges du fond qui n’ont pas retenu la relation de travail entre Uber ou d’autres plateformes et les chauffeurs. Le principe d’un lien de subordination entre plateforme et utilisateur avait néanmoins d’ores et déjà été annoncé dans l’arrêt Take Eat Easy de 2018.

La Cour de cassation veut faire de cette décision un arrêt de principe »

L’arrêt a été rendu PBRI, avec une communication en français et en espagnol, ce qui démontre le souhait de la Cour de cassation de communiquer largement autour de cette décision et d’en faire un arrêt de principe. Cela peut être mis en perspective avec les propos du doyen de la chambre sociale en 2018, qui appelait le législateur à encadrer le statut de ces travailleurs de plateforme. Nous sommes sur une décision qui pourrait contraindre le législateur à encadrer ce statut.

Les chauffeurs, pour la plupart, souhaitent conserver leur statut d’indépendant »

Selon Uber, les chauffeurs, pour la plupart, souhaitent conserver leur statut d’indépendant, lequel ne serait pas compatible avec les modalités d’exécution d’un contrat de travail à durée indéterminée. Cette décision peut interroger sur un certain nombre de points quant aux indices retenus par la chambre sociale pour qualifier le lien de subordination.

Par exemple, sur la notion d’intégration dans un service organisé : le lien de subordination est ici reconnu, notamment parce que les chauffeurs sont intégrés dans un service de transports créé et organisé par Uber. La chambre sociale donne une autre interprétation à la notion d’intégration dans un service organisé et s’éloigne de la notion retenue auparavant.

Quelles sont les conséquences juridiques de cette décision pour la société Uber ?

Il ne va pas y avoir une requalification automatique de l’ensemble des contrats conclus avec les chauffeurs »

Il n’y aura pas une requalification automatique de l’ensemble des contrats conclus avec les chauffeurs. Chaque chauffeur doit agir devant la justice pour voir reconnaître un contrat de travail. Cela suppose une volonté des chauffeurs de s’inscrire dans cette démarche, ce qui n’est pas forcément le cas.

Par ailleurs, si un contrat de travail est reconnu, celui-ci devra pour être valable s’éloigner fortement du mode d’organisation actuellement existant pour un chauffeur Uber. Les chauffeurs seront contraints d’avoir une durée de travail, des horaires, etc. Ils auront des droits mais également des devoirs. Ce n’est pas nécessairement le souhait de ces travailleurs, qui revendiquent une grande liberté d’organisation dans la prestation qu’ils réalisent.

La société Uber devrait-elle adapter les conditions d’exercice de l’activité des chauffeurs ?

Uber ne peut pas modifier son activité essentielle, c’est-à-dire être une plateforme d’intermédiation »

La société Uber pourrait adapter les conditions d’utilisation de sa plateforme afin d’éviter une vague de requalification, en analysant notamment les indices retenus par la chambre sociale pour reconnaître le lien de subordination. Mais Uber ne peut pas modifier son activité essentielle, c’est-à-dire être une plateforme d’intermédiation.

Parmi les critères retenus par la chambre sociale, il y a l’impossibilité, pour les chauffeurs, de choisir librement les tarifs. Uber soutenait, à ce sujet, que c’est un algorithme qui fixe les tarifs, et de ce fait cela ne pouvait être considéré comme un élément constitutif du pouvoir de direction puisqu’à partir du moment où le chauffeur adhère à cette plateforme, il sait par avance qu’un algorithme calcule la rémunération de sa prestation.

Ce n’est néanmoins pas l’analyse retenue par la chambre sociale. il sera intéressant d’observer si la société Uber pourra ou non modifier cet algorithme pour laisser plus de liberté aux chauffeurs.

Un autre critère est l’impossibilité, pour les chauffeurs, de se constituer une clientèle propre. La société Uber pourrait peut-être préciser dans ses contrats que les chauffeurs ont la pleine capacité de pouvoir développer leur clientèle propre.

Enfin, parmi les indices retenus par la chambre sociale figurent les sanctions que peut imposer la société Uber à ses chauffeurs, notamment sa capacité à pouvoir déconnecter ou suspendre temporairement les comptes. La société Uber pourrait peut-être encadrer différemment cette fonctionnalité.

La société Uber peut faire le choix de gérer au fil de l’eau les éventuels contentieux, en espérant qu’il n’y aura pas de vague de requalification puisque les travailleurs ne souhaitent pas tous entrer dans le statut de salariat. C’est une analyse de gestion de risque.

Pensez-vous que cette jurisprudence est spécifique à la société Uber ?

Il n’est pas juste de dire que toutes les plateformes sont en danger »

Les juges du fond ont l’obligation de s’attacher aux faits de l’espèce et d’analyser in concreto les conditions d’existence d’un contrat de travail. À ce titre, il n’est pas juste de dire que toutes les plateformes sont en danger, puisque chaque plateforme a des conditions spécifiques. Néanmoins, d’autres plateformes ont déjà vécu des requalifications, telles que Deliveroo et Take Eat Easy. Il existe donc un risque de requalification pour les plateformes d’intermédiation.

Un recours européen serait-il intéressant pour la société Uber ?

Je ne suis pas persuadée qu’Uber ait intérêt à recourir aux juridictions européennes au regard de la notion de travailleur retenue au niveau européen. Qui plus est, la Cour de cassation vise dans sa note explicative les textes et la jurisprudence européens pour juger la requalification.

Comment peut-on expliquer le succès de ces plateformes, malgré les conditions de travail difficiles ?

Les nouvelles générations recherchent des formes de travail différentes »

Plusieurs pistes de réflexions peuvent être envisagées pour expliquer le succès de ces plateformes. Par exemple, cela pourrait être expliqué par le fait que les nouvelles générations recherchent des formes de travail différentes que celle offerte par le contrat de travail classique. Les plateformes répondent à cette demande.

Néanmoins, ce n’est pas qu’une question générationnelle, il existe sûrement d’autres explications sociologiques. Certaines personnes utilisent les plateformes comme complément de revenus, ce qui pourrait témoigner d’une forme de précarisation de l’emploi.

Une évolution pourrait utilement intervenir au niveau du législateur pour encadrer ces nouvelles modalités de collaboration. L’évolution de la société doit s’accompagner d’une évolution des modalités d’exercice du travail.

Comment notre régime juridique peut-il être adapté à ces plateformes ?

Un nouveau statut pourrait être créé pour répondre à ces nouveaux modes d’organisation du travail.  Les travailleurs indépendants ont une grande indépendance et une libre organisation de leur travail.

Aucun contrat de travail ne permet d’organiser librement ses journées de travail »

Ce critère n’a d’ailleurs pas été pris en compte par la Cour de cassation. Les chauffeurs peuvent organiser librement leur journée. Ils peuvent travailler un mois, puis s’arrêter et reprendre quelques heures, ce qui ne correspond pas au cadre actuel du contrat de travail.

Les modalités de fonctionnement pour les travailleurs de plateformes ne sont pas adaptées au cadre juridique du contrat de travail.

Chloé Bouchez


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Fiche n° 28152, créée le 17/01/2018 à 16:16 - MàJ le 04/10/2019 à 16:25

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Fiche n° 5740, créée le 07/09/2017 à 05:37 - MàJ le 24/10/2019 à 15:06

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