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Télétravail : « Repenser le travail » (Benoît Serre)

News Tank RH - Paris - Tribune n°403876 - Publié le
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L’actualité sociale nous rappelle que le télétravail, installé brutalement en raison de la crise sanitaire dans notre pays qui n’en a jamais été très friand, demeure dans un état d’instabilité grandissant. Ce n’est pas surprenant puisque cette nouvelle forme est venue se poser en surplus de nos organisations classiques alors qu’elle vient les déséquilibrer et les bouleverser. À lire les réactions des uns et des autres sur sa remise en cause voire parfois son interdiction, on mesure combien son organisation n’a pas été intégrée comme un acte managérial ou de production mais comme une variante de journée normale de travail. Le simple fait de le concevoir très majoritairement à la semaine, c’est-à-dire sans modifier le rythme de production et de travail signait dès l’origine son échec sous cette forme.

D’une certaine manière, le télétravail s’est imposé par la crise sanitaire de manière quasi uniforme et osons la comparaison avec l’instauration des 35 heures qui furent aussi installées de manière irréfléchie et dans une certaine brutalité. On en paye encore aujourd’hui les conséquences. Nous entrons dans une période de prématurité et, après cinq ans de pratique, on voit les défauts comme les qualités du télétravail. Pour autant, la tension est forte entre salariés, syndicats et direction car si personne ne conteste vraiment que pour celles et ceux qui en bénéficient le télétravail présente des avantages certains sur un plan individuel, son impact sur le fonctionnement collectif a été mal anticipé et, comme un phénomène exponentiel, s’amplifie faute d’être repensé. Cette absence de recul dont nul n’est responsable conduit à une approche binaire de son évolution : en avoir ou pas.

Une tribune de Benoît Serre Partner & director HR - People strategy @ Boston Consulting Group (BCG)
pour News Tank.


C’est une illusion de penser que la question de l’instauration durable ou non du télétravail se résoudra par sa promotion, sa réduction ou sa suppression. Pour nombre de personnes, il est considéré comme une sorte de « droit acquis individuel » et il sera sans doute très difficile de ne pas l’intégrer comme une donnée permanente du travail. Il est la forme la plus perceptible de réponse à des aspirations ancrées comme une plus liberté d’organisation, une autonomie plus forte et un atout pour l’équilibre vie privée/vie professionnelle. Il est aussi perçu comme un aspect positif de transformations technologiques extraordinaires que nous connaissons et qui parfois font peur car elles disruptent le travail et son organisation.

Repenser le télétravail profondément non pas pour le faire disparaître mais au contraire le faire perdurer dans un nouvel équilibre »

Pour autant, il faut impérativement repenser le télétravail profondément non pas pour le faire disparaître mais au contraire le faire perdurer dans un nouvel équilibre entre aspirations individuelles et exigences collectives. Rien ne serait pire que d’en faire un simple élément d’attractivité d’employeur car alors les individus le verraient de plus en plus comme un moyen de résister à un modèle d’organisation et de management qui ne leur convient pas.

Le télétravail ne peut pas devenir un enjeu d’opposition car son défi majeur est de devenir un moyen nouveau et différent de coopération. Le débat est posé et, si nous ne trouvons pas le bon équilibre, il sera promu en période de tension sur les recrutements et dénigré en période de dégradation de l’emploi. On en ferait alors un élément d’ajustement alors qu’il faut l’intégrer comme un fait ni plus ni moins important que d’autres dans le travail.

L’approche générale par la détermination d’un nombre de jours par semaine est dépassée et inadaptée »

L’approche générale par la détermination d’un nombre de jours par semaine est dépassée et inadaptée. Elle a conduit depuis cinq ans à des expérimentations intéressantes mais inadaptées dans le temps comme la semaine de quatre jours, parfois pertinente et très souvent incohérente ou encore le télétravail plein-temps ou presque sur lequel quasiment tout le monde est revenu tant cela détruit le collectif et surtout le lien social dont l’entreprise est un acteur fondamental.

Repenser le télétravail passe sans doute par un traitement beaucoup moins rigide et normé que son approche hebdomadaire. Les métiers qu’il concerne majoritairement sont instables dans leur déroulement quotidien par définition sinon ils ne pourraient partiellement s’exercer à distance. La preuve en est que « les cols-bleus » sont les grands oubliés de ce mouvement aujourd’hui minoritaire dans le monde du travail (25 %) et dans le monde des employés (70 % sont cadres ou managers).

Une structuration au semestre ou à l’année semble peut-être le moyen le plus pertinent pour rétablir la cohérence »

C’est pourquoi une structuration au semestre ou à l’année semble peut-être le moyen le plus pertinent pour rétablir la cohérence entre deux aspirations légitimes : l’individuel et le collectif. Accorder un certain nombre de jours dans l’année, un peu sur le modèle des RTT en laissant leur libre administration à l’individu sous réserve des obligations de service pourrait être ce moyen d’équité, d’équilibre et de durabilité d’un modèle de travail sur lequel on ne pourra revenir sans conflit et sans tension.

Cette vision plus structurelle permettra en plus d’étendre le champ de ses bénéficiaires tout en laissant à l’entreprise la possibilité de le réguler au regard de ses contraintes économiques. Les individus ne veulent pas d’un modèle qui peut apparaître comme une injonction hebdomadaire au télétravail, ils veulent pouvoir adapter leur organisation de travail à des contraintes inégales, inattendues et imprévisibles. Les entreprises ne veulent pas subir des organisations qui font fi de leurs contraintes de production et de leur modèle de management. En ouvrant la possibilité de jours de télétravail dans l’année aux uns et celle de pouvoir accueillir leurs équipes chaque jour quand c’est indispensable pour les autres, voilà peut-être le point d’équilibre à trouver. Cette proposition permettrait aussi de poser la question centrale : la place du travail dans la vie et inversement !

Benoît Serre


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Boston Consulting Group (BCG)
Partner & director HR - People strategy
Excelia Group
Président du Comité Stratégique
Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
Vice-président puis vice-président national délégué
L’Oréal
DRH France
Boston Consulting Group (BCG)
Partner / Associate Director
Macif
Directeur général adjoint - Directeur des Ressources Humaines et de la Communication
Macif
Directeur des Ressources Humaines Groupe
Leroy Merlin Groupe ADEO
DRH en Russie
Leroy Merlin
Directeur Université d’entreprise
Groupe IGS HR Consultancy and Training
CEO
Maison des Collectivités locales (Ernst&Young Group)
Director

Fiche n° 25040, créée le 29/08/2017 à 12:43 - MàJ le 24/06/2025 à 10:31