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Télétravail : « Après la raison d’être, les raisons de venir au travail… » (Benoît Serre, ANDRH)

News Tank RH - Paris - Analyse n°342320 - Publié le 25/10/2024 à 08:30
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Les décisions d’Amazon ou d’Ubisoft viennent de remettre sur le devant de la scène un sujet qu’on avait, si ce n’est oublié, tout au moins un peu négligé : l’impact de la généralisation du télétravail issu de la crise Covid sur les organisations. Les pros et les antis sont alors réapparus, comme si ce changement fondamental n’aurait pu se passer d’un débat ou se résumer à : plébiscité par les salariés, sa mise en œuvre relève quasiment de l’acquis social.

Certes, les conditions françaises et américaines ne sont en rien comparables. Dans un cas, le télétravail est finalement assez nouveau dans notre univers de travail marqué par le présentiel. Dans l’autre cas, certaines organisations, dont celles qui font l’actualité, avaient été très loin en autorisant, par exemple, le quasi plein télétravail. Néanmoins, cette réactualisation est de bon augure, car nous allons enfin pouvoir regarder cela avec la mesure nécessaire et la réflexion indispensable à une pratique qui bouleverse profondément notre relation au travail, à son temps comme à son management.

Une analyse de Benoît Serre Partner & director HR - People strategy @ Boston Consulting Group (BCG) • Vice-président puis vice-président national délégué @ Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
pour News Tank.


Faire collectif : un enjeu managérial dont le télétravail n’est qu’un révélateur

L’impact du lieu de vie

De prime abord, beaucoup semblent s’y retrouver, mais ce n’est pas aussi manichéen, puisque très influencé par les lieux de vie, urbains ou non, par la nature du métier exercé et par les conditions individuelles de logement notamment. Il faut par exemple se souvenir qu’en 2021, lorsque le gouvernement avait demandé que le télétravail soit à nouveau massivement mis en œuvre, nous avions constaté que les zones de forte densité urbaine avaient vu le nombre de télétravailleurs s’envoler, lorsque les zones plus rurales ou moins denses n’avaient constaté quasiment aucun changement. Par ailleurs, la motivation pour le télétravail, que l’on résume parfois à un meilleur équilibre de vie ou encore à un sentiment plus grand d’autonomie, a aussi des motifs beaucoup plus pragmatiques, comme le temps de transport.

« Faire entreprise »

Le débat qui s’ouvre aujourd’hui est nettement plus fondamental, puisqu’il porte essentiellement sur la productivité, l’inventivité, la collaboration, le management du travail et le fait de « faire entreprise ». C’est là tout l’enjeu, et c’est parce que l’on aura su répondre à ces légitimes interrogations des chefs d’entreprise que nous pourrons considérer que l’évolution des organisations de travail - dont le télétravail n’est qu’une partie - est enfin au cœur des préoccupations. Il y a au moins une certitude : notre modèle classique d’organisation a vécu, mais son instauration est si ancienne qu’il semble difficile d’imaginer qu’il évoluerait en quelques mois, alors que ce modèle est majoritairement installé depuis plus d’un siècle.

L’enjeu de l’équité

Un autre élément plaide en faveur d’une réflexion dépassionnée : l’équité de traitement des collaborateurs, car ne perdons jamais de vue qu’à date, en France, cela ne concerne que 30 % d’entre eux au mieux. Peut-on imaginer que les évolutions du travail, la prise en compte nouvelle des équilibres de vie omettraient 70 % des individus ? Certes non, mais ce n’est pas pour autant une raison pour faire porter au télétravail tous les maux de dysfonctionnement managérial et de productivité des organisations.

Transformation systémique du travail

Enfin, nous sommes confrontés à une transformation systémique du travail et même de l’emploi en général, mais aussi des compétences, des principes managériaux et des modèles d’activité. En quelques années, nous avons constaté : une transformation des métiers, l’émergence de l’IA Intelligence artificielle générative, la démocratisation des modèles distanciels, la responsabilité accrue des entreprises dans le bien-être de leurs salariés, le choc démographique et l’approche par compétences, plus que par fonction.

C’est donc tout le système qui est interrogé, non pas pour le critiquer, mais pour le transformer. C’est un enjeu complexe, auquel s’ajoute un regard sur le travail trop souvent résumé sous la formule de la recherche de sens, mais en réalité bien plus profond que cela.

Certes, les collaborateurs qui bénéficient aujourd’hui du télétravail y sont attachés et ressentent la légitime volonté des organisations de l’organiser et de l’encadrer comme un recul ou, tout au moins, comme l’instauration de contraintes inexistantes auparavant.

On note plusieurs manières de faire qui vont de l’interdiction de certains jours comme le vendredi, à la validation préalable ou encore l’impossibilité de coller les jours de télétravail aux congés. Les entreprises organisent le travail hybride, ce qui est une manière d’en prendre acte, mais aussi une voie pour le faire perdurer. Les questions de productivité collective ou d’innovation sont réelles.

Être vu de son employeur

De même, il semble étonnant qu’au moment où les « soft skills » prennent une place grandissante dans le recrutement ou l’évaluation, certains pensent que le fait de ne pas être vu de son employeur ou de ne pas être physiquement présent pour interagir et « se montrer au-delà de son activité » n’aurait pas d’importance. Une étude américaine montre même que les télétravailleurs réguliers et massifs sont moins promus et moins augmentés que les autres. C’est finalement assez logique.

Donner des raisons de venir sur son lieu de travail

Pour autant, la réticence des salariés en télétravail à revenir au bureau doit interroger, et on ne peut se contenter de déduire de cette appétence au télétravail la simple envie d’être chez soi et, pour certains finalement, de ne pas être véritablement engagés pour l’entreprise. Non seulement cette approche serait réductrice, mais surtout elle ne correspond pas à la réalité constatée de stabilité de la productivité individuelle. Il y a fort à craindre que le mal soit plus profond.

Finalement, ce qu’on pense être l’attractivité du télétravail n’est-il pas en fait la réticence à venir sans raison objective de le faire, au vu de l’organisation du travail dans l’entreprise ? Le développement des technologies hybrides a créé un accord tacite pour se voir à distance et, lorsqu’un collaborateur constate que sa journée est majoritairement emplie de ce type de rencontre, il doute de l’intérêt à venir à son bureau. Là est la difficulté où le seul fait de rejoindre son lieu de travail, ses collègues, de vivre de l’intérieur la culture de son entreprise ne semblent pas être des raisons suffisantes.

Avant la crise sanitaire, au moins en France, on ne se posait pas la question, puisque cette alternative était quasiment inexistante. D’une certaine manière, se rendre à son bureau était une obligation quasi contractuelle (le contrat de travail porte d’ailleurs le lieu comme élément constitutif), alors qu’aujourd’hui, il faut avoir de bonnes raisons pour y venir, le problème venant que ces raisons sont auto-évaluées par le collaborateur.

C’est à cela que certaines entreprises veulent mettre fin… autodécider si on vient ou pas. Elles le font, non pas en supprimant le télétravail, mais en l’organisant, en en faisant un élément de la fameuse subordination prévue dans le contrat de travail.

Cela va fonctionner, mais la vraie question n’est pas là. Après avoir travaillé et promu la raison d’être, il faut se pencher sur la raison de venir. C’est un enjeu autrement plus complexe, qui ne se résoudra pas avec des brunchs le vendredi, pas plus que le « fun » ne s’est résolu avec des tables de ping-pong !

Donner des raisons de venir à chaque salarié, c’est démontrer, par son organisation et son management, qu’on travaille mieux quand on se voit sans que, pour autant, cette présence ne soit synonyme de surcontrôle ou de contrainte excessive à sa propre liberté d’organisation. L’enjeu ne porte pas sur « être présent » mais sur « être là », ce qui est très différent. À l’évidence, le fait de « devoir venir » doit être remplacé par le « vouloir venir ». Et pour obtenir cette volonté, il faut prouver à son collaborateur que sa présence est requise par ce qu’il fait, d’une part, mais aussi par ce qu’il est, d’autre part. En effet, choisir de rester chez soi est motivé par la certitude qu’on fera aussi bien ce qu’on a à faire à distance selon une formule productiviste. À l’inverse, engager un individu à venir au bureau, car sa présence est importante pour les autres au-delà de ce qu’il va produire, et mieux le convaincre qu’il produira mieux avec les autres constitue un premier élément de réponse.

Si l’exigence de retour sur site donne le sentiment qu’il s’agit surtout de surveiller ce qu’il ou elle fait, on nourrit encore plus la volonté d’être ailleurs.

Confiance ou défiance ?

La confiance est la première motivation de la présence et, pourtant, les mesures prises actuellement pour réduire ou encadrer le télétravail sont souvent mues par la défiance, traduite à tort en sous-productivité ou en soupçon de non-activité. La collaboration est la seconde des motivations du retour et, en cela, l’organisation du travail doit veiller à assurer à chacun une place dans une chaîne de valeur, en traquant les métiers solitaires faute d’être managé. L’appartenance à une communauté de projets communs où chacun joue un rôle identifié et reconnu est la troisième motivation à la présence, car être absent pourrait signifier ne plus y appartenir ou avoir le sentiment de ne pas y être pleinement.

Pour faire vivre ces trois principes, la question est beaucoup plus managériale qu’organisationnelle. C’est pourquoi ce sujet est si difficile à résoudre autrement qu’avec les méthodes d’avant, plus fondées sur la contrainte que sur les bonnes raisons de venir.

Benoît Serre


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Fiche n° 25040, créée le 29/08/2017 à 12:43 - MàJ le 14/11/2024 à 15:43