L’emploi n’est pas le travail (Benoît Serre, ANDRH)
Le débat public s’installe depuis quelques jours autour des éléments qui pourraient, demain, nous aider à enfin atteindre le plein emploi après lequel notre pays court depuis plus de 30 ans. La situation démographique nous y aidera sur un temps relativement long, mais elle ne suffira pas, si l’on en croit la distorsion déjà existante entre les emplois vacants et les demandeurs d’emploi.
Le Gouvernement promeut une politique de durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage comme un élément fondateur de cette atteinte au plein emploi, faisant ainsi sienne la théorie dite du « chômage volontaire », que peu d’éléments concrets ne démontrent pour autant. Certes, comme pour tout système, il y a des « profiteurs ». Mais de là à considérer que rendre le système moins profitable suffirait à nous en protéger, il y a loin.
Chacun a naturellement en tête l’équation budgétaire difficile dans laquelle nous nous trouvons, et il est assez probable que les annonces gouvernementales s’en inspirent. Pour autant, il est intéressant de constater que ces propositions ou ces réflexions, qui seront assez probablement soumises, au moins dans un premier temps, au dialogue social, peuvent apparaître comme voulant régler avec une vision du passé les difficultés de l’avenir.
Une analyse de Benoît Serre
Partner & director HR - People strategy @ Boston Consulting Group (BCG) • Vice-président puis vice-président national délégué @ Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
, vice-président délégué de l’ANDRH
• Association loi 1901 au service des professionnels des ressources humaines représentant les entreprises et organisations de tous secteurs d’activité et de toutes tailles, publiques et privées…
, pour News Tank.
Du marché de l’emploi vers celui du travail
Depuis la fin de la crise de la Covid, nous assistons en effet à un glissement du marché de l’emploi vers celui du travail, ce qui conduit nombre d’entreprises à raisonner de plus en plus par compétences plutôt que par poste. Cette approche n’est en rien théorique et elle est même fondamentale pour s’adapter à ce nouveau marché du travail dont les caractéristiques sont en pleine mutation. La difficile réconciliation mathématique entre offres et demandes d’emploi semble nous conduire sur un chemin absurde où plusieurs milliers d’individus cherchent un emploi face à des milliers d’entreprises qui ne parviennent pas à recruter.
Distorsion entre travail proposé et compétences disponibles
Au-delà des considérations minoritaires du chômage volontaire, nous devons nous interroger sur les raisons de cette distorsion et il semble difficile d’y répondre autrement que par la distorsion entre travail proposé et compétences disponibles.
Pour autant, nous sommes dans une phase où cet écart risque de grandir considérablement, éloignant chaque jour un peu plus des personnes de la potentialité de retrouver un emploi du fait même de l’obsolescence de leurs propres compétences. Ce n’est pas en durcissant les conditions d’accès à l’assurance chômage que cette difficulté se réduira durablement. Les enjeux de formation sont centraux, que ce soit pour adapter plus rapidement les enseignements initiaux ou ouvrir plus largement et à tous l’accès à la formation continue. Cela passe aussi par une plus forte coopération entre les mondes de l’apprentissage et de l’entreprise.
Besoin crucial de politiques de formation et reconversion adaptées
Par ailleurs, le déploiement exponentiel de l’IA Intelligence artificielle générative vient bousculer les entreprises dans leur organisation comme dans les compétences souhaitées. À force de ne pas trouver celles qu’elles recherchent, elles ne feront qu’accélérer le recours à des solutions alternatives dont l’IA n’est pas la moindre. C’est donc dans un cercle presque vicieux que nous risquons d’entrer si des politiques de formation, de reconversion et d’adaptation ne sont pas mises en œuvre au moins à la hauteur des mesures envisagées sur l’assurance chômage.
Il est enfin un troisième élément qui devrait fonder les politiques de retour au plein emploi. C’est la nouvelle définition de l’emploi. De nombreuses études récentes montrent que les individus se concentrent désormais sur la qualité, le sens, la durabilité, l’intérêt de leur travail et entendent profiter de l’embellie démographique pour poser des conditions nouvelles, non seulement dans leur exigence de travail, mais également dans l’intérêt qu’ils y portent. C’est sur le travail qu’il faut travailler et non sur le seul emploi, qui ne signifie pas la même chose.
Engagé dans son travail plutôt que dans son entreprise
Une enquête du cabinet Brighthouse de novembre 2023 montrait que l’engagement des salariés est bien plus fort dans leur travail que dans leur entreprise. Ce constat fait écho à la désaffection croissante pour les fonctions de management, qui donnent le sentiment de s’éloigner de la réalisation de son travail quand on est chargé de le diriger et, bien souvent, de le contrôler. Ces deux éléments nourrissent le fait que, désormais, on ne confond plus l’emploi et le travail. Ceci explique également, au moins en partie, le nouveau rapport au travail qui trouble tant des organisations habituées à gérer un rapport à l’emploi. Plus la démographie impactera le marché, plus la liberté de choix de son travail sera grande. Les entreprises qui sortiront gagnantes de ce nouveau paradigme seront celles qui auront intégré, dans leur organisation, les éléments de reconnaissance, d’autonomie, de confiance et de compétences comme constitutifs des postes qu’elles proposent, car ils sont le reflet du travail et non seulement de l’emploi.
C’est une différence fondamentale car elle implique que certaines offres ne trouveront pas preneurs de ce seul fait, et notamment dans des métiers pénuriques qui le deviendront donc de plus en plus, ouvrant ainsi un autre cercle « vicieux ».
Ne pas confondre l’emploi et le travail conduit à raisonner en termes de compétences dans les organisations comme dans les politiques de formation et de reconversion. Pour les personnes expérimentées - dont les seniors - c’est déjà le cas, même si nous sommes un pays dans lequel la valeur des études initiales demeure longue et parfois exagérément déterminante. À observer les transformations du travail qui se caractérisent par un nouveau rapport au temps, à la hiérarchie, aux équilibres de vie et aux perspectives de carrière, parfois plus horizontales car fondées sur l’intérêt du travail fourni et non sur la position ou le poste atteint, il semble évident que nous entrons dans une nouvelle ère qui viendra remettre en cause, non seulement les organisations, mais aussi leur management, leur flexibilité et leur capacité d’adaptation. C’est en facilitant ces transformations pour les entreprises que nous pourrons atteindre le « plein travail », car jusqu’à preuve du contraire, ce sont les entreprises qui proposent le travail et non les réglementations.
Benoît Serre
Partner & director HR - People strategy @ Boston Consulting Group (BCG)
Vice-président puis vice-président national délégué @ Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
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Fiche n° 25040, créée le 29/08/2017 à 12:43 - MàJ le 14/11/2024 à 15:43
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