Ligue du LOL : « Faire réaliser aux salariés qu’il n’existe pas d’immunité totale » (Actance)
« La mise en place d’une politique préventive au sein l’entreprise est le meilleur moyen pour prévenir ce type de comportement », déclare Éliane Chateauvieux
Co-fondatrice et associée @ Actance
, avocate associée chez Actance
• Activité dédiée au droit social au travers de prestations de conseils aux entreprises et d’assistance en matière judiciaire
• Création : 2005
• Expérience dans le traitement et la gestion des…
, dans un entretien à News Tank le 13/03/2019, après l’affaire de la « Ligue du LOL » et la mise à pied par Nocibé de son directeur marketing pour prise de positions à titre privé sur Twitter en février 2019.
« Tout l’enjeu est de faire prendre conscience aux salariés qu’il n’existe pas d’immunité totale concernant les actes commis ou les propos tenus en dehors du cadre de la fonction, mais que tout comportement abusif, et en particulier illicite, pourra faire peser un risque sur le contrat de travail. »
« Les affaires seront plus nombreuses à l’avenir d’où l’importance pour les employeurs d’être vigilants et d’anticiper ce type de difficultés par l’adaptation de leurs règles internes. La mise en place d’une charte informatique est l’outil à privilégier pour se prémunir de ce type de risque. Il y sera rappelé les règles d’utilisation des outils mis à la disposition des salariés. (…) Le règlement intérieur de l’entreprise est également un bon vecteur de communication pour rappeler les règles en ce domaine, compte tenu du lien avec la préservation de santé et de la sécurité au sein de l’entreprise. »
« La formation peut présenter un intérêt majeur, afin de sensibiliser les salariés aux risques liés aux réseaux sociaux, notamment en les aidant à identifier les conduites à risques. »
« Même si l’employeur avait à redire sur des propos tenus par l’un de ses salariés dans des réunions ou sur des réseaux en dehors de la relation de travail, nous avions peu de jurisprudence reconnaissant une faute du salarié car le respect de la vie privée primait. Mais, depuis 2018, la loi pénale sur le cyber-harcèlement sanctionne toutes les personnes qui participent à ce genre de méfaits et les victimes de ces agissements peuvent donc plus facilement agir. »
Éliane Chateauvieux, avocate associée chez Actance, répond à News Tank
Quelles sont les conséquences juridiques des prises de position des salariés à titre privé sur les réseaux sociaux, comme dans l’affaire de la Ligue du LOL ?
Les faits de la nature de ceux qui sont en cause dans cette affaire, même commis en dehors de l’entreprise ou à l’égard d’autres personnes que des salariés de l’entreprise, exposent les auteurs à des sanctions pénales. Car pour lutter contre le fléau que représente le cyber-harcèlement, la loi du 03/08/2018 renforce les sanctions. L’infraction est en effet constituée lorsque les propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée. Tous, que ce soit l’auteur principal ou les autres, sont passibles de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique. Donc l’arsenal pénal est là.
Quelles sont les actions des employeurs appelés à être confrontés à des prises de position des salariés à titre privé sur les réseaux sociaux ?
L’employeur, en présence de propos ou comportements de la nature de ceux révélés dans cette affaire, peut enclencher un licenciement disciplinaire pour faute grave, donc un licenciement qui prend effet sans préavis et sans indemnité si les faits ont visé des salariés ou partenaires de l’entreprise, ou si les faits ont été commis pendant le temps de travail, et/ou avec les moyens (notamment électroniques) de l’entreprise.
Dans l’affaire de la Ligue du LOL, les journalistes et les communicants n’auraient pas dirigé leurs propos contre leurs employeurs, mais à l’encontre de personnes extérieures à leur entreprise.
Comment sanctionner si les faits ne sont pas commis dans l’entreprise ?
Si les faits ne sont pas commis dans l’entreprise et qu’il est difficile de prouver que le salarié a utilisé ses matériels et moyens de travail, l’employeur n’est pas démuni. Une jurisprudence permet de licencier un salarié pour un motif spécifique : s’il a agi d’une manière qui a causé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise. C’est un motif de licenciement sui generi. Certains comportements en effet, même exercés en dehors du contrat de travail, affectent nécessairement le fonctionnement de l’entreprise au point de rendre impossible le maintien du lien contractuel. Dans cette hypothèse, la cause du licenciement est constituée par la situation objective de trouble créé au sein de l’entreprise, et non par un manquement du salarié à l’une de ses obligations contractuelles à l’égard de son employeur. Il s’agit d’un licenciement de droit commun, ouvrant droit à un préavis (en général dispensé) et au versement de l’indemnité de licenciement.
Comment prouver le trouble caractérisé à l’entreprise ?
La charge de la preuve repose sur l’employeur »La nature du trouble est appréciée de manière rigoureuse par les juges du fond, la charge de la preuve reposant sur l’employeur. Le trouble doit être suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail.
Les juges tiennent généralement compte également de la nature des fonctions ou de la position occupée par le salarié. Un salarié qui n’aurait pas d’influence à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise pourrait plus difficilement être licencié sur la base de prises de position ou de faits commis en dehors de l’exécution de son contrat de travail.
Les juges s’attachent ainsi à l’objet social de l’entreprise, au trouble causé au sein de l’entreprise, et au retentissement que le comportement incriminé a eu, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise.
Les retentissements juridiques de l’affaire de la ligue du LOL
Plusieurs employeurs des auteurs de ces agissements ont pris des mesures allant jusqu’au licenciement de leur salarié, indiquant par exemple que « les faits rendus publics, qui ont causé des dommages graves à plusieurs personnes, se situent à l’exact opposé des valeurs que le journal défend depuis sa fondation, créant un trouble grave et caractérisé pour Libération ».
Un autre employeur a fait valoir que sa décision de licenciement était due à l’impact négatif sur l’image du journal, les faits commis ayant entaché la « crédibilité journalistique » de leurs auteurs à l’égard du reste de la rédaction et ces comportements étant non professionnels dans l’exercice de leurs fonctions hiérarchiques.
Certains salariés, notamment ceux de l’hebdomadaire Les Inrocks, ont été licenciés pour faute grave. N’est-ce pas la porte ouverte à un contentieux prud’homal ?
Il existe un risque, en effet, de se retrouver avec des contentieux portant sur la question de la prescription des faits fautifs. Dans le licenciement disciplinaire, l’employeur a deux mois pour agir à partir du moment où il a eu la connaissance des faits fautifs. Dans le licenciement pour « trouble caractérisé au sein de l’entreprise », il ne s’agit pas d’une procédure disciplinaire et cette prescription de deux mois n’est pas applicable.
L’entreprise Nocibé a mis à pied son directeur marketing le 28/02/2019 car il a pris des positions à titre privé sur Twitter. Le groupe a indiqué qu’il ne cautionne aucunement ses propos en totale contradiction avec ses valeurs et ils n’engagent en rien Nocibé. Quelle est votre analyse ?
Si les dirigeants de Nocibé ont insisté sur leurs valeurs, c’est peut-être qu’ils envisagent de s’orienter vers un licenciement au titre d’un trouble caractérisé au sein de l’entreprise. En pareille situation, l’employeur effectue généralement une enquête interne pour identifier les circonstances et rassembler les éléments permettant de démontrer le trouble au sein de l’entreprise.
Une mise à pied à titre conservatoire, le temps d’effectuer l’enquête interne »Souvent dans ce type d’affaire, et quelle que soit la décision finale prise par l’employeur, celui-ci prononce une mise à pied à titre conservatoire, le temps d’effectuer l’enquête interne. Celle-ci permet de vérifier les circonstances exactes, et notamment si les faits ont été commis pendant le temps de travail, et/ou avec les moyens (notamment électroniques) de l’entreprise, et/ou à l’encontre de salariés de l’entreprise. Dans ce dernier cas, l’employeur est même contraint de réagir à l’égard de l’auteur du harcèlement car il est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Avec le développement des réseaux sociaux, comment apprécie-t-on la frontière entre la vie privée et professionnelle ?
Jusqu’à présent, les décisions des tribunaux affirmaient régulièrement les principes de la liberté d’expression et du respect de la vie privée des salariés. Même si l’employeur avait à redire sur des propos tenus par l’un de ses salariés dans des réunions ou sur des réseaux en dehors de la relation de travail, nous avions peu de jurisprudence reconnaissant une faute du salarié car le respect de la vie privée primait. Depuis 2018, la loi pénale sur le cyber-harcèlement sanctionne toutes les personnes qui participent à ce genre de méfaits et les victimes de ces agissements peuvent donc plus facilement agir.
Que préconisez-vous aux entreprises ?
Nous avons deux outils possibles et utiles : la charte informatique et le règlement intérieur de l’entreprise.
La mise en place d’une charte informatique est l’outil à privilégier pour se prémunir de ce type de risque. Il y sera rappelé les règles d’utilisation des outils mis à la disposition des salariés. Sans aller jusqu’à une interdiction totale de connexion sur les réseaux sociaux, il pourra être rappelé que les salariés :
- Sont appelés à la plus grande vigilance et à la plus grande réserve lorsqu’ils diffusent, en dehors de l’entreprise, sur les réseaux sociaux, des informations intéressant l’entreprise ;
- Doivent porter une attention particulière quant aux déclarations, avis, commentaires qu’ils pourraient émettre sur ces réseaux sociaux tant à l’égard de l’entreprise que ses collaborateurs ;
- Ne doivent pas se livrer à des déclarations, commentaires ou avis susceptibles soit de nuire à la réputation ou à l’image de l’entreprise, notamment par des actes de dénigrement publiés sur des espaces virtuels dont l’accès est ouvert ou partagé avec un large public au regard des paramétrages enregistrés, soit tenir des propos interdits par la loi (propos sexistes, racistes, homophobes, etc.) qui, compte tenu de leur gravité, seraient de nature à créer un trouble au sein du personnel de l’entreprise et à préjudicier à celle-ci.
Le règlement intérieur de l’entreprise est également un bon vecteur de communication pour rappeler les règles en ce domaine, compte tenu du lien avec la préservation de santé et de la sécurité au sein de l’entreprise.
Quelle est la marge de manœuvre de l’employeur si les agissements sont anciens ? Faut-il envisager une sélection plus fine des candidats en vérifiant leurs réseaux sociaux ?
C’est notamment l’un des arguments soulevés par un journaliste de la Ligue du LOL qui disait que l’affaire datait de dix ans et qu’il s’était excusé de ses comportements passés. Je ne suis pas certaine qu’il faille sélectionner des candidats par une veille sur les réseaux sociaux, et il faudrait être extrêmement vigilant pour ne pas d’exposer à une pratique discriminatoire si les opinions exposées par le candidat sur les réseaux sociaux sont, par exemple, d’ordre politique. En outre, une personne peut avoir changé et pris conscience de la gravité de faits qu’elle a commis dans le passé. La question est donc délicate et il ne peut y avoir de réponse générale.
Faire prendre conscience aux salariés qu’il n’existe pas d’immunité totale »La mise en place d’une politique préventive au sein l’entreprise est le meilleur moyen pour prévenir ce type de comportement. Tout l’enjeu est de faire prendre conscience aux salariés qu’il n’existe pas d’immunité totale concernant les actes commis ou les propos tenus en dehors du cadre de la fonction, mais que tout comportement abusif, et en particulier illicite, pourra faire peser un risque sur le contrat de travail.
Qu’en est-il en matière de formation ?
Certaines entreprises mettent en place des programmes de formation, prioritairement à l’égard de salariés qui exercent des responsabilités et une forme d’influence en s’exprimant publiquement au nom de l’entreprise. Il faut une sensibilisation de tous les salariés afin qu’ils soient conscients de toutes les conséquences de leurs actes. La formation peut présenter un intérêt majeur, afin de les sensibiliser aux risques liés aux réseaux sociaux, notamment en les aidant à identifier les conduites à risques.
Les entreprises ont-t-elles anticipé de tels agissements par une politique de prévention ?
La prise de conscience a lieu surtout lorsque surgissent des affaires comme celle de la Ligue du LOL. Mais nous constatons aussi beaucoup de prudence car il peut y avoir des fraudes dans l’utilisation des messageries ou des réseaux sociaux, comme des personnes qui s’expriment en prenant l’identité d’autres. Les entreprises sont encore dans une période d’observation. Mais ces affaires seront plus nombreuses à l’avenir d’où l’importance pour les employeurs d’être vigilants et d’anticiper ce type de difficultés par l’adaptation de leurs règles internes. Il convient de rappeler qu’il pèse une obligation de sécurité sur l’employeur, dont la responsabilité peut être engagée. Un salarié victime de « cyber-harcèlement » au sein de l’entreprise pourrait envisager de rechercher la responsabilité de celle-ci, au regard des conséquences préjudiciables sur sa santé. Le sujet est donc suffisamment sérieux pour mettre en place des moyens de prévention adaptés.
Parcours
Co-fondatrice et associée
Avocat
Établissement & diplôme
Avocat
DEA de droit social
Fiche n° 27796, créée le 20/12/2017 à 15:49 - MàJ le 11/03/2019 à 16:00
Actance
• Activité dédiée au droit social au travers de prestations de conseils aux entreprises et d’assistance en matière judiciaire
• Création : 2005
• Expérience dans le traitement et la gestion des contentieux, notamment les contentieux à risques et de droit pénal du travail
• Partenaire de grandes entreprises et de groupes de dimension nationale et internationale (dont de nombreux groupes cotés) et de PME.
• Secteurs d’intervention variés : banque, assurance, diverses industries dont la pharmacie, automobile, chimie, publicité, médias.
• Effectif : plus de 50 avocats en droit social
• Contact
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Catégorie : Cabinets d'Avocats
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152 bis, rue de Longchamp75116 Paris France
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Fiche n° 5740, créée le 07/09/2017 à 05:37 - MàJ le 24/10/2019 à 15:06