ExclusifSeniors : « Nous avons trop longtemps roulé à contresens » (Astrid Panosyan-Bouvet)
« Le sujet de l’emploi des seniors est devenu plus important que jamais parce qu’il y a des vies humaines derrière les statistiques. Depuis les années 80, nous nous sommes trop souvent accommodés de voir des femmes et des hommes sortir du marché du travail dès 50 ans. C’est un immense gâchis humain, social, mais aussi économique. Nous avons trop longtemps roulé à contresens, avec des politiques de préretraite, d’aménagement de fin de carrière, d’inactivité subie », déclare Astrid Panosyan-Bouvet
Ministre chargée du travail et de l’emploi @ Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
, ministre chargée du travail et de l’emploi, dans un entretien à News Tank le 05/05/2025. Elle s’exprime à l’issue du lancement de l’opération « Emploi des 50 + : le passage à l’action ».
« Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un double défi démographique et budgétaire. Si nous avions le taux d’activité des 60-64 ans observé en Allemagne, la situation de nos finances publiques serait bien différente. »
« Il existe un imaginaire très puissant, hérité des années 1980, qui reste structurant. Jusqu’en 2010, la retraite à 60 ans était encore la norme. Cela a forgé un “effet horizon” : les gens anticipaient leur sortie du travail des années avant l’âge légal, parfois dès 55 ans. »
« Il faut agir sur trois plans : changer la loi, changer les pratiques et changer les regards. Changer la loi, c’est ce que nous faisons avec la transposition législative en juin de l’ANI
Accord national interprofessionnel
“seniors” signés par les partenaires sociaux en novembre 2024. Les pratiques, nous les transformons en valorisant les entreprises qui s’engagent. Changer le regard, c’est peut-être le plus difficile. Nous lançons une grande campagne de communication nationale fin mai 2025. »
« Le retournement démographique devient une donnée structurelle pour la France. La durée de vie s’allonge, les jeunes générations sont moins nombreuses. Il faut préserver les compétences et continuer à faire tourner nos entreprises. Ce que dit Maxime Sbaihi (économiste, auteur et Directeur stratégique du Club Landoy) est juste : indépendamment des politiques migratoires, la démographie nous impose d’agir. »
« Avec Catherine Vautrin
Ministre @ Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
, j’ai lancé une concertation spécifique sur les transitions professionnelles. L’objectif est de simplifier les dispositifs existants et de les rendre opérationnels, lisible, efficaces. Si les partenaires sociaux concluent un accord, nous pourrons l’intégrer au projet de loi sur les ANI dès cet été. L’ambition est claire : rendre les transitions accessibles, rapides, et en lien avec les besoins des entreprises. »
Astrid Panosyan-Bouvet répond à News Tank
Madame la ministre, pourquoi le changement de dynamique sur l’emploi des seniors est-il devenu tellement nécessaire aujourd’hui pour l’économie française ? Vous avez rappelé, en lançant la « mobilisation générale en faveur des 50 ans et plus », qu’il ne s’agissait pas d’un sujet nouveau pour notre pays.
Le sujet de l’emploi des seniors est devenu plus important que jamais parce qu’il y a des vies humaines derrière les statistiques. Depuis les années 80, nous nous sommes trop souvent accommodés de voir des femmes et des hommes sortir du marché du travail dès 50 ans. C’est un immense gâchis humain, social, mais aussi économique. Nous avons trop longtemps roulé à contresens, avec des politiques de préretraite, d’aménagement de fin de carrière, d’inactivité subie. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un double défi démographique et budgétaire. Si nous avions le taux d’activité des 60-64 ans observé en Allemagne, la situation de nos finances publiques serait bien différente.
Il faut agir pour relever le taux d’activité global, en particulier sur deux segments où nous sommes encore en retrait : les jeunes, pour lesquels l’apprentissage a été un levier puissant, et les travailleurs expérimentés de plus de 50 ans. Ce que nous avons su faire pour la jeunesse, nous devons aussi le réussir pour les seniors, dans toute leur diversité de parcours, de qualifications et d’envies.
Vous évoquez une forme de contresens collectif depuis les années 70-80. Comment expliquer que cet imaginaire reste si ancré, alors que les dispositifs ont disparu ?
Il existe en effet un imaginaire très puissant, hérité des années 1980, qui reste structurant. Jusqu’en 2010, la retraite à 60 ans était encore la norme. Cela a forgé un « effet horizon » : les gens anticipaient leur sortie du travail des années avant l’âge légal, parfois dès 55 ans.
Un consensus passif entre pouvoirs publics, entreprises et salariés »Or les dispositifs permettant d’aménager cette deuxième partie de carrière ont été trop peu nombreux : retraite progressive peu connue, absence de temps partiels adaptés, règles d’assurance chômage spécifiques pour les plus de 53 ans, ou encore entreprises qui adaptent leur politique de rupture conventionnelle en fonction de la durée de chômage et la date d’entrée à la retraite - on observe en effet un pic de ruptures conventionnelles qui s’est décalé de deux ans avec la réforme des retraites de 2010. Tout cela a contribué à créer un consensus passif entre pouvoirs publics, entreprises et salariés. Il faut maintenant rompre avec cet héritage.
Quel est le rôle de l’État pour changer cela ?
Il faut agir sur trois plans : changer la loi, changer les pratiques et changer les regards.
Changer la loi, c’est ce que nous faisons avec la transposition législative en juin de l’accord national interprofessionnel « seniors » signés par les partenaires sociaux en novembre 2024.
Les pratiques, nous les transformons en valorisant les entreprises qui s’engagent. Les équipes intergénérationnelles, cela fonctionne : elles apportent fiabilité, performance et stabilité. Nous formerons également les agents publics concernés, notamment les conseillers de France Travail
• Établissement public à caractère administratif chargé de l’emploi en France (a remplacé Pôle emploi le 01/01/2024)• Missions :- Accueillir et accompagner toutes les personnes - qu’elles soient ou…
, pour accompagner spécifiquement les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans. Ce sont des leviers décisifs pour inverser la tendance. La Dares va également mener une étude sur l’impact de l’âge dans les recrutements, via des campagnes de testing.
Changer le regard, c’est peut-être le plus difficile. Nous lançons une grande campagne de communication nationale fin mai 2025. Elle sera déployée sur les réseaux sociaux, à la radio, dans les gares, avec des formats courts, percutants, pour faire tomber les préjugés et promouvoir une vision positive de l’expérience professionnelle. Cette campagne vise à montrer que l’expérience est un atout et non un frein et que l’expérience a de la valeur : « Il faut oser l’expérience ».
Quel est l’objectif de cette campagne de testing ? S’agit-il de contrôler les entreprises ou bien de leur donner une vision réaliste de la situation sur le terrain ?
Il s’agit de leur donner une vision réaliste de leurs pratiques. Les entreprises n’ont pas toutes conscience de la réalité de leurs pratiques qui peuvent conduire à éloigner d’elles les salariés expérimentés. Trop de préjugés sont encore à l’œuvre. On associe encore souvent à l’âge, de façon implicite, le fait par exemple que les salariés de plus de 50 ans sont moins rapides ou moins à l’aise avec les outils numériques. Ce sont des stéréotypes qui résistent, alors même qu’ils ne reposent pas sur la réalité. C’est précisément ce type de biais qu’il faut déconstruire.
Il est essentiel de valoriser des rôles modèles »Pour cela, il est aussi essentiel de valoriser des rôles modèles. C’est le sens du travail que nous menons avec notre série de portraits « Premières Lignes » sur les réseaux sociaux, où nous donnons la parole à des travailleurs de tous horizons — y compris des travailleurs expérimentés, à différents niveaux de qualification et de responsabilité. Leur expérience, leur capacité d’adaptation, leur contribution à la performance collective sont précieuses, et doivent être davantage mises en lumière.
Le retournement démographique est une donnée structurelle pour la France. N’avons-nous pas là le moteur du changement le plus puissant ?
Oui, nécessité fait loi. La durée de vie s’allonge, les jeunes générations sont moins nombreuses. Il faut préserver les compétences et continuer à faire tourner nos entreprises. Ce que dit Maxime Sbaihi (économiste, auteur et Directeur stratégique du Club Landoy) est juste : indépendamment des politiques migratoires, la démographie nous impose d’agir. Il s’agit de garantir notre cohésion sociale et notre performance économique.
Le vieillissement démographique impose une révision en profondeur de nos représentations, de notre culture du travail, de notre système de formation »L’allongement de la vie, la baisse des arrivées sur le marché du travail, les tensions sur les compétences… L’enjeu, ce n’est plus seulement la solidarité ou l’équité, c’est aussi la capacité des entreprises à tourner. Il faut préserver et transmettre les savoir-faire. Le vieillissement démographique impose une révision en profondeur de nos représentations, de notre culture du travail, de notre système de formation.
Vous avez annoncé la transposition de l’ANI Accord national interprofessionnel signé en novembre 2024 dans un projet de loi qui doit commencer son parcours parlementaire en juin 2025. C’est une reprise fidèle. Est-ce un geste politique envers les partenaires sociaux ?
Je crois profondément au dialogue social. Nous honorons ici une promesse : celle que nous avions formulée avec Michel Barnier
, alors Premier ministre, quand nous avions décidé de relancer le dialogue social en invitant les partenaires sociaux à négocier sur les travailleurs expérimentés.
Le projet de loi de transposition fidèle de l’ANI de novembre 2024 débutera son examen à l’Assemblée nationale dès juin prochain. Cet accord a été signé par quatre organisations syndicales et trois patronales. L’accord contient des avancées majeures : la généralisation de l’entretien de mi-carrière, un droit effectif à la retraite progressive dès 60 ans, et surtout le contrat de valorisation de l’expérience, très attendu par les employeurs.
Parmi les mesures phares figure le contrat de valorisation de l’expérience, qui fait suite au contrat senior porté par l’ANDRH et repris par les partenaires sociaux dans leur ANI. Pourquoi ce dispositif est-il si attendu ?
Beaucoup d’employeurs disaient : « On aimerait recruter un senior, mais on ne sait pas quand il partira ». Ce contrat donne une visibilité et un cadre. Cela permet de décider ensemble, dans un cadre sécurisé, de la suite à donner : prolongation, transmission ou départ progressif. Et ce n’est pas anodin. Ce contrat donne de la visibilité, permet d’organiser une fin de carrière — ou au contraire, une poursuite. Cela apaise la relation de travail. Il évite aussi les effets d’image associés aux seniors comme l’ancienne contribution Delalande versée lors du licenciement d’un salarié de plus de 50 ans. Le souvenir de cette disposition, disparue depuis 2008, a longtemps pesé sur les embauches des plus de 50 ans.
D’autres mesures pourraient-elles être ajoutées au projet de loi ?
Avec Catherine Vautrin, j’ai lancé une concertation spécifique sur les transitions professionnelles. L’objectif est de simplifier les dispositifs existants et de les rendre opérationnels, lisible, efficaces. Le dispositif Transco par exemple, bien qu’apprécié, n’a concerné que moins de 1 000 personnes en trois ans. Le PTP (projet de transition professionnel) concerne pour un tiers des projets de mobilités interne avec des formations très longues. Cela montre qu’il y a du potentiel, mais aussi une marge énorme pour améliorer et massifier.
Lors de mes déplacements en entreprises, j’ai vu des exemples très inspirants : à Paris, Windside forme en quatre mois des femmes de plus de 50 ans aux métiers du numérique, avec un bootcamp intensif suivi d’une immersion en entreprise. À Nanterre, La Solive a conçu un parcours de quatre mois sur les métiers de la rénovation énergétique, où 500 compétences ont été ramenées à 273 essentielles.
Si les partenaires sociaux concluent un accord, nous pourrons l’intégrer au projet de loi sur les ANI dès cet été »Ces parcours adaptés ont permis de faire passer des formations qui durent en général un à deux ans, à une formation intensive de quatre mois, suivie par deux mois d’immersion. Résultat : 85 % d’insertion en emploi durable en six mois. C’est ce modèle que je veux encourager : court, intensif, qualifiant et très en lien avec l’entreprise.
Si les partenaires sociaux concluent un accord, nous pourrons l’intégrer au projet de loi sur les ANI dès cet été. L’ambition est claire : rendre les transitions accessibles, rapides, et en lien avec les besoins des entreprises.
La VAE est un dispositif clé utilisable pour les transitions professionnelles. Que va-t-elle devenir alors que les financements des accompagnements expérimentés en 2024 via la plateforme France VAE pour le sanitaire et social ont été suspendus pour un retour au financement de droit commun ?
L’ambition est de faire décoller la VAE, ce qui n’a pas été le cas depuis 20 ans. L’expérimentation 2024 a porté sur moins de 150 de diplômes. Les accompagnements expérimentaux ont été exceptionnellement et temporairement financés sur France VAE par le ministère du Travail et de l’Emploi, en dehors de toute obligation fixée par la loi.
La VAE est essentielle pour résoudre une part des difficultés de recrutement, en particulier dans les métiers réglementés du sanitaire et du social. Avec Catherine Vautrin, nous travaillons main dans la main pour accélérer l’accès des salariés de ce secteur à ces VAE et aux jurys, et aux employeurs qui veulent financer des VAE collectives.
Nous relançons France VAE, pour qu’elle devienne la plateforme universelle de la VAE, réunissant toutes les certifications, ministérielles ou de branches. Ce sera fait d’ici à décembre 2025. Il y a déjà 15 fois plus titres et diplômes depuis janvier et prochainement des diplômes de l’Éducation nationale. Le CPF Compte Personnel de Formation est le socle de financement privilégié car il est simple et connu de tous. Il peut maintenant être abondé par les entreprises, les branches, les collectivités territoriales ou France Travail. Et cela fonctionne. En un peu plus d’un trimestre, la VAE est passée du 12e ou 3e rang dans les financements CPF. En 4 mois, on atteint deux tiers des accompagnements à la VAE financés avec le CPF sur tout 2024. Nous assurerons le lien entre les systèmes d’information des certificateurs et la plateforme France VAE. Les accompagnateurs de parcours de VAE restent essentiels dans la réussite des candidats. Ils doivent monter encore en qualité et déposer tous leurs dossiers sur France VAE. Ainsi la VAE devient plus lisible, plus fluide, plus accessible. Cela contribuera à sécuriser les parcours professionnels, notamment pour les salariés expérimentés.
Et que devient le bilan de compétences ? Pourra-t-il toujours être financé via le CPF ?
Il n’est pas prévu de retirer le bilan de compétences de la liste des formations finançables grâce au CPF. Le bilan des compétences est un outil parfois indispensable aux salariés pour préparer une reconversion professionnelle interne comme externe à leurs entreprises. En revanche je souhaite réaliser une analyse de l’évolution du coût du bilan de compétences. Nous voulons mieux piloter ces dépenses. Il faut évaluer l’efficacité, les coûts, la variation des prix. Ce sont des fonds publics : il est légitime de s’assurer de leur bon usage, sans remettre en cause l’accès à ce dispositif.
Seules 26 % des entreprises ont une politique RH dédiée aux 50 +. Cela vous surprend ?
C’est un constat préoccupant. Deux ans après la réforme des retraites, très peu d’entreprises, y compris parmi les grandes, ont actualisé leur stratégie RH. Cela renforce ma conviction qu’il faut associer politique publique et transformation des pratiques. Ce que nous lançons, c’est une conversation nationale pour poursuivre la dynamique initiée. Des entreprises comme AXA, Lidl, Schneider, Safran, NGE s’engagent. Plus de 170 nouvelles entreprises ont signé la Charte 50 + du Club Landoy la semaine dernière, avec un engagement clair : mesurer leurs progrès. Car ce qui ne se mesure pas n’existe pas. Nous relaierons aussi cette initiative à la fin du mois de juin à Vannes au congrès annuel de l’Association nationale des DRH en présence de 600 entreprises. Les lignes bougent !
Emploi 50 + : Les dates des premiers événements en région
Les événements se tiendront en préfecture et seront orchestrés par les services de l’État, associant l’ANDRH, Les Entreprises S’Engagent, le Medef, la CPME et l’U2P.
Ils s’adressent à toutes les entreprises de toutes tailles dans toutes les régions.
• Lille 05/06
• Nantes 11/06
• Paris 16/06
• Rouen 16/06
• Toulouse 16/06
• Dijon, 17/06
• Rennes 17/06
Astrid Panosyan-Bouvet
Ministre chargée du travail et de l’emploi @ Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
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Parcours
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Ministre
Députée, 4e circonscription de Paris, Commission des Affaires Sociales
Membre du Conseil de surveillance, membre du comité de développement durable et de conformité
Chief Resources Officer
Conseiller du Ministre en charge des affaires internationales, des investissements directs étrangers, de la santé et des biotechnologies et du secteur du luxe
Secrétaire générale
Établissement & diplôme
Master’s Degree
Diplômée
Fiche n° 49417, créée le 16/06/2023 à 17:41 - MàJ le 06/05/2025 à 10:59