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« Le plein emploi exige surtout un plan ambitieux de compétence et de transition professionnelle »

News Tank RH - Paris - Entretien n°322845 - Publié le 25/04/2024 à 18:50
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Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH -

« Plus personne ne croit à la théorie selon laquelle le fait de raccourcir les indemnités chômage permet d’atteindre le plein-emploi. Il y a bien sûr des personnes qui profitent du système, mais elles sont ultra minoritaires et ces situations, aussi réelles que rares, ne peuvent fonder une politique », déclare Benoît Serre Partner & director HR - People strategy @ Boston Consulting Group (BCG) • Vice-président puis vice-président national délégué @ Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
, vice-président délégué de l’ANDRH Association nationale des directeurs des ressources humaines , dans un entretien à News Tank le 25/04/2024. « Peut-être faut-il légiférer sur ce sujet, mais dans le cadre d’un plan plus ambitieux autour de la formation, des transitions professionnelles et des anticipations de compétences. »

À propos de l'échec de l’ANI Accord national interprofessionnel sur le pacte de la vie au travail : « J’ai entendu des responsables syndicaux déclarer qu’ils ne pouvaient pas signer un accord qui ne donnerait pas naissance à de nouveaux droits. Ne prennent-ils pas le risque, avec ce raisonnement, d’en perdre ? Maintenir des droits grâce à un accord peut constituer une avancée. Si le gouvernement maintient son projet de réduire la durée de l’indemnisation par l’assurance chômage, les syndicats assisteront à un recul de droits pour les actifs comme pour les demandeurs d’emploi. »

« Tout ce qui concourt à préparer des transitions et des anticipations de seconde partie de carrière est positif, réagit le vice-président de l’ANDRH au projet d’accord de l’U2P instituant un nouveau dispositif de reconversion professionnelle. Cette solution aura au moins le mérite d’être testée, mais attention à sa complexité administrative de mise en œuvre, si l’on ne veut pas revivre l'échec de Transco. »

Concernant le projet d’accord sur le CETU Compte épargne temps universel  : « Il s’agit d’une idée séduisante sur le papier, mais ce CETU nécessite une modification des régimes fiscaux et financiers du temps ainsi épargné. Dans le nouveau projet d’accord spécifique porté par l’U2P, la Caisse des dépôts serait gestionnaire du CETU, mais cela ne retire rien au problème de son coût pour l’entreprise, qu’il soit provisionné ou simplement payé au moment de l’alimentation du compte, comme le prévoit le projet d’accord de l’U2P. »


Benoît Serre répond aux questions de News Tank

L’ANDRH • Association loi 1901 au service des professionnels des ressources humaines représentant les entreprises et organisations de tous secteurs d’activité et de toutes tailles, publiques et privées… s’est engagée depuis longtemps sur le thème de l’emploi des seniors. L’absence d’accord confirmée par les décisions de non-signature successives annoncées par les OS Organisations syndicales est-elle inquiétante ?

Chaque fois qu’une négociation sociale échoue, c’est un échec collectif, car nous avons un modèle de négociation sociale, que l’on peut trouver lent ou imparfait, mais qui est toujours préférable à la seule action du gouvernement. L’action gouvernementale porte le risque de devenir un combat politique alors que, sur des sujets comme le travail des seniors ou les mobilités professionnelles, nous sommes sur des sujets sociétaux majeurs. Le risque serait que ceux-ci deviennent des sujets d’affrontements politiques très éloignés des préoccupations des personnes concernées. Cela étant, il faut être raisonnable. De la même façon qu’un accord signé n’aurait pas permis de résoudre tous nos problèmes liés à l’emploi des seniors, la non-signature ne signifie pas que nous ne serons pas capables de progresser sur le sujet. Ce n’est pas l’accord social qui peut créer de l’emploi. Ce sont les entreprises et elles seules. Rien n’interdit à des entreprises ou à des branches de s’emparer de certaines dispositions prévues dans le projet d’ANI Accord national interprofessionnel pour les mettre en place chez elles. Rien n’interdit à un DRH de construire un dispositif de transition professionnel, de favoriser la formation professionnelle, de renforcer les entretiens professionnels ou de mettre en place un aménagement du temps de travail pour ses seniors.

Le CDI Contrat à durée indéterminée senior imaginé par l’ANDRH et repris dans le projet patronal sous le nom de « contrat de valorisation de l’expérience » a été l’un des points d’achoppement de la négociation. Comment l’expliquez-vous ?

Le principal sujet à traiter est celui du recrutement des seniors sans emploi. Or, dans les entreprises, la prévisibilité de la date de départ à la retraite du salarié senior recruté est un sujet. C’était tout l’enjeu du projet de CDI senior proposé par l’ANDRH et repris, sous une forme différente, par le Medef • Organisation patronale• Création : le 27/10/1998 (en remplacement du CNPF)• Chiffres clés :- Fédérations adhérentes (2023) : 99- Entreprises adhérentes (2023) : 190.000- Organisations… . L’ANDRH n’avait pas porté l’idée d’un allègement de charge, introduite par le Medef. J’aurais préféré, personnellement, un aménagement prédéterminé des conditions de départ, au besoin en aménageant les indemnités de fin de contrat. J’ai entendu des responsables syndicaux déclarer qu’ils ne pouvaient pas signer un accord qui ne donnerait pas naissance à de nouveaux droits. Ne prennent-ils pas le risque, avec ce raisonnement, d’en perdre ? Maintenir des droits grâce à un accord peut constituer une avancée. Si le gouvernement maintient son projet de réduire la durée de l’indemnisation par l’assurance chômage, les syndicats assisteront à un recul de droits pour les actifs comme pour les demandeurs d’emploi.

Je trouve très dommageable que nous ne soyons pas capables de trouver une voie sur le sujet des seniors »

Sur le fond, je trouve très dommageable que nous ne soyons pas capables, en France, de trouver une voie sur le sujet des seniors. Je rappelle que nous faisons partie des pays les plus mal classés en Europe sur l’emploi des seniors. N’oublions pas que la situation d’un senior qui perd son emploi à 58 ou 59 ans est un véritable drame humain. Je pense au demandeur d’emploi de 61 ans, au chômage depuis deux ans, qui attendaient que cette négociation lui ouvre des perspectives. Si le gouvernement reprend le sujet en main, ce qui est probable, j’espère qu’il aura en tête la situation de cette personne et non pas seulement ses préoccupations budgétaires. On ne peut que constater que le modèle social - dont nous sommes aussi fiers que comptables - ne produit pas d’effet sur l’emploi des seniors.

Selon vous, la réforme de l’assurance chômage annoncée par le Gouvernement peut-elle permettre d’augmenter le taux d’emploi des seniors ?

Plus personne ne croit à la théorie selon laquelle le fait de raccourcir les indemnités chômage permet d’atteindre le plein-emploi. Il y a, bien sûr des personnes qui profitent du système, mais elles sont ultra minoritaires, et ces situations, aussi réelles que rares, ne peuvent fonder une politique. Peut-être faut-il légiférer sur ce sujet, mais dans le cadre d’un plan plus ambitieux autour de la formation, des transitions professionnelles, des anticipations de compétences… Il me semble d’ailleurs que le président du Medef, Patrick Martin, a estimé, il y a quelques jours, que négocier sur l’assurance chômage n’était pas la priorité. De surcroît, si le projet gouvernemental consiste à aligner la durée d’une indemnisation des demandeurs d’emploi seniors sur celle des autres catégories de demandeurs d’emploi, il y a une sorte de double peine pour ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi, quelle qu’en soit la cause : une baisse de leurs droits à indemnisation chômage, mais aussi la suppression de l’ASS Allocation de solidarité spécifique au profit du RSA Revenu de solidarité active , qui a été annoncée par le Premier ministre Gabriel Attal Premier ministre @ Chef du Gouvernement - Hôtel de Matignon
. Si je me mets à la place de la personne de 59 ans qui perd son emploi, elle risque d’être protégée moins longtemps par l’assurance chômage. De surcroît, si cette personne ne retrouve pas d’emploi, elle percevra le RSA qui ne produira pas de cotisations pour sa future retraite, à la différence de l’ASS, ce qui éloignera sa possibilité de percevoir une retraite à taux plein.

Comment réagissez vous à l’initiative de l’U2P qui a relancé des négociations ayant débouché sur deux projets d’accords ouverts à la signature : l’un sur le CETU et l’autre sur les reconversions professionnelles ?

Le CETU Compte épargne temps universel est une idée séduisante sur le papier, conforme d’ailleurs aux aspirations d’autonomie et de gestion de leur temps par les personnes, car il pose la question de la gestion et de l’épargne du temps pour les salariés sur leur vie professionnelle. Mais le sujet nécessite une modification des régimes fiscaux et financiers du temps ainsi épargné. Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise met en place un CET, elle doit provisionner les sommes épargnées et cela représente des montants considérables. Dans le CETU du projet d’accord initial, la solution technique n’existait pas. Le refus du dispositif par le Medef et la CPME • Organisation patronale des petites et moyennes entreprises (industrie, services, commerce, artisanat et professions libérales)• Création : 1944• Missions : - représenter les PME tant dans les… n’est donc pas surprenant. En revanche, le sujet de la gestion des temps reviendra en débat. Dans le nouveau projet d’accord spécifique porté par l’U2P, la Caisse des dépôts serait gestionnaire du CETU, mais cela ne retire rien au problème de son coût pour l’entreprise, qu’il soit provisionné ou simplement payé au moment de l’alimentation du compte, comme le prévoit le projet d’accord de l’U2P.

L’idée du CETU a longtemps été portée par la seule CFDT • La CFDT (Confédération française démocratique du travail) est l’un des cinq syndicats historiques reconnus représentatifs au niveau national et interprofessionnel. Il est le premier syndicat en… , qui se fondait notamment sur son rapport sur la vie au travail de 2017. Le dispositif renvoie aux questions posées sur notre rapport au temps de travail et nos méthodes de comptabilisation de ce temps. Lorsque le Premier ministre évoquait la possibilité « de sortir du carcan des 35 heures », dans son intervention télévisée du 27 mars 2024, il posait le débat. Mais la durée hebdomadaire du travail reste l’unité de compte du travail en France depuis plus d’un siècle, donc tout le monde avance avec prudence sur ce sujet explosif.

Le second projet d’accord de l’U2P introduit un nouveau dispositif de reconversion en alternance de 12 mois maximum, financé à 90 % par l’Opco Opérateur de compétences , avec maintien du contrat de travail et de la rémunération. Cette nouvelle piste vous semble-t-elle intéressante ?

Tout ce qui concourt à préparer des transitions et des anticipations de seconde partie de carrière est positif. Cette solution aura au moins le mérite d’être testée, mais attention à sa complexité administrative de mise en œuvre, si l’on ne veut pas revivre l'échec de Transco. Cette piste nourrit le débat sur l’adaptation des compétences, qui sera de plus en plus fondamentale compte tenu de l'évolution des besoins, des nouveaux métiers et des nouvelles technologies.

Le paritarisme est-il fragilisé selon vous, au moins à court terme ?

L’accord majoritaire est la plus belle des expressions du dialogue social »

La crainte des partenaires sociaux était une reprise en main par le Gouvernement de la gestion des régimes paritaires, dont l’assurance chômage ou l’Agirc retraite complémentaire des cadres du secteur privé -Arrco. Cette crainte est désormais concrétisée, malgré des régimes plutôt bien gérés par les partenaires sociaux. Il est donc dommage que la gestion de l’assurance chômage sorte du paritarisme. Le signal est de surcroît négatif pour la culture du dialogue social dans notre pays.

Dans le pacte de la vie au travail repris en main par le gouvernement, il faudrait revenir à l’esprit des ordonnances de 2017, en redonnant la main aux entreprises par l’accord majoritaire notamment, qui revitalise le dialogue social et le rend plus concret et perceptible pour les salariés comme pour leurs représentants locaux. Dans une entreprise, l’accord majoritaire est la plus belle des expressions du dialogue social. C’est plus contraignant, parfois plus long qu’une simple décision unilatérale, mais on gagne toujours à trouver des solutions de compromis ensemble plutôt que de rentrer dans la confrontation. Le rapport de force ne doit pas, ou plus, fonder le dialogue social.

 

Benoît Serre


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Fiche n° 25040, créée le 29/08/2017 à 12:43 - MàJ le 22/04/2024 à 15:58

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