« Je crois dans la négociation d’accords collectifs à tiroirs » (JD Simonpoli, La fabrique du social)
« Nous avons le dialogue social chevillé au corps, avec Philippe Bourgallé
Co-fondateur @ La Fabrique du Social
, co-fondateur de La fabrique du social. Il nous est impossible de rester en retrait dans le contexte aussi complexe et bouillonnant de notre société. Nous avons pour objectif de fabriquer - au sens strict - des solutions » déclare Jean-Dominique Simonpoli
Co-fondateur et président @ La Fabrique du Social • Président du conseil d’administration @ Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP)
, fondateur de La fabrique du social, à News Tank, le 10/11/2022, après avoir passé le relais à la direction de l’association Dialogues en avril 2021.
Parmi les premières pistes, « la négociation “d’accords collectifs à tiroirs” , c’est-à-dire des accords dans lesquels le salarié pourra piocher pour choisir les dispositions qui correspondent le mieux à sa situation. » En matière d’accord salarial par exemple « l’accord traditionnel comprend le plus souvent une augmentation générale et un dispositif d’augmentations individuelles, à la main de l’entreprise. Demain, un accord salarial 'à tiroirs’ pourrait très bien, à côté des mesures d’augmentation générale, introduire un système de CET
Compte épargne temps
, pensé plutôt pour les salariés en fin de carrière. Les jeunes salariés, qui démarrent leur vie active, préféreront sans doute le maximum d’augmentation générale. Les salariés choisiront les mesures dont ils souhaitent bénéficier, en fonction de leur situation. Ce type d’accord démontrera l’efficacité de l’action syndicale collective tout en répondant aux attentes individuelles. C’est une voie d’avenir que nous avons envie d’explorer avec les acteurs. »
Autre piste évoquée : « Permettre à des élus de CSE
Comité social et économique
non syndiqués de négocier dans l’entreprise. Aujourd’hui, seules les OS
Organisations syndicales
représentatives peuvent négocier dans l’entreprise alors qu’une part importante des CSE sont composés de salariés non-syndiqués. Lorsque les syndicats sont minoritaires ou absents, le pouvoir de négociation pourrait ainsi être dévolu au CSE si ce dernier l’accepte ».
Loin d’un risque d’affaiblissement des organisations syndicales « la mesure permettrait, au contraire, de redorer le blason des syndicats dès l’instant où ces derniers tisseraient des liens avec ces collectifs », afin d’éviter le vrai risque pour les OS
Organisations syndicales
, « la fin du monopole des syndicats au premier tour des élections professionnelles ».
Jean-Dominique Simonpoli répond aux questions de News Tank
Pourquoi créer La fabrique du social, aujourd’hui, deux ans après avoir passé le relais à la direction de l’association Dialogues ?
Ceux qui nous connaissent, avec Philippe Bourgallé qui me suit dans cette aventure, savent que nous avons le dialogue social chevillé au corps. Alors s’il est difficile de rester en retrait dans un contexte aussi complexe et bouillonnant que celui de notre société, pour nous, c’était impossible. Il y a tant à faire ensemble, maintenant et de manière pérenne.
inventer et tester de nouvelles pistes en prenant à bras le corps tous les codes d’aujourd’hui et ceux d’hier »C’est pour répondre à ces trois impératifs qu’avec Philippe Bourgallé, nous avons créé La Fabrique du social dont l’objectif est précisément de fabriquer - au sens strict - des solutions. Avec les acteurs du social, nous souhaitons inventer et tester de nouvelles pistes en prenant à bras-le-corps tous les codes d’aujourd’hui et ceux d’hier. Pour nous accompagner sur ce chemin et pour rendre pérenne le goût et le savoir-faire du dialogue social, nous nous appuyons sur la force de structures établies, qui partagent notre éthique. Je suis d’ailleurs convaincu que cette construction de solutions communes peut redonner du tonus à l’engagement collectif que portent les organisations syndicales.
Les grandes confédérations syndicales vous semblent-elles fragilisées aujourd’hui ?
Les syndicats s’affaiblissent fortement depuis de nombreuses années. D’ailleurs, ce processus de déclin concerne les acteurs de la démocratie sociale dans leur ensemble. La participation aux élections professionnelles recule, les salariés s’engagent moins dans les organisations syndicales, même si des frémissements montrent ici ou là que ça peut évoluer positivement. S’ajoute à cette tendance le vieillissement des troupes syndicales.
La moitié de syndiqués de la CGT Confédération Générale du Travail partira à la retraite dans les prochaines années et le phénomène touche la plupart des OS Organisations syndicales . La difficulté d’attirer les jeunes générations est réelle.
Dans ces conditions, quelles sont vos pistes pour renouveler le dialogue social dans les entreprises ?
je crois dans la négociation “d’accords collectifs à tiroirs” »Parmi les pistes qui nous semblent intéressantes, je crois dans la négociation “d’accords collectifs à tiroirs”, c’est-à-dire des accords dans lesquels le salarié pourra piocher pour choisir les dispositions qui correspondent le mieux à sa situation.
Prenez un accord salarial, par exemple, l’accord traditionnel comprend le plus souvent une augmentation générale et un dispositif d’augmentations individuelles, à la main de l’entreprise. Demain, un accord salarial « à tiroirs » pourrait très bien, à côté des mesures d’augmentation générale, introduire un système de CET Compte épargne temps , pensé plutôt pour les salariés en fin de carrière, un système de Perco Plan d’épargne pour la retraite collectif pour optimiser l’épargne retraite.
Ensuite les salariés choisiront les mesures dont ils souhaitent bénéficier, en fonction de leur situation. Les jeunes salariés, qui démarrent leur vie active, préféreront sans doute le maximum d’augmentation générale alors qu’un « senior » pourrait être plutôt intéressé par un abondement à un Perco ou à son CET. Ce type d’accord démontrera l’efficacité de l’action syndicale collective tout en répondant aux attentes individuelles. C’est une voie d’avenir que nous avons envie d’explorer avec les acteurs.
Ce sur-mesure ne risque-t-il pas d’affecter le corps social collectif de l’entreprise ?
Non, le salarié n’est pas partie-prenante à la construction de cet accord « à tiroirs » qui sera bien l’œuvre du collectif qu’est le corps social incarné par les syndicats. Mais les options dont il disposerait sont une démonstration tangible de la capacité de ce collectif à répondre à ses souhaits individuels.
Quelles pourraient être d’autres voies à explorer pour relancer l’engagement syndical ?
En France aujourd’hui, une part importante des CSE Comité social et économique sont composés de salariés non syndiqués, principalement dans les TPE Très petite entreprise et les plus petites PME petites et moyennes entreprises . Je pense qu’il faudrait permettre à ces élus de négocier dans l’entreprise. Aujourd’hui, seules les OS représentatives peuvent négocier dans l’entreprise. Au sein de notre jeune Fabrique du social, nous proposons que les CSE, qu’ils comptent ou pas des salariés syndiqués, puissent décider en début de mandat, de s’octroyer ou pas le pouvoir de négocier avec l’employeur. Là où les syndicats sont majoritaires, ils garderaient probablement le monopole de la négociation. Mais lorsque les syndicats sont minoritaires ou absents, le pouvoir de négociation pourrait ainsi être dévolu au CSE si ce dernier le décide. Dans ce cas une évolution législative serait nécessaire.
Une telle mesure ne risque-t-elle pas d’être un coup de grâce pour les OS ?
les OS ne tireraient plus leur légitimité d’un monopole de négociation, mais de leur capacité d’expertise et de formation »Au contraire, les syndicats pourraient ainsi s’adresser aux élus non syndiqués pour les accompagner lors de ces négociations. Ils ne tireraient plus leur légitimité d’un monopole de négociation, mais de leur capacité d’expertise et de formation. Cette situation existe dans d’autres pays. En Belgique par exemple, les élus non syndiqués participent à la négociation sociale.
Ce que l’on constate en Belgique, c’est que beaucoup d’élus non-syndiqués finissent par s’adosser à une organisation syndicale afin de bénéficier de son support et de ses formations.
J’ai mené une étude sur les collectifs de salariés souvent constitués, en dehors des syndicats, lors de mouvements sociaux. Lors des entretiens menés pour l’étude, j’ai souvent entendu pointer du doigt par ces collectifs leur méfiance vis-à-vis des syndicats mais aussi le handicap que constitue pour eux leur manque d’informations sur ce qui se passe dans d’autres entreprises de la branche et sur leur manque de technicité juridique. Nous faisons donc le pari que la mesure permettrait, au contraire, de redorer le blason des syndicats dès l’instant où ces derniers tisseraient des liens avec ces collectifs. En revanche, si l’on poursuit la trajectoire actuelle de délitement de l’engagement syndical, le coup de grâce pourrait provenir d’une évolution législative. Il faut que le syndicalisme reprenne sa place au sein des collectifs de travail.
Quelle réforme pourrait être dangereuse pour les OS, selon vous ?
Le vrai risque serait la fin du monopole des syndicats au premier tour des élections professionnelles. Le recul de la participation aux élections professionnelles est tellement élevé que le nombre d’entreprises qui pousseront pour la fin de ce monopole continuera à augmenter et là nous risquerions l’accélération rapide du déclin des syndicats.
Quel est votre regard sur l’état du dialogue social en France au lendemain d’un conflit dur comme celui mené par la CGT dans les raffineries ?
il y a encore beaucoup à faire pour développer la culture du consensus et la recherche du compromis »La période que nous traversons montre qu’il y a encore beaucoup à faire pour développer la culture du consensus et la volonté de recherche du compromis. La CGT vient d’en faire la démonstration. Dans le même temps, avec 97 000 accords signés l’an dernier, il y a une vitalité réelle du dialogue social, mais ce dernier doit s’ouvrir à des problématiques plus larges.
Les organisations patronales, elles aussi, doivent accepter de renouveler leur conception de l’accord social avec des instruments nouveaux comme “l’accord à tiroirs” dont je parlais.
L’organisation du travail, qui se retrouve bouleversée par le télétravail est une transformation majeure qui doit être abordée au-delà du seul accord de télétravail. Je pense également au lien entre les OS et les salariés en situation de télétravail, qui est un autre sujet social à aborder. Il concerne les OS mais également les directions d’entreprise et leurs organisations patronales. La question du sens du travail est un autre sujet majeur qui doit être abordé par les partenaires sociaux, tout comme les enjeux environnementaux et la transition énergétique. Il faut sortir des sujets classiques et cela passe par de la formation. Il n’est pas facile, pour un élu, de se prononcer sur le bilan carbone de son entreprise s’il n’est pas accompagné et s’il n’a pas été formé sur le sujet pour comprendre les problématiques écologiques auxquelles sont confrontées les entreprises.
Comment La fabrique du Social souhaite-t-elle apporter sa pierre à la solidification du dialogue social en France ?
Nous souhaitons travailler au cœur d’un écosystème pour apporter des propositions nouvelles, des pistes de travail innovantes, pour les entreprises, comme pour les OS. Par exemple, nous allons proposer un dispositif pour accompagner le renouvellement des CSE avec une démarche nouvelle : nous interrogerons les salariés sur leurs attentes vis-à-vis, de leur CSE. Puis nous mettrons ensuite ces attentes en débat auprès des directions et des OS.
Nous mènerons des audits de climat social et nous pourrons intervenir dans des contextes de conflits sociaux, avec un binôme constitué par un ancien syndicaliste et un ancien DRH.
La formation des syndicalistes est également un sujet sur lequel nous allons travailler. »La formation des syndicalistes est également un sujet sur lequel nous allons travailler. Nous allons ainsi reprendre une collaboration avec Science Po Paris pour former les syndicalistes. J’avais initié une telle formation lorsque je dirigeais Dialogues. Nous proposerons des temps de discussion, dans le cadre de nos rendez-vous du social, en partenariat avec News Tank. Nous avons organisé une première rencontre avec Frédéric Souillot, secrétaire général de FO Force Ouvrière le 29/09/2022 et notre prochaine rencontre est prévue le 30/11/2022 avec Ilan Ouanounou, directeur général et CEO d’Edenred France.
Jean-Dominique Simonpoli
Co-fondateur et président @ La Fabrique du Social
Président du conseil d’administration @ Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP)
Consulter la fiche dans l‘annuaire
Parcours
Co-fondateur et président
Président du conseil d’administration
Directeur général
Directeur
Secrétaire général de la fédération
Fiche n° 25439, créée le 06/09/2017 à 09:44 - MàJ le 19/06/2024 à 17:51