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« Un gigantesque effort à faire pour accompagner les transitions professionnelles » (Pierre Ferracci)

News Tank RH - Paris - Entretien n°214654 - Publié le 15/04/2021 à 18:02
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©  G. de Coligny
Pierre Ferracci - ©  G. de Coligny

« La reprise, même si elle est décalée dans le temps et sujette à de nombreux aléas, sera sans doute vigoureuse, mais elle laissera beaucoup de forces et d’actifs en chemin si nous ne faisons pas un gigantesque effort pour accompagner efficacement les transitions professionnelles », déclare Pierre Ferracci Président @ Paris FC (PFC) • Président-fondateur @ Groupe Alpha
, président du Groupe Alpha • Cabinet de conseil• Création : 1983• Missions : - accompagnement des représentants du personnel et des organisations syndicales (SECAFI),- conseil en organisation du travail et QVT (SEMAPHORES),… à News tank, le 15/04/2021.

Il estime à cet égard que le nouveau dispositif Transitions collectives est « un pari ambitieux, qu’il faut absolument réussir ». « C’est une excellente chose que les partenaires sociaux et l’État se soient saisis de cet enjeu essentiel pour accompagner la transformation de l’économie et les évolutions du marché du travail, des compétences et des qualifications », dit-il.

Ce n’est pas « la complexité réelle » de ce dispositif qui inquiète Pierre Ferracci mais, « le contraste trop important entre la facilité de licencier, octroyée par les ordonnances de 2017, et l’ambition de Transco. En période de grande incertitude, telle que nous la vivons aujourd’hui, on sent bien que les entreprises peuvent avoir tendance à user, voire à abuser, de la flexibilité donnée par ces ordonnances, et il faut bien le dire également, par les dispositifs législatifs antérieurs ».


Pierre Ferracci répond aux questions de News Tank

Vous aviez prévu une forte vague de restructurations, de licenciements et de dépôts de bilans pour 2021. La constatez-vous ou bien les mesures de soutien aux entreprises limitent-elles les dégâts ?

L’aide massive, apportée par l'État, a évité le pire, c’est incontestable. Mais, en cette période de 3ème confinement, dont on mesure mal l’impact que ce dernier aura, les conséquences économiques et sociales sont déjà extrêmement lourdes ; il suffit de regarder la courbe des plans sociaux, l’évolution des CDD et de l’intérim pour constater les dégâts. Certes, les défaillances d’entreprise ont reculé de 30 % en moyenne en 2020, mais cela préfigure un déferlement dans les prochains mois, dès que les mesures d’aide s’estomperont et que les premiers remboursements des PGE Prêt garanti par l'État commenceront.

Le ministre de l’Économie prévoit maintenant une croissance de 5 % en 2021, compte tenu du nouveau confinement, même si le niveau d’incertitude sur la sortie de la crise sanitaire, avec le fiasco européen dans l’approvisionnement des vaccins et les difficultés de mise en œuvre du plan de relance de l’Europe, n’incite guère à l’optimisme. Quel contraste avec les États-Unis qui mènent tambour battant la vaccination et déclenchent un impressionnant train de mesures de relance de l’économie américaine !

La récession fait des dégâts, d’autant que les mesures classiques en termes de PIB Produit Intérieur Brut rendent assez mal compte de la violence de ce recul dans le secteur privé et des inégalités qu’il provoque.

On voit bien sur le terrain que, entre la poursuite de la transformation numérique, les enjeux de la protection de l’environnement et les dommages causés par la crise sanitaire, les restructurations et les réorganisations vont se multiplier.

On remarque aussi que cette crise inédite est l’occasion pour les entreprises d’accélérer des mutations profondes et qu’à court terme, ce ne sera pas sans incidence sur l’emploi.

Il faudra rétablir une confiance bien entamée auprès des ménages »

Pour que le rebond de l’économie compense cette tendance, il faudra rétablir une confiance bien entamée auprès des ménages qui ont accumulé une épargne considérable depuis le début de la crise. Même si le « quoi qu’il en coûte » a des limites dans le temps, il faudra aussi faire preuve de beaucoup de discernement pour l’allègement des dispositifs d’aide et se donner les moyens de renforcer les fonds propres des entreprises pour repartir de l’avant. L’allègement d’une partie de la dette des entreprises « au cas par cas », comme vient de l’évoquer le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire Ministre @ Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
[dans Les Échos, le 14/04/2021], irait dans le bon sens. Cela poserait néanmoins des problèmes de concurrence et il vaudrait mieux envisager que les créances soient transformées en fonds propres pour éviter, ou relativiser, les conséquences de cet allègement.

L’État fait beaucoup d’efforts en direction des entreprises. Celles-ci s’emparent-elles des outils mis à leur disposition pour éviter de licencier ? 

Les exonérations ou les décalages de charges sociales, l’activité partielle et les PGE Prêt garanti par l'État ont été pleinement utilisés ; tous ces dispositifs ont évité un recul trop important de l’emploi, malgré l’ampleur de la récession.

Cela étant, même si la grande majorité des entreprises a fait preuve de responsabilité dans la crise, on a enregistré quelques effets d’aubaine, la crise sanitaire ayant bon dos pour mettre en chantier des suppressions d’emplois.

On voit bien également, dans certains secteurs, que le niveau d’incertitude est tel qu’il amène les entreprises à ne pas se saisir de l'APLD Activité partielle de longue durée , qui exige un engagement sur l’emploi, que certaines entreprises se refusent à prendre. Certaines habitudes de consommation et d’investissement sortiront complètement transformées de cette crise et provoqueront des bouleversements considérables de l’économie.

En même temps, la gestion des compétences devient un enjeu essentiel pour les entreprises, pour les territoires et sur le plan macroéconomique.

La reprise, même si elle est décalée dans le temps et sujette à de nombreux aléas, sera sans doute vigoureuse, mais elle laissera beaucoup de forces et d’actifs en chemin si nous ne faisons pas un gigantesque effort pour accompagner efficacement les transitions professionnelles.

Justement, que pensez-vous du dispositif Transitions collectives ? Le Groupe Alpha veut-il se positionner pour aider, dans les entreprises, les partenaires sociaux à négocier des accords de GEPP Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels , à identifier les métiers fragiles, à aider les salariés concernés à se reconvertir sur le territoire ?

C’est une excellente chose que les partenaires sociaux et l’État se soient saisis de cet enjeu essentiel pour accompagner la transformation de l’économie et les évolutions du marché du travail, des compétences et des qualifications. Il est très positif également que les Régions s’emparent de ce sujet, compte tenu de leurs prérogatives en matière de développement économique et de formation.

Bien sûr, on peut s’attarder sur la complexité du dispositif, réelle, et sur la difficulté traditionnelle de coordination entre les nombreux acteurs concernés.

Transco : un pari ambitieux, qu’il faut absolument réussir »

Mais c‘est un pari ambitieux, qu’il faut absolument réussir. Des métiers déjà percutés par la transformation numérique sont fragilisés ou condamnés, d’autres sont portés par la même révolution, par les objectifs de protection de la planète, par les changements de comportement des consommateurs. Le libre jeu des marchés ne peut pas accompagner efficacement ces transitions, sans que les partenaires sociaux dans les branches, dans les filières et, bien sûr, dans les entreprises s’en emparent, sans que la puissance publique, au plan national et sur les territoires, s’en mêle.

Force est de constater néanmoins que le dispositif, pourtant dans sa philosophie parfaitement en phase avec les nécessités du moment, ne suscite pas d’enthousiasme de la part des entreprises, même si l’on manque encore de recul après quelques semaines.

J’ai noté que le directeur de cabinet de la précédente ministre du Travail le critiquait assez sévèrement, tout en incitant les entreprises à s’en emparer…, à condition qu’elle dispose de l’énergie nécessaire pour l’absorber. Même si ce n’est pas forcément une façon de défendre la cohérence et la continuité de l’action gouvernementale, cette critique met indirectement l’accent sur un problème bien plus important que la seule complexité du dispositif Transco. Certes, il faudra, au terme d’une expérimentation de quelques mois, simplifier le dispositif et faciliter le jeu ainsi que la réactivité des acteurs concernés.

Quel est ce problème « bien plus important que la complexité » de Transco ?

Il y a un contraste trop important entre la facilité de licencier, octroyée par les ordonnances de 2017, et l’ambition du dispositif Transco. En période de grande incertitude, telle que nous la vivons aujourd’hui, on sent bien que les entreprises peuvent avoir tendance à user, voire à abuser, de la flexibilité donnée par ces ordonnances, et il faut bien le dire également, par les dispositifs législatifs antérieurs.

On a souvent évoqué les modèles danois ou scandinave de flexisécurité, sans aller vraiment au bout de leur logique et de leur cohérence »

On a souvent évoqué les modèles danois ou scandinave de flexisécurité, sans aller vraiment au bout de leur logique et de leur cohérence. Ceux-ci s’appuient sur une flexibilité moins radicale que chez nous et sur une sécurité synonyme d’anticipation puissante des mutations dans les entreprises, d’accompagnement et de formation à la hauteur des transformations de l’économie. Pourquoi ne pas profiter de cette période pour rééquilibrer notre modèle de fonctionnement du marché du travail ? La première évaluation, qui sera faite par le ministère du Travail et les partenaires sociaux dans quelques mois, pourrait embrasser le sujet de façon plus large. Quatre ans après leur mise en œuvre, une évaluation de l’impact des ordonnances de 2017 (que la commission ad hoc a déjà bien entamée), combinée à celle de l’ensemble des dispositifs de formation professionnelle, serait fort utile pour se situer objectivement par rapport à ces fameux modèles scandinaves. Sinon, il y a fort à parier que Transco, même simplifié et porté vigoureusement par les acteurs et par un dialogue de qualité, se heurtera au mur des PSE, Plan de sauvegarde de l’emploi PDV Plan de départ volontaire et des RCC Rupture conventionnelle collective ou ruptures individuelles.

Et, au-delà de ces questions de fond, il y a fort à parier qu’entre les enjeux court-termistes des métiers en tension et ceux à plus long terme des métiers porteurs, il faudra doter Transco de ressources plus conséquentes pour faire face aux besoins des salariés, des entreprises et des territoires.

Malgré ces réserves, le Groupe Alpha se mobilise aux côtés des entreprises et des représentants du personnel pour réussir le pari des transitions collectives.

Le président du Medef a proposé aux organisations syndicales de faire un bilan de la réforme de 2018 de la formation professionnelle et a relancé une réflexion sur la modernisation du paritarisme. Pensez-vous que la formation professionnelle, qui a vu sa gestion paritaire fortement contestée par l’État, puisse se prêter à cet exercice ?

Un bilan s’impose, bien sûr, notamment sur le CPF Compte Personnel de Formation et l’apprentissage qui étaient les vecteurs essentiels de la réforme. Mais je partage l’avis de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
, la réforme de 2018 et l’irruption beaucoup plus marquée de l’État dans le champ de la formation ont considérablement réduit le champ d’intervention des partenaires sociaux sur certains sujets, en tout cas quand on réfléchit à ce que pourrait être un nouvel ANI Accord national interprofessionnel , y compris dans le domaine de l’apprentissage, avec le rôle nouveau dévolu aux branches professionnelles.

C’est l’occasion ou jamais de faire, dans les entreprises comme dans les branches, de la formation et des compétences un objet de négociation »

Je crois que c’est l’occasion ou jamais, dans la logique de la nouvelle répartition des compétences entre la puissance publique et les partenaires sociaux, de faire, dans les entreprises comme dans les branches, de la formation et du développement des compétences un objet, non seulement de dialogue et de concertation, mais aussi de négociation. Pendant plus de 40 ans, malgré les vertus initiales de la loi Delors, la formation n’a pas été un sujet essentiel de dialogue dans l’entreprise. Revenue sur le devant de la scène depuis quelques années dans nos sociétés, où l’on voit bien qu’éducation, formation et développement des compétences sont les moteurs essentiels de l’économie du futur, il est grand temps d’accorder à ces sujets la place qu’ils méritent dans l’entreprise.

Quand on voit la gamme variée des sujets de négociation, dans les entreprises comme dans les branches, il serait incompréhensible que le PDC Plan de développement des compétences  (ex-plan de formation) ne devienne pas un véritable objet de compromis social et que la négociation entre partenaires sociaux au plus près du terrain ne permette pas d’éviter des dérives du système, dans lequel le salarié est laissé seul, trop seul, face au défi de son évolution professionnelle, dans un monde qui se transforme à toute vitesse. On voit bien par exemple que la montée en puissance de l’utilisation du CPF ne s’accompagne pas d’une politique d’abondement, efficace et ciblée, évitant un égalitarisme contre-productif de la part des entreprises. Ce dispositif est très souvent laissé à l’écart des réflexions autour des PDC Plan de développement des compétences .

Constatez-vous une forme d’union sacrée dans les entreprises entre les dirigeants et les syndicats pour s’en sortir ensemble ?

Union sacrée c’est beaucoup dire, mais il y a eu, et il y a encore, une forme de responsabilité des différentes parties prenantes dans l’entreprise pour maîtriser, autant que faire se peut, les risques sanitaires et les conditions de la préservation de l’activité économique. Des compromis de qualité ont été trouvés, notamment sur le télétravail, et, plus globalement, dans la recherche d’un équilibre entre la sécurité sanitaire et la poursuite de l’activité de l’entreprise.

Cela étant, la gravité de la situation épidémique ne débouche pas non plus sur une embellie du dialogue social, là où il était léthargique. Et les organisations vivent forcément très mal les suppressions d’emplois lorsqu’elles sont insuffisamment corrélées à la situation économique et lorsque l’entreprise bénéficie d’aides publiques. Les négociations en distanciel, comme les modalités de fusion des instances de représentation du personnel, qui ont affaibli les moyens dont disposent les organisations syndicales, ne facilitent pas la fluidité et l’efficacité du dialogue social.

Les syndicats négocient souvent sous la pression des difficultés de l’entreprise et, là où le télétravail est important, avec une relation aux salariés à renouveler »

Par ailleurs, alors que la crise sanitaire renforce les inquiétudes des salariés sur leurs conditions de travail et l’avenir de leur emploi, que la mise en œuvre rapide du télétravail pose des problèmes nouveaux, la disparition des CHSCT Comité d’hygiène, de santé et de sécurité au travail , en tant qu’instance autonome, n’a pas été compensée par une affirmation forte des CSE Comité social et économique sur ces enjeux, faute de moyens adéquats.

Il faut reconnaître que les chantiers de transformation qui se poursuivent et s’amplifient, malgré la crise sanitaire, ne mettent pas les organisations syndicales en position favorable ; elles négocient souvent sous la pression des difficultés réelles de l’entreprise et, là où le télétravail est important, avec une relation aux salariés à renouveler.

En résumé, les innovations intéressantes produites par la crise sanitaire et les compromis équilibrés sont plutôt intervenus là où le dialogue social était installé de longue date.

Au cœur de cette crise, que vous inspirent les décisions gouvernementales sur l’assurance chômage et la réflexion qui s’ouvre sur l’évolution de sa gouvernance ?

Je partage l’avis des organisations syndicales. Au-delà même de leur contenu, ce n’était pas le moment de prendre des mesures de ce type. À l’heure du « quoi qu’il en coûte » et des dégâts que l’on va connaître sur le plan de l’emploi en sortie de crise sanitaire, mettre en cause les indemnités des demandeurs d’emploi, fusse pour corriger quelques incohérences du système, est un très mauvais signal envoyé. En matière d’emploi, cette approche coercitive et punitive, qui part du principe que l’on cherche plus activement à travailler sous la contrainte financière, est un peu hors-sol.

Appliquer avec un an de décalage aux entreprises un bonus-malus, bien édulcoré, n’est pas très habile »

Et symboliquement, appliquer avec un an de décalage aux entreprises un bonus-malus, bien édulcoré, n’est pas très habile. On oublie un peu vite que le mouvement des Gilets Jaunes, même si ses origines étaient plus anciennes et plus profondes, a démarré à partir de mesures qui paraissent anodines en matière de pouvoir d’achat. Et pourtant…

Quant aux enjeux de gouvernance, je crains fort que nous restions encore dans un flou artistique, où l’on n’est plus vraiment dans une logique paritaire, sans être vraiment dans une gestion étatique. Sortir de l’ambiguïté ne serait pas un luxe.

Quels premiers enseignements peut-on tirer de la crise que nous vivons, même si les conséquences économiques et sociales sont en grande partie devant nous ?

Il y en a une multitude et les changements profonds dans l’organisation du travail que va générer le développement du télétravail ne sont pas les moindres. Il faudra éviter les deux extrêmes, de la résistance inaudible à un dispositif en vogue depuis un an, à sa généralisation sans limites, en n’oubliant pas que l’entreprise est d’abord un projet collectif et un lien social, sans lesquels il n’y a sans doute ni création de valeur et innovation durables, ni qualité de vie au travail pérenne.

La redéfinition du rôle de la puissance publique sera aussi à l’ordre du jour. Comme souvent à l’occasion des grandes crises, qu’elles soient économique comme en 1929, financière comme en 2008 ou sanitaire comme aujourd’hui, les États sont en première ligne et on redécouvre les vertus des services publics.

Même critiqués de toutes parts, les États assument leur rôle, avec plus ou moins d’efficacité. En France, il le fait dans les limites de ce que sont les services publics aujourd’hui, pour certains sous-dimensionnés, pour d’autres mal organisés face à une récession aussi brutale et à la gravité de la situation sanitaire. L'État a, chez nous, le plus grand mal à déconcentrer ses services, encore plus à les décentraliser alors que le danger sanitaire a mis en exergue les capacités des villes et des régions à prendre leur part avec efficacité.

Que l’on sache, l’autorité d’Angela Merkel n’est pas mise à mal par la force de frappe et l’autonomie des Landers »

La puissance de l'État et son efficience ne sont pas proportionnelles aux périmètres qu’il couvre et à l’étendue de ses tâches et, que l’on sache, l’autorité d’Angela Merkel n’est pas mise à mal par la force de frappe et l’autonomie des Landers. Il en est du rapport entre l’État et la puissance publique décentralisée, comme du rapport entre la démocratie politique et la démocratie sociale : la force et l’autonomie des collectivités locales et des partenaires sociaux ne nuisent pas, bien au contraire, à la capacité, pour l'État, d’assumer, pleinement et entièrement, ses tâches régaliennes, dont le périmètre évolue au fil du temps.

À contester en permanence les prérogatives et les compétences de ceux qui doivent l’accompagner dans la défense de l’intérêt général et du bien commun, l’État et le pouvoir politique n’ont ni la souplesse ni la réactivité suffisante pour remplir les tâches essentielles qui sont les siennes.

La redéfinition de son rôle est d’autant plus indispensable qu’il n’est pas sûr que l’Europe sorte indemne de cette période si difficile ; entre le fiasco de l’approvisionnement vaccinal, l’insuffisance des capacités industrielles et des politiques de recherche et d’innovation, la difficulté de mettre en œuvre les moyens budgétaires de la relance, pourtant unanimement salués il y a près d’un an, le bilan souffre de la comparaison avec les États-Unis.

Du coté des entreprises, le management aura sans doute une formidable transformation à conduire pour adapter ses pratiques aux nouvelles formes d’organisation du travail. Il faudra surtout veiller à sortir de cette crise en trouvant les bons équilibres entre :

  • la nécessaire compétitivité économique,
  • les objectifs ambitieux de protection de notre environnement,
  • et la sécurisation des salariés, des actifs mêmes, dans un monde du travail totalement bouleversé.

Dans certains pays, les conditions d’un pacte social d’envergure sont certainement mieux réunies que chez nous. Ici, il faudra sans doute franchir une étape dans les relations entre les parties prenantes, dans et hors de l’entreprise. C’est l’occasion ou jamais de donner son véritable sens aux évolutions de gouvernance prônées dans la dernière période pour qu’entreprise et société de capitaux ne soient pas confondues systématiquement et que la première ne soit pas soumise à la seule exigence de rentabilité financière. Le chemin est encore long, comme le montre l’exemple de Danone • Multinationale alimentaire française • Création : 1919• Mission : proposer une offre en produits laitiers et d’origine végétale, en eaux, en nutrition infantile et en nutrition… .

La révocation récente du président de Danone a suscité beaucoup de réactions. Est-il si difficile de concilier les enjeux sociaux et environnementaux, tout en prenant en compte les impératifs financiers des actionnaires ?

Ce choc à la tête d’un groupe coté en Bourse, le premier à bénéficier du label « entreprise à mission », montre à l’évidence que si certains pensent que la situation actuelle, marquée à la fois par la crise sanitaire et par une volonté partagée dans l’opinion de mieux prendre en compte les questions environnementales, va provoquer, presque naturellement, une transformation profonde du capitalisme et éviter les dérives néo-libérales de ces derniers temps, ils font preuve d’une grande naïveté.

Au-delà de ce que l’on peut penser de la gestion d’Emmanuel Faber Coprésident du Conseil d’administration @ Business for Inclusive Growth (B4IG) • Membre du Comité Directeur @ Livelihoods Venture • Fondateur et coprésident @ Action Tank Entreprise & Pauvreté
, soumis à des points de vue contradictoires, le fait que deux fonds activistes, représentant moins de 4 % du capital, parviennent à bousculer à ce point la gouvernance et, mais c’est sans doute un hasard, à s’attaquer immédiatement à ce symbole de l’entreprise à mission, est un signal très négatif. Cela en dit long sur les capacités de résistance d’un capitalisme débridé, qui n’est pas prêt à sacrifier des normes de rentabilité aux interpellations citoyennes et au respect des parties prenantes, au sein de l’entreprise comme à l’extérieur.

Les représentants des salariés au Conseil d’administration se sont d’ailleurs opposés à cette éviction. Au-delà des divergences qui peuvent exister au sein de l’entreprise, ils ont sans aucun doute perçu qu’on s’attaquait à la vision qu’avait leur dirigeant des équilibres à préserver pour assurer le développement de Danone. Les comparaisons des fonds activistes sur les différences de rentabilité avec les concurrents n’ont au demeurant pas grand sens, quand on connaît les structures d’activité des uns et des autres et les trajectoires suivies dans la dernière période.

Le respect de l’environnement, paravent facile d’ajustements structurels »

Les représentants du personnel et les organisations syndicales auront un grand rôle à jouer dans les années à venir pour que l’emploi des salariés, leur qualité de vie au travail, ne soient pas sacrifiés sur l’autel de la compétitivité économique et pour qu’ils ne soient pas également une variable d’ajustement au nom du respect de l’environnement, paravent facile d’ajustements structurels, n’ayant rien à voir avec la protection de la planète.

Les équilibres à trouver entre les trois termes de l’équation passeront sans aucun doute par une remise en cause d’objectifs de rentabilité excessifs, que la pérennité et la croissance de l’entreprise ne justifient pas. Et puisqu’il est question d’une juste répartition des richesses créées, il n’est que temps, au sortir d’une terrible crise sanitaire qui a creusé les inégalités sociales, de mettre ces critères de rentabilité en débat.

La lutte pour réduire les inégalités sociales reste la mère de toutes les batailles, de toutes les réformes.

Il faut espérer que le projet de loi « climat et résilience », en cours de discussion au niveau parlementaire, donnera au CSE Comité social et économique des moyens d’intervention suffisants, qui s’avèrent d’autant plus nécessaires que les enjeux de la décarbonation concernent au premier chef les entreprises. Il faut également espérer que les partenaires sociaux dans l’entreprise, comme dans les filières économiques, trouveront ensemble, par un dialogue social fructueux, les voies de compromis équilibrés. Mais ce ne sera pas facile.

L’ensemble de la filière automobile, qui bascule dans une transition accélérée pour dépasser les moteurs thermiques, vient rappeler que les problèmes d’emploi que cela génère, nécessiteront, faute d’avoir été suffisamment anticipés, d’énormes moyens de reconversion pour ne pas laisser des salariés en grand nombre sur le bord du chemin.

Cette accélération, qui succède dans l’industrie automobile à une longe résistance des constructeurs au changement (certains d’entre eux n’ayant pas hésité, on s’en souvient, à utiliser des moyens frauduleux qui ont débouché sur le « Dieselgate »), doit d’ailleurs tout autant, il ne faut pas être naïf, à la perception qu’un basculement radical est aujourd’hui plus porteur en termes de rentabilité qu’aux pressions liées à la protection de l’environnement et de la santé.

Comment les syndicats traversent-ils cette crise inédite et comment vont-ils en sortir lorsque le rebond économique sera là ?

Après le mouvement des Gilets Jaunes, qui a fortement interpellé le monde syndical, affronter une crise sanitaire inédite, aux conséquences économiques et sociales dévastatrices, n’est pas un exercice simple pour des organisations syndicales, qui ont dû, par ailleurs, gérer une relation complexe avec le pouvoir politique, même si les choses se sont un petit peu améliorées avec l’arrivée de Jean Castex à Matignon.

Les ordonnances qui ont marqué le début du quinquennat ont plutôt déséquilibré le rapport entre employeurs et salariés que ravivé le dialogue social en entreprise »

Les ordonnances qui ont marqué le début du quinquennat ont plutôt déséquilibré le rapport entre employeurs et salariés que ravivé le dialogue social en entreprise. Les organisations syndicales ont aussi été interpellées par le mouvement des Gilets Jaunes, qui a préempté une partie des revendications portées traditionnellement par elles. Avec des actions qui dépassaient largement du cadre classique du salariat, ce qui a sans doute changé le regard porté par les salariés sur le mouvement syndical, son rôle, son efficacité.

En dépit de ce contexte défavorable, je trouve que, sur le terrain, comme au niveau des instances territoriales, fédérales ou confédérales, il y a beaucoup de signes positifs et une prise de conscience générale de la gravité de la situation et des responsabilités qu’elle soulève.

Avec le défi supplémentaire du télétravail qui oblige à renouveler la relation avec les salariés, et aussi avec les employeurs lorsqu’il s’agit de négocier à distance, il y a fort à parier que les organisations qui sauront rompre avec les schémas anciens et qui prendront résolument en compte les besoins nouveaux des salariés sortiront de cette période avec une légitimité plus forte. Je pense notamment à l’évolution des compétences exigées par les diverses révolutions en cours et à la prise en compte des besoins de la jeunesse, y compris lorsqu’ils sont en rupture avec les revendications traditionnelles.

Outre l’attention particulière aux jeunes générations dramatiquement impactées par la crise, il faudra se donner les moyens d’aller au-devant des actifs qui quittent le terrain du salariat classique et du CDI, avec un bouleversement des organisations classiques du travail.

Je reste persuadé que les organisations qui surmonteront le mieux les obstacles qui divisent le monde syndical et qui porteront le plus franchement des démarches unitaires, voire des rapprochements organisationnels, marqueront des points auprès des salariés et des actifs de ce pays. Celles qui laissent par ailleurs une large autonomie à leurs syndicats, pour coller au plus près aux réalités du terrain en dépassant les clivages idéologiques qui ne parlent pas aux salariés, marqueront également des points.

 

Pierre Ferracci


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Parcours

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Président
Groupe Alpha
Président-fondateur
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Président du groupe d’experts constitué pour l’examen des projets
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Président (sur nomination du ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche)

Fiche n° 27023, créée le 15/11/2017 à 11:34 - MàJ le 16/04/2021 à 19:30

Groupe Alpha

Cabinet de conseil
Création : 1983
Missions :
- accompagnement des représentants du personnel et des organisations syndicales (SECAFI),
- conseil en organisation du travail et QVT (SEMAPHORES),
- conseil en management (TH CONSEIL),
- conseil en expertise comptable (GVA),
- accompagnement et études auprès des organismes de formation, des branches professionnelles, des Opco et des entreprises (LAFAYETTE).
• CA : 130 M€ (2022)
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Président du conseil d’administration : Pierre Ferracci
Directrice générale : Estelle Sauvat
DRH : Frédéric Clinckemaillie
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Catégorie : Etudes / Conseils


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Fiche n° 5893, créée le 05/10/2017 à 05:27 - MàJ le 22/02/2024 à 12:18

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