Formation :« Les partenaires sociaux ne doivent pas accentuer le côté rétroviseur » (Alain Druelles)
« Les partenaires sociaux ont évidemment toute légitimité pour travailler ensemble afin d’évaluer la réforme de la formation professionnelle de 2018 et de formaliser leur démarche par un agenda social. (…) On peut cependant s’étonner de l’affirmation du côté “autonome” de la démarche [car] “il n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui de travailler ensemble », déclare Alain Druelles, associé fondateur de Quintet Conseil
• Cabinet de conseil en stratégie sociale, formation et raison d’être• Création : octobre 2020 (par Antoine Foucher, Pauline Calmès, Damien Delevallée, Alain Druelles et Bertrand Lamberti, cinq…
le 09/04/2021 à News Tank.
Le même jour en fin d’après-midi, les sept organisations syndicales représentatives des employeurs et des salariés qui participent aux chantiers de l’agenda social et économique autonome initié par le président du Medef (à l’exception de la CGT) se retrouvent pour discuter du premier thème : l’évaluation de la loi du 05/09/2018 sur la formation professionnelle. La partie patronale leur a adressé un document de travail le 08/04/2021 dans la soirée, qui servira de base à leur discussion.
Pour Alain Druelles
Associé fondateur @ Cabinet Quintet
, il est important que les partenaires sociaux « affirment leur ambition ». « La photographie n’est intéressante que si elle donne un éclairage sur le film. Nous savons que nous avons devant nous des enjeux considérables, il faut les partager collectivement et cela concerne tout autant l’État que les entreprises au sens large, sans exclure les collectivités territoriales. Ensuite, il faut déterminer une ambition, mettre des moyens et corriger ce qui doit l’être. Si on considère que le développement des compétences est un sujet crucial, quelles conséquences en tirons-nous collectivement ? Il ne faut pas accentuer le côté 'rétroviseur” mais plutôt le côté “projecteur” ».
Alain Druelles répond aux questions de News Tank
L’évaluation de la loi du 05/09/2018 sur la formation professionnelle, premier des huit chantiers de l’agenda social et économique autonome des partenaires sociaux se poursuit le 09/04/2021. Que pensez-vous de cette initiative ?
Les partenaires sociaux ont évidemment toute légitimité pour travailler ensemble afin d’évaluer la réforme de la formation professionnelle de 2018 et de formaliser leur démarche par un agenda social. C’est une façon pour eux de se « challenger » mais de challenger aussi l’État, ainsi que les Régions car lorsque les partenaires sociaux évoquent le PIC Plan d’investissement dans les compétences , c’est autant l’État que les Régions qui sont impliqués, à travers la contractualisation des Pactes régionaux. Ce travail mené par les partenaires sociaux, et aussi entre les différents responsables de l’élaboration et de la conduite des politiques publiques, au sens large, est nécessaire et sain.
Il n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui de travailler ensemble »On peut cependant s’étonner de l’affirmation du côté « autonome » de la démarche, même si le message n’échappe à personne : les partenaires veulent réaffirmer leur légitimité face aux pouvoirs publics. La première raison est qu’il n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui de travailler ensemble. C’est d’ailleurs ce qu’ils font, en particulier depuis le début de la crise sanitaire. Le Gouvernement, comme le président de la République, n’ont jamais autant consulté les partenaires sociaux que depuis le début de la crise sanitaire. D’autre part le financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage repose sur les cotisations des entreprises mais aussi sur un apport croissant des financements publics. Nous ne sommes plus dans le contexte d’il y a un ou deux ans, et encore moins dans celui de 2018.
La revendication par les partenaires sociaux de leur autonomie ou plutôt, la défense de leur légitimité n’est pas nouvelle et dépasse le champ de la formation. Pourquoi la réaffirmation de leur autonomie aujourd’hui vous surprend-elle plus que par le passé ?
La question de l’articulation entre les responsabilités et financements des pouvoirs publics et des cotisations sociales, entre la loi et les accords, est en effet un sujet récurrent. Elle dépasse largement le sujet de la formation professionnelle. Constatons, factuellement, que le financement de différents régimes, assurance maladie et assurance chômage, comprend une part croissante de financements issus de l’impôt. Depuis 2018, une fraction de la CSG Contribution sociale généralisée s’est ainsi substituée à la part salariale des contributions des entreprises au financement de l’assurance maladie et de l’assurance chômage.
L’intervention financière de l’État est incontournable, sauf à augmenter le niveau de contribution des entreprises »La formation professionnelle et l’apprentissage n’échappent pas à ces évolutions. L’État a lancé, en 2018, avec le PIC Plan d’investissement dans les compétences , un ambitieux programme pour améliorer, quantitativement et qualitativement, la formation des demandeurs d’emploi. Ce programme est financé d’une part, par une fraction de la contribution des entreprises au financement de la formation professionnelle, et non sur celle de l’assurance chômage, mais aussi, à parité, par l’État. L’apprentissage a fortement progressé. Cette hausse génère des dépenses bien supérieures aux ressources issues des contributions des entreprises. Le CPF Compte Personnel de Formation , parce qu’il est transférable, et donc mobilisable quel que soit son statut tout au long de sa vie active, est désormais dans une logique qui dépasse les enjeux immédiats de l’entreprise. Les besoins d’adaptation dans l’emploi et de reconversion sont massivement financés avec le plan de relance, par l’État via le FNE Fonds national de l’emploi (quelle que soit son utilisation : pour l’activité partielle, l'APLD Activité partielle de longue durée , le soutien aux entreprises en difficulté, la mise en place de « Transitions collectives »). Il faut être clair : l’intervention financière de l’État est incontournable, sauf à augmenter le niveau de contribution des entreprises.
Le mot autonomie est donc, pour le moins, paradoxal. Il s’agit donc plus de démontrer ou réaffirmer en quoi les partenaires sociaux apportent une valeur ajoutée dans les choix et la mise en œuvre des politiques dans le cadre d’une nouvelle relation avec les autres partenaires. Il y a donc une dimension identitaire forte. En fait, l’exercice est exigeant pour eux, ne serait-ce que parce que, plus prosaïquement, l’évaluation, pour être crédible, doit porter également sur les dispositifs ou les outils dans lesquels ils sont plus particulièrement impliqués.
N’est-ce pas une bonne initiative de vouloir évaluer le dispositif de 2018 ?
Le manque de culture de l’évaluation est un problème en France. Donc tout ce qui permet de la développer est une bonne chose. La méthode va être importante. Il serait mieux qu’il y ait un « logiciel » de l’évaluation. De ce point de vue, les évolutions sont telles qu’il est important de traiter le sujet sous l’angle des enjeux auxquels nous sommes d’ores et déjà confrontés et ceux qui vont se révéler avec la reprise que nous espérons.
Vous estimez que les partenaires sociaux manquent d’ambition dans leur lecture de l’évolution de la formation professionnelle ?
Je ne dis pas que cette ambition n’existe pas. Je dis qu’elle n’est pas affirmée à ce stade. La photographie n’est intéressante que si elle donne un éclairage sur le film. Nous savons que nous avons devant nous des enjeux considérables, il faut les partager collectivement et cela concerne tout autant l’État que les entreprises au sens large, sans exclure les collectivités territoriales. Ensuite, il faut déterminer une ambition, mettre des moyens et corriger ce qui doit l’être. Si on considère que le développement des compétences est un sujet crucial, quelles conséquences en tirons-nous collectivement ? Il ne faut pas accentuer le côté « rétroviseur » mais plutôt le côté « projecteur ».
Tout en affirmant leur autonomie, les partenaires sociaux viennent de co-créer avec l’État le dispositif Transitions collectives…
C’est intéressant en effet de voir qu’ils sont parvenus avec l’État à créer un dispositif comme TransCo. Celui-ci reste cependant beaucoup trop complexe à ce jour et il mériterait d’être simplifié au regard du nombre d’acteurs et d’intervenants impliqués. La ministre du Travail et les partenaires sociaux ont indiqué que le dispositif est expérimental. La possibilité de faire des ajustements est donc intégrée. Cette question des reconversions et des passerelles devient essentielle en raison de la crise.
- D’une part, la crise économique d’aujourd’hui provoquée par la Covid-19 est un révélateur de nos forces et faiblesses et accentue les mutations en cours : la nécessité de réindustrialiser, la révolution numérique, la transition écologique, etc…
- D’autre part, les usages et pratiques de travail vont profondément changer. Il est certain qu’il restera quelque chose du télétravail qui aura été pratiqué pendant la crise de la Covid. Il en est de même, s’agissant de la formation, sur le développement de la formation à distance. Nous nous sommes tous habitués à faire de la visio-conférence, nous continuerons à en faire. Cela signifie que le secteur du transport sera durablement affecté, la restauration collective aussi, d’autres encore. Tous les secteurs impactés vont devoir muter, organiser des services différemment, changer de types de prestations.
Effets de rattrapage et plan de relance - il n’y en a pas eu à la suite de la crise 2008-2012 -, vont accélérer la vitesse de mutation dans les prochains mois.
Ces transformations devraient avoir des effets sur les compétences à adapter. Qu’en pensez-vous ?
Ne pas jouer « petits bras », au risque de ne pas se donner tous les atouts pour que l’économie française ne décroche pas »Les mutations économiques impliquent des évolutions des compétences. Il faut donc en tirer les conséquences en termes de moyens et de dispositifs. Et ne pas jouer « petits bras », au risque de ne pas se donner tous les atouts pour que l’économie française ne décroche pas. Les prochaines années vont être cruciales. Le soutien de l’État à court et moyen termes est indispensable. Comme le niveau de masse salariale baisse, nous n’aurons plus le même niveau de contributions alors que les besoins de formation s’accroissent. L’apprentissage a explosé, le CPF Compte Personnel de Formation augmente, le nombre de demandeurs d’emploi formés aussi. Ce sont des bonnes nouvelles et un investissement pour l’avenir. Mais on a déjà plus de dépenses qu’on a mobilisé de ressources. Le sujet n’est pas de savoir si l’État « va faire ou pas », il est obligé de faire… La question c’est combien, quand et comment ? Et pour y répondre, la première des questions est : avec quelle ambition ?
Le deuxième sujet consiste à stimuler l’investissement privé car l’État ne va pas pouvoir tout faire seul. C’est un sujet que les partenaires sociaux et peut-être plus particulièrement les organisations patronales doivent se poser. Le sujet principal c’est : comment dégager de la ressource supplémentaire ou, dit autrement, comment augmenter le niveau d’investissements en la matière. Après on peut toujours s’interroger sur l’amélioration de tel ou tel dispositif mais ce n’est pas, de prime abord, le sujet central.
À trop raisonner sur l’utilisation des contributions et une forme de « give my money back », on oublie l’essentiel : il nous faut investir fortement.
TransCo ne met-il pas en évidence l’inflation de dispositifs sur les mutations ?
C’est effectivement un sujet. Le renouvellement ou l’adaptation des compétences va donc être assez massif. Le sujet est complexe. Il faut des dispositifs simples pour ne pas rajouter à la complexité du sujet et des dispositifs. Je pense qu’il va falloir remettre à plat tous les dispositifs de mutation et de reconversion. La loi de 2018 n’anticipait pas une mutation aussi profonde et rapide que celle que nous connaissons. Il va falloir adapter et simplifier les dispositifs et leurs financements, à l’aune des enjeux de la crise actuelle.
D’ici la fin du quinquennat, que pourrait-on améliorer du dispositif de formation professionnelle issu de la réforme de 2018 ? L’absence de mutualisation des fonds pour les entreprises de 50 à 300 par exemple ?
Je ne suis pas certain que les diagnostics qui avaient justifié la sortie de l’obligation fiscale soient dépassés aujourd’hui. Il n’est pas du tout évident que la mutualisation soit si bénéfique que cela. Aujourd’hui, les entreprises de moins de 300 salariés ont à leur disposition des moyens financiers importants en provenance du FNE Fonds national de l’emploi formation pour former leurs salariés. À ce stade, ces financements ne sont pas pleinement mobilisés.
Ensuite, depuis 2014, on est passé d’une contribution obligatoire de 1,6 % de la MSB Masse salariale brute à 1 %. Pourquoi les branches les plus partisanes de la mutualisation n’ont-elles pas créé davantage de contributions conventionnelles ? La loi n’a jamais interdit ces contributions. Quand on revendique d’être autonome, pourquoi revendique-t-on une loi sur ce sujet ? Là encore, l’affirmation de l’autonomie est paradoxale sinon contradictoire.
Je suis un fervent partisan de « la démocratie sociale » et du rôle des partenaires sociaux mais il faut inventer un nouveau modèle ou du moins, de nouveaux usages. Est-ce que les conditions sont réunies aujourd’hui pour conclure des ANI Accord national interprofessionnel équivalents à ceux de 2014 et 2018 sur la formation professionnelle ? Ce n’est pas évident.
Parcours
Associé fondateur
Conseiller d’Élisabeth Borne à la formation professionnelle et à l’apprentissage
Conseiller de Muriel Pénicaud à la formation professionnelle et à l’apprentissage
En charge de l’interface avec le cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, pour assurer le lancement et la mise en œuvre de la réforme de la formation
Directeur Éducation Formation
Directeur adjoint à la direction Éducation Formation
Chef du service formation continue
Coordinateur régional pour la Formation professionnelle
Fiche n° 24387, créée le 21/07/2017 à 11:37 - MàJ le 10/02/2021 à 18:37
Quintet Conseil
• Cabinet de conseil en stratégie sociale, formation et raison d’être
• Création : octobre 2020 (par Antoine Foucher, Pauline Calmès, Damien Delevallée, Alain Druelles et Bertrand Lamberti, cinq anciens membres du cabinet de l’ex-ministre du Travail, Muriel Pénicaud).
• Missions : Accompagner les entreprises dans leur démarche de conjuguaison de business et de bien commun sur cinq champs :
- La stratégie sociale
- La raison d’être
- Les compétences
- Les relocalisations
- La stratégie de communication
• Président : Antoine Foucher
• Contact : François Coën
• Tél. : 06 77 82 56 94
Catégorie : Etudes / Conseils
Adresse du siège
66 rue Saint-Dominique75007 Paris France
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Fiche n° 10548, créée le 06/10/2020 à 01:14 - MàJ le 17/09/2024 à 17:53