« Nous défendons une bienveillance exigeante, structurée, mesurable » (Y. Desjacques, P. Rodet)
« Ce qui m’a frappé, c’est à quel point ce que nous avons écrit en 2017 reste d’actualité », constate le docteur Philippe Rodet
Fondateur / Médecin urgentiste @ Bien-être et Entreprise
Médecin urgentiste, Philippe Rodet intervient dans de grandes entreprises pour la mise en place de démarches de prévention et de management…
, coauteur avec Yves Desjacques
Consultant en stratégie sociale et RSE @ Consultant
(ancien DGA RH de grandes entreprises privées et collectivités publiques) du « Management Bienveillant » (Eyrolles, avril 2017). « Notre objectif n’était pas de moraliser, mais de démontrer que la bienveillance est un levier de performance durable pour l’ensemble des entreprises et des organisations », poursuit Yves Desjacques.
« L’augmentation du stress au travail est continue depuis 2008. La crise sanitaire a aggravé la situation. Et les chiffres que nous relevions alors, sur la démotivation, sur le désengagement, les effets du stress sur la santé, se sont tous confirmés. La démarche que nous proposions, articulant physiologie, psychologie et pratiques managériales, a trouvé un écho car elle répondait à un besoin profond », déclare le Docteur Rodet.
Yves Desjacques ajoute : « Le stress coûte 60 Md€ par an, soit environ 3 points de PIB
Produit Intérieur Brut
. L’absentéisme est à 6,7 % en moyenne. Ce ne sont pas des détails qui concernent les seuls DRH. Nous parlons bien ici d’indicateurs macroéconomiques. Et l’un des ressorts, c’est la perte de sens. Quand un collaborateur a un niveau de stress trop important, il se désengage. Ou il compense - par les drogues, l’alcool, les médicaments. Au Canada, la consommation de cannabis a explosé pendant le Covid. En Europe occidentale, la consommation de cocaïne a augmenté de 80 % depuis 2011, celle de kétamine suit la même courbe ascendante. Ce ne sont pas des anecdotes mais des signaux de détresse. »
« Le management bienveillant, c’est une forme de management exigeante, structurée, qui vise à concilier performance durable et santé des collaborateurs. Ce n’est surtout pas une posture molle ou une forme de gentillesse. C’est une capacité à mobiliser, à créer les conditions pour que chacun ait envie d’agir », détaille le Docteur Rodet.
Yves Desjacques et Philippe Rodet répondent aux questions de News Tank
Votre ouvrage sur le « management bienveillant », publié en 2017, est devenu une référence parmi les ouvrages consacrés au management avec plus de 25 000 exemplaires vendus. Comment analysez-vous ce succès durable qui semble montrer que le sujet demeure d’actualité ?
Yves Desjacques : Nous ne l’avions pas anticipé à ce niveau. Ce succès vient d’une convergence entre deux réalités. D’une part, une attente forte dans le monde du travail, un besoin de sens, d’humanité, d’un autre rapport à l’autorité et à la performance. D’autre part, notre complémentarité avec Philippe Rodet : lui, médecin urgentiste, moi, DRH. Cela a sans doute donné un angle original à l’ouvrage.
Notre objectif n’était pas de moraliser, mais de démontrer que la bienveillance est un levier de performance durable »Nous n’avons pas produit un énième livre de consultants, mais un livre de praticiens. Notre objectif n’était pas de moraliser, mais de démontrer que la bienveillance est un levier de performance durable pour l’ensemble des entreprises et des organisations. C’est ce mélange d’exigence et de connexion au réel qui est reconnu par les lecteurs.
Philippe Rodet : Ce qui m’a frappé, c’est à quel point ce que nous avons écrit en 2017 reste d’actualité. L’augmentation du stress au travail est continue depuis 2008. La crise sanitaire a aggravé la situation. Et les chiffres que nous relevions alors, sur la démotivation, sur le désengagement, les effets du stress sur la santé, se sont tous confirmés. La démarche que nous proposions, articulant physiologie, psychologie et pratiques managériales, a trouvé un écho car elle répondait à un besoin profond. Et elle s’est révélée efficace. Dans les entreprises où nous avons pu la mettre en œuvre, les résultats sont là : baisse du stress, augmentation de l’engagement, meilleure cohésion des équipes.
Huit ans après la publication de votre ouvrage, comment définiriez-vous aujourd’hui le management bienveillant ?
Philippe Rodet : C’est une forme de management exigeante, structurée, qui vise à concilier performance durable et santé des collaborateurs. Ce n’est surtout pas une posture molle ou une forme de gentillesse. C’est une capacité à mobiliser, à créer les conditions pour que chacun ait envie d’agir. Nous avons formalisé cela autour de trois temps : la sensibilisation via des conférences interactives, l’incitation à tester des pratiques dans un délai court, puis un ancrage dans la durée, avec des rappels, des outils de suivi, des échanges entre pairs.
En valorisant les qualités des attitudes managériales, vous soutenez une dynamique collective »Yves Desjacques : Nous avons intégré cette démarche dans les systèmes d’évaluation des managers. Dans certaines entreprises, jusqu’à 30 % de la part variable des managers dépend de leur capacité à incarner ces comportements de management bienveillant. Parce que si vous rémunérez seulement la performance brute, vous créez de la pression court-termiste. En valorisant les qualités des attitudes managériales, vous soutenez une dynamique collective. C’est une condition de pérennité de la démarche de management bienveillant. Avec une telle démarche structurée, le directeur des ressources humaines et le directeur général peuvent quitter l’entreprise, la culture reste si l’ensemble des managers de terrain sont formés et convaincus.
Quels sont les effets concrets observés dans les entreprises ayant déployé cette culture managériale ?
Philippe Rodet : Dans un grand groupe français où la démarche a été appliquée à grande échelle, nous avons fait réaliser une enquête par BVA pour en évaluer les effets. Résultat : un taux d’engagement de 51 %, contre 28 % en moyenne nationale à l’époque, toutes entreprises confondues. Nous avons enregistré un taux de stress nettement inférieur à ce qu’on observe ailleurs. C’est ce type de preuve qui fait la différence. Le stress ne baisse pas parce qu’on le souhaite, mais il baisse quand l’organisation change, quand le management change.
Yves Desjacques : Cette efficacité ne dépend pas du contexte culturel. J’ai vu la même dynamique en France, en Amérique latine, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Parce qu’il ne s’agit pas de méthode imposée, mais d’un cadre qui met l’humain au centre. Ce que j’ai observé en Colombie ou au Brésil, c’est une résonance presque spirituelle vis-à-vis de cette approche. Le sentiment que le travail peut redevenir un lieu d’épanouissement et non plus seulement un lieu de contrainte.
Le lien entre stress, engagement et performance semble être l’un des fondements de votre thèse. Pouvez-vous nous l’expliquer plus en détail ?
L’organisme humain n’est pas conçu pour fonctionner en tension permanente »Philippe Rodet : Le stress est un phénomène physiologique. Il survient quand une personne perçoit un écart entre les contraintes auxquelles elle est soumise et les ressources dont elle pense disposer. Si l’écart est ponctuel et que des ressources sont là - soutien du manager, collectif solide - il n’y a pas de problème. Mais si l’écart se creuse et dure, la motivation chute, la performance s’effondre. C’est mécanique. L’organisme humain n’est pas conçu pour fonctionner en tension permanente. Il finit par craquer. Et c’est ce que nous voyons aujourd’hui dans les chiffres.
Yves Desjacques : 93 % des salariés se disent désengagés, 45 % en détresse psychologique. Le stress coûte 60 Md€ par an, soit environ 3 points de PIB. L’absentéisme est à 6,7 % en moyenne. Ce ne sont pas des détails qui concernent les seuls DRH. Nous parlons bien ici d’indicateurs macroéconomiques. Et l’un des ressorts, c’est la perte de sens. Quand un collaborateur a un niveau de stress trop important, il se désengage. Ou il compense - par les drogues, l’alcool, les médicaments. Au Canada, la consommation de cannabis a explosé pendant le Covid. En Europe occidentale, la consommation de cocaïne a augmenté de 80 % depuis 2011, celle de kétamine suit la même courbe ascendante. Ce ne sont pas des anecdotes mais des signaux de détresse.
En quoi la bienveillance est-elle un antidote à cette situation ?
Philippe Rodet : Elle agit à deux niveaux. Elle recrée du lien et de la sécurité, ce que nous appelons les facteurs de protection. Et elle donne envie d’agir. Des études sur des enfants stressés montrent que ceux ayant un entourage protecteur ne présentent pas d’atrophie de l’hippocampe qui est une zone du cerveau essentielle à la mémoire et à la gestion émotionnelle, alors que ceux livrés à eux-mêmes voient leur hippocampe rétrécir. Chez l’adulte, le même phénomène se produit. Si vous avez un entourage bienveillant, vous êtes plus résilient. Le stress cardiovasculaire, par exemple, augmente de 49 % chez les personnes protégées, mais de 103 % chez celles isolées. Ce sont des chiffres massifs.
Avec le Docteur Rodet, nous avons développé le concept de “Bienveilleurs” »Yves Desjacques : À cela s’ajoute le rôle puissant du collectif dans l’entreprise. Avec le Docteur Rodet, nous avons développé le concept de “Bienveilleurs” : des collaborateurs formés à être attentifs aux autres, un peu comme les secouristes du travail. Ils deviennent des capteurs et des appuis. Nous constatons que ces Bienveilleurs conservent cette posture, même lorsqu’ils changent d’entreprise. Ce sont des relais précieux, car ils incarnent la démarche. Le management bienveillant n’est pas seulement un projet de transformation : c’est un changement de culture.
Mais cette notion n’est-elle pas en train d’être galvaudée ? On voit fleurir des références à la bienveillance et un management bienveillant un peu partout…
La gentillesse a ses mérites, mais elle ne suffit pas à transformer une organisation »Yves Desjacques : Il y a là un véritable danger. Certains se réclament de cette approche sans jamais l’avoir pratiquée. D’autres l’assimilent à de gentillesse, alors que ce sont deux choses différentes. La gentillesse a ses mérites, mais elle ne suffit pas à transformer une organisation. Et surtout, à force de parler de bienveillance sans rigueur, on vide le mot de son sens. Il devient tiède, sympathique, mais inefficace. Ce que nous défendons, c’est une bienveillance exigeante, structurée, mesurable.
Philippe Rodet : Je suis souvent frappé de voir des entreprises organiser une conférence sur la bienveillance… et s’arrêter là. Comme si le simple fait d’en parler suffisait. Mais si le manager n’est pas incité, n’est pas accompagné, s’il n’est pas outillé, rien ne change. Pire : les collaborateurs perçoivent le décalage entre le discours et la réalité, ce qui crée de la défiance. Le management bienveillant ne peut pas être cosmétique. Il doit être ancré dans le réel.
Comment garantir la pérennité de la démarche, au-delà des effets d’impulsion ?
Yves Desjacques : Nous devons absolument faire sortir le sujet des cénacles RH. Tant que ma démarche reste cantonnée à un cercle de convaincus, elle ne diffuse pas. Notre objectif premier, lorsque nous avons publié notre ouvrage en 2017, c’était précisément de contribuer à cette diffusion. Le management bienveillant doit irriguer les évaluations, la formation continue, les référentiels de compétences. Et surtout, il doit être porté par des managers de terrain. Une DRH qui change ne doit pas faire tout basculer. Si les pratiques sont intégrées dans le quotidien, elles tiennent. C’est aussi pourquoi nous avons insisté sur la reconnaissance managériale : si vous rémunérez aussi les comportements, vous les stabilisez.
Philippe Rodet : Et il faut encourager l’effort, pas seulement le résultat. Sundar Pichai, le CEO Chief Executive Officer de Google, dit qu’il faut adresser le compliment au moment de l’effort, sinon la personne ne tiendra pas. C’est exactement cela. Si vous attendez le succès pour reconnaître le travail, vous ratez l’occasion de renforcer la motivation. La motivation, c’est l’envie. Et l’envie, c’est ce qui permet de durer.
Est-ce un sujet à enseigner dans les écoles de management ?
Les écoles forment des dirigeants sans parfois les former… à diriger »
Yves Desjacques : Absolument. Mais aujourd’hui, les écoles forment des dirigeants sans parfois les former… à diriger. Le mot “management” est absent de nombreux cursus. C’est une aberration et c’est très dommageable car un manager mal formé reproduira ce qu’il a subi. Il faut sortir de cette logique.
Philippe Rodet : Il faut, dès le collège, développer la coopération, l’engagement collectif, le sens de l’autre. On pourrait inciter les élèves à monter des projets associatifs, à agir pour le bien commun. Cela donnerait du sens à l’école, et préparerait à des comportements professionnels plus coopératifs. La RSE Responsabilité sociétale et environnementale pourrait aussi jouer ce rôle dans l’entreprise, si elle n’était pas seulement perçue comme une obligation administrative.
Comment pourriez-vous convaincre des dirigeants qui n’ont pas encore adopté la démarche d’investir sur le management bienveillant ?
Philippe Rodet : Essayez. Observez. Faites goûter. Comme en cuisine, on ne sait pas qu’un plat est bon tant qu’on ne l’a pas goûté. C’est pareil pour le management bienveillant. Il faut le vivre pour le comprendre.
Yves Desjacques : Et souvenons-nous de cette phrase attribuée à Saint Vincent de Paul : « C’est une ruse du diable d’imposer aux bonnes âmes de faire plus qu’elles ne peuvent, afin qu’elles ne puissent plus rien faire ». Le management bienveillant est une exigence de juste. Et aujourd’hui, il est devenu une nécessité stratégique.

Yves Desjacques
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DGA Ressources humaines
DGA du Groupe La Poste en charge des ressources humaines et des relations sociales
Directeur général délégué Groupe Vedior France
Directeur des Ressources humaines des fonctions Holding
Responsable des Ressources humaines, La France Assurances
Établissement & diplôme
DESS Ressources humaines
DEA Droit du travail et relations sociales
Maîtrise de Droit public
Fiche n° 26036, créée le 27/09/2017 à 15:21 - MàJ le 05/05/2025 à 12:02
Philippe Rodet
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Fiche n° 30354, créée le 03/05/2018 à 13:22 - MàJ le 05/05/2025 à 11:50