« Les TPE et leurs salariés, retard ou laboratoire ? » (Jean-Denis Combrexelle)
« “Combien de divisions ?” avait coutume de demander un Joseph Staline adepte du rapport de forces. Alors que le scrutin des salariés TPE
Très petite entreprise
est clos depuis le 09/12/2024, avec la crainte partagée d’un mauvais taux de participation, il est tentant de poser la même question à propos des TPE. Objectivement les divisions existent au regard des chiffres et des statistiques : plus de deux millions d’entreprises, un salarié sur cinq et 9 % du PIB
Produit Intérieur Brut
. Reste, pour reprendre une expression tirée de la météorologie, qu’il faut distinguer la réalité du “ressenti”. Celui-ci n’est pas exempt de paradoxe. »
Une analyse pour News Tank de Jean-Denis Combrexelle
Président @ ASR Conseil • Président de section honoraire @ Conseil d’État
, président de Combrexelle ASR Conseil, ancien directeur général du travail.
Dans notre vie quotidienne voire dans notre vie professionnelle nous avons en permanence affaire à des salariés travaillant dans des petites entreprises. La période du Covid a montré combien ils jouaient un rôle essentiel dans la vie économique et sociale d’un pays comme le nôtre. Et pourtant, dès que l’on parle d’un sujet important d’économie ou de social, nous avons tendance à les oublier.
La loi elle-même privilégie une approche méconnaissant la spécificité des TPE »Ainsi le décrochage relatif de notre économie sera vu à travers la multiplication des PSE Plan de sauvegarde de l’emploi des grandes entreprises en oubliant d’ailleurs les conséquences pour les petits sous-traitants, la question du pouvoir d’achat à travers les politiques salariales ou les dispositifs d’épargne salariale des entreprises du CAC 40, les questions de conditions de travail à travers les politiques de prévention et les résultats affichés par les grands donneurs d’ordres. Quant au climat social on ne le qualifiera le plus souvent qu’à l’aune des grands mouvements collectifs qui à intervalles (trop) réguliers scandent la vie des entreprises des transports.
Outre le prisme médiatique et politique, la loi elle-même privilégie une approche méconnaissant la spécificité des TPE.
La meilleure clef de compréhension du Code du travail n’est pas dans des multiples thèses et ouvrages savants écrits sur le sujet mais dans une image. Dans les caricatures et les dessins animés, l’entreprise est souvent représentée par un bâtiment avec un toit en ligne brisée et une grande cheminée qui fume. Dans l’imaginaire collectif, l’entreprise est ainsi représentée par une entreprise moyenne de province d’une centaine de salariés ayant une activité industrielle. Certes de telles entreprises existent, il faudrait même en augmenter le nombre dans un contexte de nécessaire réindustrialisation, mais cette représentation de l’entreprise est partielle. Pour autant elle est prégnante dans l’esprit de beaucoup de ceux qui confectionnent les lois concernant les entreprises.
Les organisations professionnelles ne sont pas restées inactives et ont lutté pour assurer une meilleure représentation des TPE »Elle est notamment le standard qui permet d’expliquer et de comprendre beaucoup des dispositions contenues dans le Code du travail. Les TPE sont alors appréhendées à travers les dérogations nécessaires qu’appelle ce standard. Dans ce contexte, la question des seuils, c’est-à-dire de la délimitation des champs respectifs entre le standard et les dérogations, revêt une extrême sensibilité.
Pour autant, les organisations professionnelles ne sont pas restées inactives et ont lutté pour assurer une meilleure représentation des TPE. La création, en 2016, de l’U2P • L’U2P est l’une des trois confédérations patronales représentatives• Création : novembre 2016 par les trois membres fondateurs de l’UPA (Capeb, Cnams, CGAD), rejoints par l’Unapl (Union nationale… regroupant sous un même fanion les artisans de l’UPA Union professionnelle artisanale (devenue « U2P » à l’issue du rapprochement avec l’UNAPL le 17/11/2016) et les professions libérales de l’UNAPL Union nationale des professions libérales (adhésion à l’UPA qui devient l’U2P le 17/11/2016) témoignent de cet effort salutaire dont le courage doit être souligné tant les regroupements sont difficiles et rares dans l’univers des partenaires sociaux.
Il en est résulté une organisation forte dont la légitimité et l’expertise sont reconnues tant par l’État que par les autres organisations patronales. Les rapports avec ces dernières peuvent certes varier en fonction d’aléas liés, par exemple, aux résultats de la représentativité ou à telle ou telle position prise lors d’une négociation interprofessionnelle. Mais il faut que chacun comprenne que, du point de vue de l’intérêt général et de l’équilibre du jeu, toute velléité de revendiquer une hégémonie ou de pratiquer dans le jeu du social un “abus de position dominante” par l’une des organisations professionnelles conduirait à s’interroger sur les règles de représentativité patronale et de validité des accords collectifs.
Dans un registre différent, l’Udes • Union des employeurs de l’ESS (Économie sociale et solidaire). Représente 22 groupements et syndicats d’employeurs (associations, mutuelles, coopératives) actifs dans 16 branches et secteurs… , eu égard au nombre important des TPE dans le champ de l’économie sociale, joue, elle aussi, un rôle important dans la représentation de ces entreprises.
La difficulté se concentre sur la représentation des salariés des TPE.
Ce scrutin reposait sur un pari risqué »Au moment de la réforme de la représentativité syndicale en 2008, beaucoup, y compris dans les plus hautes sphères de la République, avait implicitement fait le choix de l’économie du vote de ces salariés en considérant que la nouvelle représentativité devait être calculée par référence aux seuls résultats des élections des délégués du personnel et des comités d’entreprise, référence qui en droit et en fait excluait les TPE.
Il avait fallu à l’époque toute l’opiniâtreté des ministres du travail et notamment de Xavier Bertrand et de la DGT Direction générale du travail - Directeur général du travail , aidés en cela par un avis du Conseil d’État, pour faire prévaloir la nécessité tant politique que juridique d’un scrutin spécifique qui sera finalement organisé par la loi du 15/10/2010. Ce scrutin reposait sur un pari risqué.
D’abord, il fallait tout construire car on ne pouvait pas s’appuyer sur un scrutin existant, c’était la première fois que l’on construisait, ab initio, un scrutin spécifique pour les salariés des TPE. Ce défi fut relevé grâce aux efforts conjugués du ministère du travail et des partenaires sociaux réunis au sein du HCDS Haut Conseil du Dialogue Social qui surent surmonter leurs critiques et appréhensions au nom d’un grand sens des responsabilités.
Il y avait ensuite une interrogation sur les résultats de cette élection, le pire étant des résultats totalement incohérents qui auraient fait perdre toute légitimité et crédibilité à ce scrutin. Cette inquiétude se révéla très vite sans fondement mais le moins que l’on puisse dire est qu’elle était partagée par tous les acteurs à la minute de la sortie informatique des résultats en 2012.
Restait la question du taux de participation avec non seulement un taux relativement bas (10,38 %) en 2012 qui n’a fait que décroître au fur et à mesure des cycles de représentativité (5,44 % en 2021).
L’État et les partenaires sociaux se renvoient la balle quant à la responsabilité de cet échec.
En dépit de tout, il faut maintenir ce scrutin »Le premier reproche aux seconds de ne pas être suffisamment investis et performants sur le sujet quant aux seconds ils reprochent au premier son manque d’effort budgétaires et organisationnels en matière de communication. On retrouve ainsi le petit jeu, que l’on a connu, époque aujourd’hui révolue, lors des nuits de l’élection prud’homale lorsque les secrétaires généraux des organisations syndicales et professionnelles et les représentants de l’État se reprochaient mutuellement, et vivement, le faible taux de participation au scrutin.
La première chose à dire est que, en dépit de tout, il faut maintenir ce scrutin, ceci pour le principe qui veut que l’on ne peut et ne doit exclure d’un trait de plume les cinq millions de salariés des TPE du jeu social.
La deuxième est qu’il y a eu des efforts réels des organisations syndicales ainsi que des organisations professionnelles concernées auquel il faut ajouter l’implication de l’Etat et des services publics. La recherche d’un responsable principal est vaine, tout le monde doit réfléchir et agir dans son propre couloir de course.
Ce sera ensuite au HCDS et au ministre du Travail d’en tirer les conséquences.
Pas plus que d’autres, l’auteur de ces lignes n’a une recette miracle.
Je me bornerai à souligner que c’est peut-être davantage plus dans la sociologie qu’il faut rechercher les causes de l’abstention. Comme le montrent les sondages, les Français font maintenant plutôt confiance aux syndicats dans les rapports avec les entreprises et beaucoup moins en matière de politiques sociales nationales.
Or, par rapport à ce constat général, les salariés des TPE, à la différence des salariés travaillant dans les grandes et moyennes entreprises, considèrent que leur sort dépend davantage de la relation personnelle qu’ils peuvent avoir avec leur employeur que des dispositifs collectifs mis en place par le Code du travail. Dans ce contexte, le scrutin national organisé spécifiquement pour eux revêt un faible enjeu ce qui ne veut pas dire pour autant, loin de là, qu’ils se désintéressent de leurs conditions de travail.
On peut se demander si, plutôt que de retard, il ne faudrait pas plutôt parler d’anticipation d’évolutions futures »Dans la recherche des solutions, il ne faudra pas néanmoins se tromper d’approche.
La pente pourrait être de considérer que le monde des salariés des TPE est en retard par rapport au modèle des salariés des PME petites et moyennes entreprises et grandes entreprises.
Non sans paradoxe, on peut se demander si, plutôt que de retard, il ne faudrait pas plutôt parler d’anticipation d’évolutions futures.
Le défi actuel du scrutin TPE sera celui des moyennes et grandes entreprises dans dix ans »La question des prochaines années sera, en effet, la place des dispositifs collectifs du Code du travail, ceci dans un contexte d’individualisation croissante des relations de travail voulue principalement non par les employeurs mais par les salariés eux-mêmes et plus particulièrement par les jeunes générations.
Il faut d’ores et déjà réfléchir dans la perspective des dix prochaines années à l’articulation entre ce qui relève de l’individuel et ce qui relève du collectif en étant au surplus imaginatif sur les évolutions substantielles des dispositifs collectifs.
Autrement dit, le défi actuel du scrutin TPE - faire en sorte que l’individuel ne délégitime pas totalement le collectif - sera celui des moyennes et grandes entreprises dans dix ans !
Jean-Denis Combrexelle
Président @ ASR Conseil
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Directeur de cabinet du Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Professeur associé
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Directeur adjoint des affaires civiles et du sceau
Établissement & diplôme
Licence, Droit public
Fiche n° 30740, créée le 23/05/2018 à 14:44 - MàJ le 10/12/2024 à 10:26