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« L’acte 2 de la réforme du travail est une opportunité à saisir » (Benoît Serre, ANDRH)

News Tank RH - Paris - Entretien n°314525 - Publié le 08/02/2024 à 14:15
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Benoît Serre - © DR.

« L’annonce d’un acte 2 de la réforme du travail me semble majeure, mais nous ne savons pas encore précisément ce que le Gouvernement entend insérer dans cette deuxième réforme. L’annonce, le même jour, de la semaine des quatre jours dans l’administration de l’État, quand c’est possible, prouve que certains éléments de la transformation du travail sont reconnus au plus haut niveau », déclare Benoît Serre Partner & director HR - People strategy @ Boston Consulting Group (BCG) • Vice-président puis vice-président national délégué @ Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
, vice-président délégué de l’ANDRH • Association loi 1901 au service des professionnels des ressources humaines représentant les entreprises et organisations de tous secteurs d’activité et de toutes tailles, publiques et privées… , dans un entretien à News Tank le 08/02/2024.

« Des thèmes comme la comptabilisation du travail, l’organisation, la responsabilité, notamment, pourraient être au cœur de cet acte 2. Certains regrettaient, poour mémoire, que ces sujets n’aient pas été traités en même temps que la réforme des retraites, voire avant elle. Les assises du travail ont ouvert des pistes. Cet acte 2 doit être ambitieux, modernisant, réaliste et simplifiant. »

« Sortir les salariés de la smicardisation est un sujet incontestable. Parmi ses causes identifiées, la combinaison des six augmentations successives du Smic qui a amené certaines entreprises à ne pas pouvoir adapter les niveaux de rémunération de salariés payés un peu au-dessus du Smic. Il s’agit d’un phénomène conjoncturel, qui se réglera de lui-même en deux ans. À cela s’ajoute la multiplication des aides aux bas salaires et les changements réguliers de la structure des cotisations sociales, qui conduisent à la perception d’un écart entre le salaire brut et le salaire net, qui est très mal vécue par les salariés. »

« Le sujet n’est pas nouveau, mais cette fois il est mis sur la table de façon très claire par le Premier ministre Gabriel Attal Député de la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine @ Assemblée nationale
avec l’affirmation que le travail doit payer. »


Benoît Serre répond aux questions de News Tank

Le Premier ministre entend sortir les salariés de la “smicardisation”. Quel est l’enjeu pour les DRH ?

Le sujet de la smicardisation est incontestable »

Le sujet de la smicardisation est incontestable et il résulte de la combinaison des six augmentations successives du Smic au cours des derniers mois. Nous avons aujourd’hui en conséquence 17,3 % de la population active au Smic, soit un point de plus que l’année dernière. Certaines entreprises n’ont, en parallèle, pas pu adapter les niveaux de rémunération de salariés rémunérés un peu au-dessus du Smic et qui se retrouvent rattrapés par ce dernier. Il s’agit d’un phénomène conjoncturel, qui se réglera de lui-même en deux ans. Le secteur public est d’ailleurs également concerné, avec 700 000 agents qui se retrouvent aujourd’hui rémunérés aux minima de la fonction publique. Voilà donc un sujet que les DRH ont en commun avec le Gouvernement.

À cela s’ajoute l’autre phénomène pointé du doigt par le Premier ministre : la multiplication - qui peut faire penser à un empilement - des aides aux bas salaires et les changements réguliers de la structure des cotisations sociales. Elles conduisent à la perception d’un écart entre le salaire brut et le salaire net qui est très mal vécue par les salariés. Une augmentation de 100 € brut donne une cinquantaine d’€ de pouvoir d’achat au salarié pour un coût proche de 200 € pour l’entreprise. Cet écart important entre le coût pour l’entreprise - notamment les PME et TPE Très petite entreprise  - et le salaire net donne aux salariés le sentiment qu’ils ne sont pas récompensés de leurs efforts. Nous avons, en outre, l’effet du nombre important d’emplois créés dans des métiers du social qui sont caractérisés par de faibles niveaux de rémunérations. Le sujet n’est pas nouveau, mais cette fois il est mis sur la table de façon très claire par le Premier ministre Gabriel Attal avec l’affirmation que le travail doit payer.

Cet écart entre le net et le brut n’est-il pas lié au pacte social à la française caractérisé par un niveau élevé de protection sociale ?

Les salariés ont donc le sentiment de payer fort cher un modèle social qui fonctionne de moins en moins bien »

L’image même de ce pacte social est abîmée aujourd’hui, car les salariés ont le sentiment que les services publics se dégradent, qu’il s’agisse de l’école ou de la santé. Les salariés ont donc le sentiment de payer fort cher un modèle social de grande qualité, en théorie, mais qui fonctionne de moins en moins bien, ce qui ne remet pas en cause la qualité des agents. Or ces difficultés se posent dans un monde du travail en pleine transformation. Nous avons là de véritables sources de tensions sociales et il suffit à cet égard de se remémorer les désaccords majeurs pendant le conflit des retraites. Ces tensions ont été bien moindres au sein des entreprises, comme s’il existait une distorsion entre ce climat social général et le climat dans une sorte de bulle sociale que constituerait l’entreprise.

Comment résoudre cette équation ?

Partage de la valeur au sein de l’entreprise : l’ANI retranscrit dans la loi nous offre des pistes »

Nous pouvons avancer sur la question d’un meilleur partage de la valeur au sein de l’entreprise et l’ANI Accord national interprofessionnel , retranscrit dans la loi, nous offre des pistes. Nous pourrions peut-être sortir de cette smicardisation avec une augmentation du revenu disponible, non pas mensuel mais annuel, grâce à des dispositifs de partage de la valeur mieux construits, à condition de changer les conditions de déblocage de cet argent. La perspective de création du CETU Compte épargne temps universel , qui est un des sujets de l’ANI en cours de négociation sur le pacte de la vie au travail, pourrait contribuer lui aussi à l’augmentation du revenu global, que nous appelons total cash annuel dans notre jargon de DRH.

S’agissant d’ailleurs de la priorité donnée aux revenus issus du travail, il faudra veiller aux effets de bords de la disparition de l’ASS Allocation de solidarité spécifique , qui ne nécessite pas d’activité en contrepartie pour faire basculer ses bénéficiaires vers le RSA Revenu de solidarité active . Si l’ASS permet de valider des trimestres de cotisation de retraite, ce n’est pas le cas du RSA. Or la mesure intervient après la réforme des retraites qui prolonge la durée de travail de deux ans pour accéder à la retraite. Pour des salariés seniors qui peinent à obtenir une retraite à taux plein, le passage de l’ASS au RSA risque de compliquer encore leur accès à cette retraite. Pour éviter cet effet de bord, le plus simple serait d’exclure de cette réforme les salariés âgés de plus de 58 ou 59 ans. Je m’étonne d’ailleurs que le sujet de l’emploi des seniors n’ait pas été abordé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale.

Le Gouvernement annonce un acte 2 de la réforme du marché du travail. S’agit-il d’une bonne nouvelle pour les DRH ?

L’annonce me semble majeure, mais nous ne savons pas encore précisément ce que le Gouvernement entend insérer dans cette deuxième réforme du marché du travail. L’annonce, le même jour, de la semaine des quatre jours dans l’administration de l’État, quand c’est possible, prouve que certains éléments de la transformation du travail sont reconnus au plus haut niveau. Tout cela forme une opportunité dans cet acte 2 qui doit prendre en compte ces transformations autant que possible.

Des thèmes comme la comptabilisation du travail, l’organisation, la responsabilité pourraient être au cœur de cet acte 2 »

Des thèmes comme la comptabilisation du travail, l’organisation, la responsabilité, notamment, pourraient être au cœur de cet acte 2. Certains regrettaient pour mémoire que ces sujets n’aient pas été traités en même temps que la réforme des retraites, voire avant elle. Les assises du travail ont ouvert des pistes. Cet acte 2 doit être ambitieux, modernisant, réaliste et simplifiant. Je note toutefois que la mission d’évaluation des ordonnances travail qui ont constitué l’acte 1 de cette réforme a salué un certain nombre de succès. Il reste la question fréquemment soulevée par les organisations syndicales de la disparition des CHSCT Comité d’hygiène, de santé et de sécurité au travail . Je considère que le problème semble résolu dans de nombreuses entreprises grâce à la création des CSSCT Commission santé sécurité et conditions de travail , même si on peut encore améliorer leur fonctionnement. Si nous allons vers une simplification ou une remontée des seuils pour les TPE/PME, demande récurrente de la CPME, pourquoi pas. Mais attention à garantir un dialogue social. Une représentativité crédible peut être maintenue en innovant dans le rapport employeur/employé.

Comment réagissez-vous à la proposition du député Marc Ferracci Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie @ Gouvernement de Michel Barnier • Député des Français de l’étranger (Suisse, Liechtenstein… de permettre, aux entreprises nouvelles, de déroger aux accords de branches notamment en matière de rémunération ?

J’entends cette idée, qui peut être utile, à condition de prévoir quelques verrous. À défaut, nous risquons de créer de nouveaux facteurs de déséquilibres dans un contexte de guerre des talents, entre des entreprises nouvelles tentées d’utiliser cette dérégulation et des entreprises en bonne santé économique offrant des salaires supérieurs. J’ai quelques difficultés à articuler cette proposition avec celle du Premier ministre de désmicardiser le pays. Je crois davantage dans la simplification de la vie administrative des entreprises, en particulier de celles nouvellement créées et dans une réflexion sur le coût du travail.

Au sein de l’ANDRH, nous sommes impatients d’avancer sur cet acte 2 »

Nous sommes impatients d’avancer sur cet acte 2 au sein de l'ANDRH, et nous souhaitons apporter notre pierre à cet édifice comme les autres acteurs du marché du travail. Nous travaillons actuellement au sein de l’association pour faire émerger des propositions sur des sujets comme le temps de travail, l’organisation du travail sur le management ou encore sur l’aménagement du télétravail, tout en poursuivant nos actions pour l’emploi des seniors et le partage de la valeur par exemple.

Comme DRH, comment accueillez-vous la volonté du Gouvernement de tester la semaine en quatre jours dans les administrations ?

C’est une autre annonce majeure, car elle prend acte de la transformation profonde du travail. J’oserais dire : enfin ! En revanche, il faut aborder le sujet en prenant en compte la santé au travail, qui est le sujet numéro un pour les DRH dans le monde. La semaine sur quatre jours correspond en tout état de cause à une intensification du travail, dont il faut mesurer l’impact. Il faut aussi tenir compte des enjeux managériaux car l’entreprise reste un lieu de lien social et d’échange. Beaucoup confondent la semaine de quatre jours, qui correspond à quatre jours de travail consécutifs et la semaine de travail en quatre jours, qui peuvent ne pas être consécutifs. C’est bien cette formule qui a été évoquée par le chef du Gouvernement et il ne s’agit donc pas d’une semaine comprise entre le lundi et le jeudi ou entre le mardi et le vendredi. L’autre question posée sera de savoir si une telle semaine en quatre jours serait, ou non, compatible avec du télétravail. Ensuite, il faudra mesurer l’impact de cette organisation sur le collectif.

La plupart des entreprises qui ont à ce jour mis en place la semaine de quatre jours l’ont assortie d’une réduction du temps de travail. Pourquoi pas si elles le peuvent ? Nous sommes un pays dans lequel le volume de travail horaire est déjà plus faible qu’ailleurs, ce qui rend une nouvelle réduction générale du temps de travail hypothétique. L’idée de prolonger par ailleurs les carrières de deux années, par le biais de la réforme des retraites, tout en réduisant le temps de travail hebdomadaire, me semble assez peu logique. L’essentiel est de laisser les entreprises décider pour éviter avec ces réflexions de retrouver la démarche monolithique de la mise en place des 35 heures, avec les dégâts que l’on sait sur les organisations comme sur les individus.

L’émergence des outils d’IA Intelligence artificielle générative risque-t-elle de percuter ces débats sur l’organisation du travail ?

Sur l’IA, la fonction RH doit réfléchir à son impact sur l’organisation mais aussi à son utilisation pour la fonction RH elle-même »

Le plus important est que tous ces sujets sont désormais posés au plus haut niveau de l’État. Sur l’IA générative, la question posée au DRH n’est pas de savoir ce que peut faire l’IA, mais bien de choisir ce que je veux que mes collaborateurs fassent avec et sans l’IA. L’IA est une réalité inéluctable et sa montée en puissance est sidérante : nous sommes passés à 200 millions d’utilisateurs en trois mois alors qu’il a fallu huit mois à TikTok pour parvenir à 100 millions d’utilisateurs. Mais elle peut contribuer à revaloriser les métiers, à supprimer des tâches peu intéressantes. D’ailleurs, sur l’IA, la fonction RH doit à la fois réfléchir à son impact sur l’organisation, mais aussi à son utilisation pour la fonction RH elle-même. Cette double mission l’engage à être moteur dans l’entreprise de cette formidable technologie.

Benoît Serre


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Fiche n° 25040, créée le 29/08/2017 à 12:43 - MàJ le 14/11/2024 à 15:43

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