Réforme des retraites : Une voie pour sortir de la crise (Antoine Rémond, Groupe Alpha)
La réforme des retraites actuelle fait l’objet d’un rejet massif de la part du monde du travail comme l’illustrent l’unité syndicale, l’ampleur historique des mobilisations, leur durée, leur ancrage territorial, les enquêtes d’opinion. Le cœur du problème vient de ce que la réforme prolonge la baisse de la durée de la retraite en vigueur depuis les années 90 - l’augmentation de l’espérance de vie à 60 ans depuis cette période ayant été absorbée par la hausse de la durée d’activité - alors que les conditions de travail et d’emploi ne sont pas réunies pour un allongement de la durée de travail au cours de la vie active.
Une analyse d’Antoine Rémond
Responsable du pôle Études & Prospective du Centre Études & Data du Groupe Alpha @ Groupe Alpha • Directeur adjoint du Centre Études et Prospective (CEP) @ Groupe Alpha • Doctorat Sciences…
, responsable du pôle études & prospective du centre études & data du Groupe Alpha.
Le levier du relèvement de l’âge d’ouverture des droits : quelle modification des comportements ?
Le levier choisi pour restaurer l’équilibre financier du système de retraite repose sur l’élévation de l’âge effectif de départ à la retraite. Dans ce but, la réforme s’en remet essentiellement au relèvement de l’âge d’ouverture des droits qui, en repoussant l’horizon de la retraite, doit modifier les comportements des agents économiques et produire une augmentation du nombre de personnes en emploi à 60 ans et au-delà.
Mais cela se traduit aussi par une hausse de celles ni en emploi ni en retraite (chômage, maladie, invalidité, inactivité), comme l’a montré le relèvement de l’âge d’ouverture des droits de 60 à 62 ans. Ce coût social d’un recul à 64 ans n’a pas été estimé par le gouvernement.
Il serait certainement plus important que celui du recul à 62 ans pour deux raisons.
- Premièrement, le relèvement à 64 ans apparaît en décalage avec la réalité des entreprises qui absorbent encore les précédentes réformes. Ces dernières ne sont pas achevées et elles ont été menées à un rythme soutenu : relèvement de 4 mois par an de l’âge d’ouverture des droits, porté à 62 ans en 2016, et de l’âge d’annulation de la décote, porté à 67 ans en 2023, augmentation de la durée de cotisation à 43 ans à partir de la génération 1973.
D’ailleurs, dans les entreprises, les pratiques restent marquées par le recours fréquent aux préretraites.
En comparaison, le relèvement de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans s’étale de 2012 à 2029 en Allemagne, après avoir été décidé en 2007, et de 2012 à 2024 aux Pays-Bas.
- Deuxièmement, l’état de santé des seniors et leur capacité à prolonger leur activité sont moindres après 62 ans qu’à 60 et 61 ans, d’autant que l’adaptation de leurs conditions de travail et la prévention de la pénibilité ont été largement insuffisantes.
Une autre stratégie possible pour un objectif équivalent
Le gouvernement prévoit que le relèvement de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans se traduira par une augmentation de 300 000 personnes supplémentaires en emploi âgées de 55 à 64 ans en 2030, dont la majorité serait âgée de plus de 60 ans, soit une hausse de 6 points du taux d’emploi de cette tranche d’âge sur une période de sept ans.
Une autre stratégie permettrait de parvenir à un résultat équivalent, voire meilleur, comme le montrent les expériences d’autres pays européens.
Ainsi, sur une période de cinq ans, de 1997 à 2002, les Pays-Bas ont augmenté leur taux d’emploi des 55-64 ans de 10,5 points et la Finlande de 12 points ; de 2002 à 2007, en Allemagne, ce taux a augmenté de 13 points. Pour les seuls 60-64 ans, les hausses respectives du taux d’emploi ont été de 7,5, 8 et 10,7 points.
Dans les trois cas, cette évolution s’est produite sans recul de l’âge de la retraite.
Une augmentation de cette ampleur permettrait de résoudre le besoin de financement des retraites en France et serait même plus efficace que le relèvement à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits tel qu’il a été conçu par la réforme.
Faire de l’emploi des seniors une priorité politique
Elle suppose toutefois de faire de l’emploi des seniors une priorité politique. Cela n’est pas le cas en France où il est considéré comme un appendice des réformes des retraites visant à reculer l’âge d’ouverture des droits, ce qui débouche sur des dispositifs fragmentés dont les bilans se révèlent décevants. En Finlande, au contraire, nourri par les partenaires sociaux, un plan quinquennal pour les travailleurs vieillissants a été instauré de 1997 à 2002. Plusieurs autres plans ont suivi. Ils ont consisté à améliorer la capacité à rester sur le marché du travail et la motivation au travail grâce à des actions objectivées par un indice de capacité de travail, à améliorer les conditions de travail, à favoriser la formation permanente, à améliorer la santé des seniors, à développer des campagnes d’information et de communication.
Ce n’est qu’en 2005 que l’âge de la retraite a été modifié après que les conditions d’emploi et le climat social sont devenus plus favorables.
Une telle stratégie permettrait d’éviter le coût social engendré par un relèvement de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans. Elle suppose d’ériger la question du travail et de l’emploi des seniors en grande cause nationale, de s’appuyer sur une négociation exigeante entre partenaires sociaux et d’innerver plusieurs politiques publiques.
Changement culturel nécessaire dans les entreprises
Cette approche multidimensionnelle serait la base d’un changement culturel dans les entreprises dans la façon de considérer les seniors. La réforme prévoit une clause de revoyure en 2027. Un moyen de sortir de la crise serait de la repousser d’un an, pour lui donner un horizon quinquennal, et de l’utiliser pour faire un premier bilan de cette politique centrée sur le travail. Comme ses effets sur l’emploi des seniors ne seraient pas immédiats, d’autres sources de financement devraient être trouvées pour combler les besoins de financement du système de retraite car le COR souligne leur persistance depuis 2017 : à horizon 2030, ils étaient estimés à 0,7 point de PIB dans le rapport de 2017 et à 0,6 point de PIB dans celui de 2022 (convention EPR, scénario de productivité 1 %).
Cet enjeu devrait être traité à sa juste place, sans dramatisation excessive de la part de l’exécutif, ni négation comme ce fut le cas de 2017 à 2019.
Antoine Rémond
Responsable du pôle Études & Prospective du Centre Études & Data du Groupe Alpha @ Groupe Alpha
Dirige les publications « Défricheurs du social » (blog et Lettre). Ces publications sont accessibles sur le site Internet du Groupe Alpha : https://www.groupe-alpha.com/
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Parcours
Responsable du pôle Études & Prospective du Centre Études & Data du Groupe Alpha
Directeur adjoint du Centre Études et Prospective (CEP)
Chargé d’études
Établissement & diplôme
Doctorat Sciences économiques
Auditeur
Fiche n° 45471, créée le 04/03/2022 à 13:06 - MàJ le 07/06/2024 à 09:02