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Un nouveau monde du travail à explorer, mais surtout à bâtir (Didier Bouvelle & Loïc Jouenne)

News Tank RH - Paris - Tribune n°283016 - Publié le 15/03/2023 à 17:26
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Télétravail à l’opéra d’Oslo - © MG

L’année 2023 s’annonce tout aussi compliquée que révélatrice pour le marché de l’emploi en France. La liste des phénomènes reflétant, soit le malaise, soit une envie de changement des Français ne cesse de s’allonger.

Parmi les plus connus :

• la « grande démission », qui a touché plus de 500 000 personnes au premier trimestre 2022,
• les phénomènes du « quite quitting », et du « act your wage » en réaction au manque de reconnaissance et de prise en considération ressenti pas les salariés,
• le rejet des jeunes des environnements de travail à l’ancienne, notamment s’agissant de la relation hiérarchique,
• le rejet manifesté par une partie de la nouvelle génération, au nom de ses valeurs, des entreprises non respectueuses des droits de l’homme et/ou de l’environnement,
• le nombre croissant de créations d’autoentreprises qui, sans supplanter le modèle du salariat, ébranle néanmoins le paradigme de l’emploi stable et homogène.

Les conséquences de ces mouvements sociologiques inédits sont d’ores et déjà visibles sur le marché du travail : les entreprises peinent à attirer de nouveaux talents et à fidéliser leurs collaborateurs. Leur productivité est mise en danger, ainsi que leur performance. En 2022, le nombre de candidats pour une offre d’emploi a fortement chuté. Face à ce constat, l’immobilisme ou le déni ne sont plus permis. Il en va de la survie des entreprises et plus globalement de la compétitivité de notre pays. 

Didier Bouvelle et Loïc Jouenne, deux acteurs de l’emploi, livrent leur regard croisé et leurs propositions pour inverser cette tendance.


« Réconcilier la performance financière avec la prise en considération des collaborateurs » (Didier Bouvelle, dirigeant, acteur du monde de la formation et du management)

Alors que la crise sanitaire a mis en évidence l’importance du télétravail, l’agitation sociale actuelle, attisée par le projet de réforme des retraites, suscite un débat sur la qualité de vie et la relation au travail.

Face à cette problématique, diverses solutions ont été avancées telles que la semaine de quatre jours, les congés illimités, un nouveau modèle managérial davantage centré sur la quête de sens, l’engagement social et environnemental, le partage des fruits de la croissance, …  La boîte à outils ne manque pas de solutions, bien au contraire.

Pour autant, ne sommes-nous pas en train de nous perdre dans les méandres de toutes ces pistes, au risque de passer à côté de l’essentiel ?

Et si les collaborateurs aspiraient simplement et avant tout à être davantage pris en considération dans le cadre de leur travail ?

La recherche permanente de gains de productivité, de croissance et de transformations en tous genres, a massivement conduit les entreprises, notamment au cours des dernières décennies, à se concentrer très prioritairement sur leur performance financière. Elles ont ainsi progressivement, et parfois de manière insidieuse, relayé au second rang la valeur humaine. Or, dans un contexte de crises successives et de pertes de sens pour beaucoup, ce sujet devient désormais central dans le monde du travail. Les attentes des collaborateurs sont fortes et soulèvent une question fondamentale :

Comment réconcilier la recherche de performance financière avec la prise en considération de chaque collaborateur dans l’entreprise ?

Redéfinition nécessaire de la finalité de l’entreprise »

Pour répondre à cette question, une redéfinition de la finalité de l’entreprise est nécessaire. Celle-ci ne doit plus se limiter à la recherche de profits, mais doit également contribuer au bien-être de l’ensemble de ses parties prenantes, en particulier de ses collaborateurs. Une vision qui renvoie naturellement à une éthique des affaires plus responsable et plus respectueuse des valeurs humaines.

Pour y parvenir, des changements dans les pratiques managériales et dans les relations employés-entreprise sont incontournables. Il est donc essentiel de favoriser la participation et l’implication des collaborateurs dans les décisions importantes, de développer des formes de travail plus collaboratives, de valoriser la contribution de chaque employé à la réussite de l’entreprise, d’encourager l’expression de la créativité et plus globalement de favoriser un environnement de travail qui respecte la dignité humaine et s’intéresse au potentiel et aux aspirations de tous.

En somme, la recherche d’un équilibre entre la performance financière et la prise en considération de chaque collaborateur dans l’entreprise passe par une redéfinition de la finalité de l’entreprise, une réforme des pratiques managériales et une meilleure valorisation de la contribution individuelle des salariés.

Seule cette démarche permettra de retrouver du sens au travail, de favoriser l’accomplissement et l'épanouissement de chacun, et surtout, de contribuer au bien-être de la société dans son ensemble.

« Les relations sociales, source inépuisable d’épanouissement et de stimulation quand elles sont cimentées par la raison d’être » (Loïc Jouenne, consultant, associé-fondateur de ConvictionsRH)

Si les mots gardent un sens, y compris et a fortiori dans la sphère publique qui porte le verbe haut, la future transformation de l’opérateur « Pôle Emploi » en « France Travail » ne peut pas être réduite à un glissement sémantique anodin. Pour dépasser le slogan d’une France voulue plus « au travail », on peut raisonnablement imaginer que la France en effet travaille, comme le bois dont elle n’est pas toujours faite.

Et donc la France ploie, évolue, se déforme, se transforme dans sa relation au travail.

Parce que c’est bien toute la société française qui se trouble aujourd’hui quand on évoque le travail, l’effort qu’il exige, sa durée, sa pénibilité aussi comme le bien-être voire le plaisir qu’il peut susciter. Je n’ai pas la qualité d’un sociologue et donc la distance académique nécessaire, mais je me suis fait « quasi-ethnologue » en m’immergeant grâce à mon curieux métier de consultant dans des communautés de travail très différentes. Et qu’ai-je pu observer dans les institutions ou entreprises que j’ai traversées ?

Le travail n’est pas cet instrument de torture que les Latins nous ont légué »

Que le travail n’est pas cet instrument de torture que les Latins nous ont légué étymologiquement. Il est en revanche indéniablement synonyme d’effort, quel que soit le talent à l’origine ou la compétence native, et que dans cette mesure le chemin d’apprentissage (courbe ou rectiligne) doit être balisé, accompagné et soutenu tout au long d’une vie professionnelle, notamment parce qu’il favorisera la meilleure compréhension possible du « monde qui entoure » et des circonstances (au sens premier du terme).

Le statu quo finit par provoquer la frustration et la colère, l’immobilisme fonctionnel ou géographique tue l’envie, aussi sûrement que la défiance annihile toute forme de coopération efficace.

Les relations sociales, source inépuisable d’épanouissement  »

J’ai pu observer que les « relations sociales » sont une source inépuisable d’épanouissement et de stimulation quand elles sont cimentées par une mission fondamentale, la fameuse raison d’être… mais que cette dernière ne suffit malheureusement pas. Sinon comment expliquer le déficit d’attractivité majeur du métier d’enseignant, souligné à nouveau récemment par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Pap Ndiaye, alors qu’il s’agit là sans doute du « métier le plus riche de sens » de la République. Qui ne souffre en outre d’aucune structure hiérarchique verticale pesante, ce que les jeunes générations semblent désormais craindre : rejoignez-alors cette forme d’holacratie que constitue finalement la communauté des enseignants !

Jusqu’à la dystopie : une société demain de l’oisiveté, inactive ? »

Le mal serait-il plus profond, jusqu’à la dystopie : une société demain de l’oisiveté, inactive ? Ou au contraire faut-il considérer que la blessure est beaucoup plus superficielle et que seul le cadre, l’environnement et les stimuli doivent être retravaillés pour une expérience « augmentée » pour des publics de salariés et d’agents enclins demain à se laisser séduire par la promesse d’espaces de travail plus modernes, ouverts, « flex » et digitalisés, par un parcours d’on-boarding bien conçu, par une liberté accrue de télétravailler sans badgeage, par un « environnement de travail » sobre et engageant … ?   

Les grands artisans d’une nouvelle relation au travail pour tous : les managers de proximité »

Nous faisons le pari que l’imagination des DRH restera un moteur puissant pour réenchanter le monde du travail, avec un rôle clé pour ceux que je ne manque jamais de citer et de valoriser, et qui seront demain les grands artisans d’une nouvelle relation au travail pour tous : les managers de proximité, souvent animateurs de cercles d’influence, régulièrement au premier rang des mobilisations internes et de l’engagement de leurs équipes. Ne les laissons pas au bord du chemin, mettons-les à la table de la transformation et non pas au menu.  

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Télétravail à l’opéra d’Oslo - © MG