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Marché du travail : « Les entreprises doivent intégrer le pouvoir de choix des salariés » (M. Pénicaud)

News Tank RH - Paris - Entretien n°270590 - Publié le 18/11/2022 à 18:35
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Muriel Pénicaud - ©  D.R.

« Les compétences ne se trouvent pas sur étagère, il faut les fabriquer. Un million d’emplois ont été créés depuis 2017. Le taux de chômage a baissé de 9,7 à 7,3 %. La tendance s’est maintenue en dépit du Covid grâce aux mesures de soutien aux entreprises et à l’emploi, dont l’activité partielle que j’ai mise en place en mars 2020. Malgré les incertitudes économiques, la dynamique des embauches reste forte : 3 millions sont prévues en 2022 », déclare Muriel Pénicaud Fondatrice et présidente @ Fonds de dotation Sakura
, ministre du Travail de 2017 à 2020 et nommée administratrice de ManpowerGroup • Statut ManpowerGroup France : SAS, branche française du groupe mondial de services en ressources humaines (siège à Milwaukee, Wisconsin, États-Unis) • Création : 1957 en France (1948 aux… en novembre 2022, dans un entretien à News Tank le 18/11/2022. 

« Dans ce contexte plus favorable aux salariés, les entreprises doivent comprendre plusieurs enjeux : l’investissement dans l’humain est un élément stratégique de succès. Elles doivent intégrer le pouvoir de choix des salariés. Recruter, ce n’est plus seulement sélectionner, c’est d’abord séduire et négocier. Elles doivent tenir compte de la demande croissante, notamment chez les jeunes, de sens au travail, d’autonomie, de télétravail et de management bienveillant. »

« Le taux de chômage des personnes handicapées est encore de 14 %. Le taux d’emploi des seniors n’est que de 56 %. Le plein emploi n’existera pas si nous ne faisons pas progresser l’emploi des seniors, et de toutes les personnes dites vulnérables, qui ont beaucoup à apporter. C’est pourquoi nous devons réfléchir aux problématiques d’aménagement des carrières, de formation des seniors et de pénibilité au travail, au-delà d’un éventuel recul de l'âge de départ à la retraite. »

Interrogée sur le manque de financement de France compétences, qui a conduit à un ajustement de 5 % des coûts-contrats : « Je souhaite que les coûts-contrats se maintiennent. Ces financements ne doivent pas être perçus comme des coûts, mais comme des investissements dans les compétences et dans l’employabilité future de notre jeunesse. » En revanche pour l’ancienne ministre du Travail, « l’aide à l’embauche d’un apprenti avait pour objectif de maintenir la dynamique amorcée dès 2019 malgré la pandémie, mais cette aide a aujourd’hui vocation à être modulée ».


Muriel Pénicaud répond aux questions de News Tank

Votre fonction d’ambassadrice de la France auprès de l'OCDE Organisation de coopération et de développement économique pris fin en mars 2022. Quel bilan en tirez-vous ?

Deux faits marquants ont marqué ma période d’ambassadrice représentante permanente de la France auprès de l’OCDE  (entre septembre 2020 et mars 2022,ndlr) :

  • La taxation internationale de toutes les entreprises, notamment celles du numérique, qui profitent des différences de fiscalité entre les pays pour échapper à l’impôt ou le minimiser ;
  • La mise en place d'IPAC International Programme for Action on Climate , le programme international pour l’action sur le climat, qui prévoit un suivi annuel, une évaluation de l’efficacité des politiques publiques et un retour d’information sur les résultats et les meilleures pratiques menées dans chaque pays en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Les négociations pour la mise en place de ce programme ont nécessité huit mois de négociation pour parvenir à un accord unanime entre les 38 pays membres de l’OCDE. Lancé en mai 2021, l’IPAC bénéficie de l’expérience pluridisciplinaire hors pair que l’OCDE a accumulée de longue date dans la réalisation d’analyses factuelles. Il s’appuie sur les données, indicateurs, instruments d’action et recommandations que produit l’OCDE, avec l’aide de l’Agence internationale de l’énergie, du Forum international des transports et de l’Agence pour l’énergie nucléaire. Face à l’urgence du défi climatique, il est essentiel de disposer de robustes moyens de suivi de l’efficacité et d’évaluation pour vérifier que les mesures prises permettent réellement de tenir les engagements éclairer les plans d’action des pouvoirs publics.

Quelle a été votre contribution dans la mise en place de cet accord ?

Un milliard le nombre d’emplois changeront de nature d’ici 2030 »

C’est la France qui a proposé et impulsé le programme IPAC. J’ai donc mené ces négociations avec les autres pays membres de l’OCDE pour obtenir un accord, avec l’aide de mon équipe et le soutien du gouvernement français. J’y ai en outre introduit un sujet qui me tient particulièrement à cœur : celui de l’impact social de la transition écologique, qui me semble sous-estimé aujourd’hui. Au cœur de cet impact, outre le défi de l’accès de tous à l’énergie et l’électricité, le sujet de la transformation des emplois et des compétences est crucial. Différentes études estiment à un milliard le nombre d’emplois qui changeront de nature d’ici 2030, sous le triple effet de la transition climatique, de la transformation numérique, et de l’évolution démographique. C’est un phénomène que l’humanité n’a jamais connu à une telle échelle et avec une telle rapidité.

Comment faire pour adapter les compétences afin que les salariés d’aujourd’hui obtiennent les compétences des métiers de demain ? Le défi est de taille pour la communauté internationale et c’est pour ça que j’ai souhaité que l’IPAC contienne un volet d'évaluation de l’efficacité des politiques publiques en la matière. Un tableau de bord de l’action climatique présentera ainsi des indicateurs clés qui permettront de voir d’un coup d’œil les mesures adoptées par les pays, les progrès qu’ils ont accomplis dans la réalisation des objectifs climatiques et leurs trajectoires vers la neutralité en gaz à effet de serre au regard de leurs engagements. 

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que vous avez portée en tant que ministre du Travail, a été promulguée en septembre 2018. Quel bilan tirez-vous de cette loi, notamment en matière d’apprentissage ?

Je pensais, avant même d'être ministre du Travail, qu’une réforme de l’apprentissage était nécessaire dans notre pays. C’est pour cela que j’ai fait de cette réforme un des quatre éléments centraux de la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018, avec le soutien du président de la République. C'était une priorité absolue pour soutenir l’emploi des jeunes dans un contexte où leur taux de chômage atteignait 22 %.

830 000 apprentis : je ne pensais pas que l’engouement serait si fort et si rapide »

Les trois autres sujets majeurs étaient l’obligation de résultat en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes avec la création de l’Index Ega Pro, la création du droit universel à la formation avec le CPF Compte Personnel de Formation et l’appli « Mon compte formation », et le développement de l’insertion par l’activité économique (en particulier l’emploi des personnes handicapées).

Les attentes vis-à-vis de l’apprentissage me paraissaient fortes tant du côté des branches, des entreprises et des CFA Centre de formation d’apprentis  que du côté des jeunes. J’étais donc confiante dans le succès de notre réforme systémique. Mais je ne pensais pas que l’engouement serait si fort et si rapide. La dynamique s’est maintenue malgré la crise Covid, grâce notamment à l’aide à l’embauche d’apprentis que j’ai mise en place en début de crise. Notre pays compte aujourd’hui plus de 830.000 apprentis, alors qu’ils étaient 320.000 en 2018. C’est une grande joie pour moi d’avoir impulsé cette réforme et contribué à ce succès.

France compétences est en déficit structurel et l’investissement dans l’apprentissage est plus fort que jamais. Est-il temps de réduire cet investissement ?

L’aide à l’embauche d’un apprenti a aujourd’hui vocation à être modulée »

Il ne faut pas confondre les financements. L’aide à l’embauche d’un apprenti avait pour objectif de maintenir malgré la pandémie la dynamique amorcée dès 2019. Cette aide a aujourd’hui vocation à être modulée. Je souhaite en revanche, que les coûts contrats, c’est-à-dire l’investissement dans la formation de nos jeunes apprentis, se maintiennent. Ces financements ne doivent pas être perçus comme des coûts, mais comme des investissements dans les compétences et dans l’employabilité future de notre jeunesse. Le coût social et économique d’un manque d’investissement dans notre jeunesse serait bien plus important, tant socialement qu’économiquement. 

Je ne suis pas d’accord lorsque j’entends dire que la formation d’un apprenti coûte trop cher. Le coût de formation d’un apprenti, comme celui d’un lycéen, est d’environ 8.000 € par an. Cela n’a rien d’exorbitant. Au vu de la motivation des jeunes pour une grande diversité de métiers et du très bon niveau de leur insertion dans l’emploi, c’est un excellent investissement pour la Nation.

Il y a eu quelques abus du côté de CFA, très minoritaires. Ils doivent être rappelés à l’ordre. Par ailleurs, beaucoup de CFA ne disposent pas encore par ailleurs d’une comptabilité analytique, et n'évaluent pas encore avec exactitude leurs coûts de formation. Le système doit donc être régulé ce qui est normal. C’est le travail que mène actuellement France compétences.

J’alerte sur la nécessité de ne pas fragiliser financièrement les CFA, notamment les infra bac, qui ont beaucoup innové et investi et qui permettent à beaucoup de jeunes de trouver leur voie, de s’épanouir et de réussir leur vie professionnelle.

La réforme du CPF et le lancement de l’application « Mon compte formation » ont-ils permis un meilleur accès à la formation professionnelle ?

Le lancement du CPF en euros et de l’appli « Mon compte formation » était un vrai pari car aucun pays n’avait lancé ce type de droit universel à la formation, qui plus est via une application. C’est aujourd’hui un grand succès populaire : la plateforme a pris en charge 4 millions de formations depuis 2019. 

4 actifs sur 5 qui utilisent leur CPF pour se former sont des ouvriers et des employés »

L’accès à de nouvelles compétences est un levier majeur et incontournable de création de valeur de notre économie, et l’ampleur des transitions en cours généralise le besoin de transformation de ces compétences. Notre analyse était donc de dire que les entreprises ne pourraient pas, à elles seules, faire face au phénomène, et qu’il fallait donner plus d’autonomie et de capacité d’initiative aux salariés sur la formation pour qu’ils puissent librement se renforcer professionnellement, se donner les moyens d’obtenir une promotion, ou décider de changer de voie.

J’entendais dire à l'époque, par des détracteurs, que la réforme favoriserait encore la formation des salariés les plus qualifiés. Les chiffres leur donnent tort : 4 actifs sur 5 qui utilisent leur CPF pour se former sont des ouvriers et des employés, et 50 % sont des femmes. Or ce sont eux et elles qui accédaient très rarement à la formation auparavant. C’est pourquoi j’avais inscrit dans la loi un droit égal à la formation pour les salariés à temps partiel (dont 80 % sont des femmes) et ceux à temps plein.

Le CPF est donc un grand succès populaire qui a permis de renforcer les compétences de tous, et en premier lieu des moins qualifiés.

Faut-il rendre les formations éligibles plus professionnalisantes ?

Il n’y a que des formations professionnalisantes dans le CPF. Toutes les formations éligibles préparent en effet à des qualifications référencées au RNCP Répertoire national des certifications professionnelles . Les 5 formations les plus demandées portent sur les langues, le numérique, la création d’entreprise et le permis de conduire. Toutes ces formations sont professionnalisantes, y compris le permis de conduire, que j’ai fait ajouter à la liste classique des qualifications, quand on sait le frein à l’emploi que peut constituer l’absence de mobilité. 

Quels sont les axes d’amélioration du CPF ?

Tout d’abord, il faut lutter contre les abus d’organismes de formation frauduleux qui tentent de profiter du système pour se financer. Le Gouvernement et le Parlement ont pris le sujet à bras-le-corps et c’est une bonne chose.

L’abondement n’est pas suffisamment sollicité par les branches et les entreprises »

Il existe aussi une disposition dans la loi avenir professionnel qui n’est pas encore suffisamment sollicitée par les branches et les entreprises : l’abondement, faisable de façon très simple sur l’appli. L’idée du co-investissement entre l’entreprise (ou la branche) et le salarié est gagnante pour tout le monde. Elle permet aux branches ou aux entreprises en tension de recrutement de trouver les compétences qui leur manquent tout en donnant aux actifs (salariés ou demandeurs d’emploi) un accès à des formations qui parfois coutent très cher et à un emploi.

La plupart des entreprises ne connaissent pas cette disposition, ce qui explique sa faible utilisation. 

Vous déclarez dans une tribune publiée le 19/10/2022 que les entreprises doivent « changer de logiciel » dans le contexte actuel de tensions de recrutement. En quoi doit consister ce changement de logiciel ?

Un million d’emplois ont été créés depuis 2017. Le taux de chômage a baissé de 9,7 à 7,3 %. La tendance s’est maintenue en dépit du Covid grâce aux mesures de soutien aux entreprises et à l’emploi, dont l’activité partielle que j’ai mise en place en mars 2020. Malgré les incertitudes économiques, la dynamique des embauches reste forte : 3 millions sont prévues en 2022 (Pôle emploi). Les entreprises, dans ce contexte plus favorable aux salariés, doivent comprendre plusieurs enjeux :

  • Les compétences ne se trouvent pas sur étagère, il faut les « fabriquer ». L’investissement dans l’humain est aujourd’hui un élément stratégique de succès pour les entreprises ;
  • Elles doivent intégrer le pouvoir de choix des salariés. Recruter, ce n’est plus seulement sélectionner, c’est d’abord séduire et négocier ;
  • Elles doivent tenir compte de la demande croissante, notamment chez les jeunes, de sens au travail, d’autonomie, de télétravail et de management bienveillant.

La politique d’inclusion professionnelle est un des axes de votre loi avenir professionnel. Une meilleure inclusion est-elle une condition indispensable à l’atteinte du plein emploi ?

10 à 15 % de la population n’a pas accès au marché du travail, ou dans de mauvaises conditions. Il nous faudra donc aller chercher ces personnes si l’on souhaite répondre aux besoins de recrutement et atteindre le plein emploi. Le taux de chômage des personnes handicapées est encore de 14 %. Le taux d’emploi des seniors n’est que de 56 %. Le plein emploi n’existera pas si nous ne faisons pas progresser l’emploi des seniors, et de toutes les personnes dites vulnérables, qui ont beaucoup à apporter. C’est pourquoi nous devons réfléchir aux problématiques d’aménagement des carrières, de formation des seniors et de pénibilité au travail, au-delà d’un éventuel recul de l'âge de départ à la retraite.

De nouveaux dispositifs d’insertion et de maintien en emploi doivent etre trouvés. Notre défi collectif est de construire un futur du travail basé sur le plein emploi, l’évolution permanente des compétences, un marché du travail inclusif, et une meilleure qualité de vie au travail pour tous. 

Muriel Pénicaud


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Fiche n° 22836, créée le 17/05/2017 à 15:47 - MàJ le 13/07/2023 à 18:40


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