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Dialogue social : le pire des systèmes… à l’exception de tous les autres (Hubert Landier)

News Tank RH - Paris - Analyse n°246272 - Publié le 25/03/2022 à 19:43
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Hubert Landier - ©  D.R.

Le projet d’accord sur le dialogue social interprofessionnel, en cours de discussion, se présente comme une réponse du patronat et des syndicats aux empiétements de l’État sur ce qu’ils estiment relever des prérogatives des organisations professionnelles et syndicales.

Ces empiètements se seront notamment manifestés avec les « ordonnances Macron » de 2017, puis avec le sort réservé par l’État aux négociations sur l’assurance chômage en 2019. Les rapports entre les « partenaires sociaux » et l’État ont toujours été difficiles en France. Ce n’est pas nouveau. Les franchises urbaines furent obtenues par les villes médiévales au détriment des autorités seigneuriales et royales. Celles-ci réagissaient en s’efforçant de limiter le pouvoir des corporations, jusqu’à les dissoudre, une première fois avec Turgot (1776), une deuxième fois, plus durable, avec la Loi Le Chapelier (1791).

Ce qui apparaît ainsi, derrière les points de vue et les intérêts en présence, c’est une question philosophique. L’État est-il qualifié pour s’immiscer dans les rapports entre employeurs et salariés ? On parlera volontiers du « principe de subsidiarité ». Mais que faire lorsque l’exercice de celui-ci aboutit à des effets de bord sur l’intérêt général, dont l’État se veut le garant ? Le principe de subsidiarité doit-il s’imposer quand l’intérêt général est en cause ?

Une analyse de Hubert Landier Membre fondateur @ CIPAS (Centre international de préparation à l’audit social) • Secrétaire général @ Association Condorcet pour l’innovation managériale • Membre du bureau @ Institut Erasme
pour News Tank.


Les principes mis en avant par le projet d’accord

L’intervention de l’État

Quatre formes d’intervention, venant de l’État, étaient pointées par les négociateurs réunis au siège du MEDEF :

  • L’absence de consultation des « partenaires sociaux » en préalable, venant du gouvernement, à toute décision portant sur le champ qui est le leur, 

  • L’imposition par le gouvernement de son « agenda social », c’est-à-dire de son échelle de priorités, ceci sans que soient prises en compte les priorités des interlocuteurs sociaux,

  • Le cadrage par avance des objectifs et des résultats attendus des négociations sur des sujets imposés mais laissés à la main du patronat et des syndicats,

  • La modification substantielle du contenu de l’accord lors de sa transposition législative et réglementaire, lorsqu’elle est nécessaire.

Les orientations insérées par les partenaires sociaux dans leur projet d’accord

De là les orientations actuellement en cours de finalisation, et notamment celles-ci :

  • Création d’un « agenda social autonome » qui serait, selon le projet en cours de discussion, élaboré au mois de janvier de chaque année à partir des propositions des différentes organisations professionnelles et syndicales en vue de faire le point sur les priorités à traiter, d’anticiper les changements et de définir les priorités de chantiers à ouvrir au niveau national interprofessionnel,

  • Recadrage de l’article L1 du Code du travail en vue de permettre la consultation des organisations patronales et syndicales et, le cas échéant, une négociation préalable entre elles préalablement à tout projet de loi entrant dans le champ social défini par le Code - et non dans le but de restreindre cette consultation à une « validation » des objectifs prédéfinis par le gouvernement, 
  • Transposition législative des résultats de la négociation sans ajout ni retrait, ceci en vue d’en respecter l’équilibre.

Il s’agit là d’une démarche que l’on pourrait qualifier de « girondine » opposée à la vision « jacobine » qui tend, en France, à inspirer les pouvoirs publics.

L’État et la remise en cause des corps intermédiaires

Depuis le début du quinquennat qui s’achève, et sur la lancée des précédents, les pouvoirs publics, se sentant inspirés par « une certaine idée de la France » et soucieux de faire aboutir au plus vite les réformes, ont en effet tendance à considérer leurs interlocuteurs patronaux et syndicaux comme une contrainte bien plus qu’une opportunité d’enrichissement de leurs projets.

Ils seraient lourds, lents et conservateurs, et constitueraient donc a priori un obstacle à une action qui se voudrait rapide et en rupture par rapport à certaines pratiques conçues comme sclérosantes.

  • D’où la réforme Macron visant à « simplifier » la représentation des salariés dans l’entreprise ;
  • D’où la réforme à la hussarde de l’assurance chômage ;
  • D’où l’irritation présidentielle face aux remontrances portant sur la façon de concevoir une éventuelle réforme des retraites.

Ce que l’État met ainsi en cause, c’est le bien-fondé de l’existence des « corps intermédiaires » entre l’État et les citoyens, et du « principe de subsidiarité » quant à l’étagement des responsabilités.

On ne s’étendra pas ici sur les risques d’une telle politique. Vider de toute substance les syndicats et le rôle d’intermédiaires représentatifs qui est le leur, c’est risquer, par inadvertance ou par volonté de « passer en force », de provoquer des réactions rappelant le mouvement des « gilets jaunes ».

Quand il n’y a plus d’instance ni de lieu où discuter en vue d’essayer de trouver des compromis, c’est alors qu’on en vient aux manifestations de rue ou aux coups de main générateurs de violence. Pour paraphraser Churchill, il apparaît ainsi que patronat et syndicats sont les pires des interlocuteurs pour le gouvernement à l’exception de tous les autres.

De ce point de vue, l’effort du patronat et des organisations syndicales en vue de faire valoir et de faire respecter leur rôle est certainement bien fondé.

Reste à savoir si, à un jacobinisme exacerbé, il convient d’opposer un girondisme qui reviendrait, en matière de dialogue social, à subordonner le rôle de l’État à celui des « partenaires sociaux ». La réponse à cette question relève de la philosophie politique.

Un problème classique de philosophie politique

Évoquer le « principe de subsidiarité », c’est se situer dans une perspective aristotélicienne, revue et complétée par le personnalisme chrétien, ceci reprit depuis lors dans une perspective laïque. Les décisions devraient être prises au niveau le plus proche de celui où elles doivent s’appliquer. Les communautés humaines de base, et les personnes elles-mêmes, doivent être les acteurs de leur propre destin ; il s’agit donc, pour employer un langage plus moderne, celui d’Amartya Sen, de développer leur « capabilité ». Il convient, pour cela, de ne pas leur imposer, de loin et d’en haut, des prescriptions qui ne correspondraient ni à ce qu’elles souhaitent ni même à ce qu’il leur est possible de faire ou à ce qui leur paraîtrait être la meilleure solution.

Il est ainsi désolant de voir prises au siège administratif de certaines grandes entreprises des décisions qui pourraient beaucoup plus simplement et efficacement être discutées là où elles s’appliquent et par ceux qui doivent les mettre en œuvre. Certaines procédures résultant d’un excès de centralisation sont de toute évidence mal venues. Elles débouchent, soit sur des absurdités, soit sur des complications sans fin, soit sur un désengagement des intéressés. Le travail, en effet, ne saurait se réduire à l’observation de prescriptions imposées « d’en haut ».

Certaines initiatives locales, pourtant, peuvent avoir un effet négatif pour l’ensemble de la communauté concernée. Les informaticiens parlent « d’effets de bord ». Le centre ne peut pas laisser faire n’importe quoi par sa périphérie sans disparaître en tant que système organisé. Il doit donc exercer un contrôle. Ce contrôle peut s’exercer de deux façons différentes : soit l’injonction de directives ou de procédures présentant la forme d’une injonction, soit la formulation de principes à respecter tout en laissant à chacun le soin de les adapter au cas d’espèce. Ceci peut être appliqué à l’étagement des différents niveaux de décision que constituent la loi, le dialogue social interprofessionnel, le dialogue social professionnel et la négociation d’entreprise.

L'État garant de l’intérêt général

L’État, donc, ne saurait se limiter à prendre acte de ce que décident les partenaires sociaux au niveau national interprofessionnel.

Il est en effet le garant de l’intérêt général. Or, l’intérêt général, celui de la collectivité nationale, ne se confond pas avec l’intérêt de la communauté d’intérêts représentée par les acteurs du dialogue social. L’intérêt des entreprises, représentées par les employeurs et par les représentants du personnel, doit donc être subordonné à l’intérêt de la Nation. Et donc, l’État doit pouvoir statuer en ce qui concerne l’opportunité de mettre en œuvre ce que les partenaires sociaux considèrent comme souhaitable.

Ce qui leur semble souhaitable l’est en effet dans le cadre du point de vue qu’ils représentent ; or, ce point de vue est nécessairement limité et doit être subordonné à une perspective politique qui est nécessairement plus large. Et donc, l’État doit pouvoir se réserver de suggérer des priorités d’action et de se prononcer sur les accords conclus entre partenaires sociaux, ceci en fonction de considérations qui échappent aux prérogatives de ceux-ci. Et il doit le faire en se donnant la liberté de mettre en avant des principes qui devront servir de cadre aux solutions issues des délibérations entre organisations patronales et syndicales.

Une telle philosophie demande évidemment à être confrontée aux traditions qui sont implicitement en jeu dans le débat :

  • Le libéralisme économique, tel qu’il donne la primauté à la liberté du commerce,
  • L’étatisme, tel qu’il entend imposer l’expression de la volonté générale aux intérêts particuliers en présence, 
  • L’anarchisme, opposé à toute ingérence de l’État dans la vie sociale,
  • Le corporatisme, tel qu’il confie aux représentants des professionnels le soin de faire valoir leurs solutions.

Ce sont ces différentes options qui expliquent les nuances opposant les différentes organisations syndicales face au projet du Medef • Organisation patronale représentative au niveau national et interprofessionnel• Création : le 27/10/1998 (en remplacement du CNPF)• Chiffres clés :- Fédérations adhérentes (2023) : 99- Entreprises… ainsi que leurs contre-projets respectifs. Celles-ci correspondent à différentes traditions. Aucune d’entre elles ne saurait être considérée comme seule vraie par opposition à toutes les autres. La première tâche du dialogue interprofessionnel face à l’État consistera donc à trouver le bon équilibre entre les unes et les autres.

  

 

Hubert Landier


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Parcours

CIPAS (Centre international de préparation à l’audit social)
Membre fondateur
Association Condorcet pour l’innovation managériale
Secrétaire général
Institut Erasme
Membre du bureau
Institut international de l’audit
Vice-président
Académie du travail et des relations sociales de la fédération de Russie
Professeur émérite
Propedia Groupe IGS
Professeur associé

Établissement & diplôme

Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne / IAE Paris
Docteur en sciences économiques

Fiche n° 31486, créée le 23/06/2018 à 15:53 - MàJ le 20/06/2024 à 10:07

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