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Ordonnances Travail sur le dialogue social : quatre ans et une pandémie plus tard (Olivier Mériaux)

News Tank RH - Paris - Tribune n°240141 - Publié le 24/01/2022 à 15:20
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© DR.
Olivier Mériaux, Directeur des études, Plein Sens - © DR.

Première réforme sociale majeure du quinquennat qui s’achève, les ordonnances du 22/09/2017 ont réformé en profondeur le cadre du dialogue social et des relations de travail en France. Chose relativement rare pour être soulignée, l’adoption de ces textes s’est accompagnée de la mise en place d’une instance pluraliste d’évaluation, qui s’efforce depuis quatre ans de collecter données administratives et travaux universitaires pour « fournir aux citoyens une information à la fois claire et neutre sur les impacts des mesures », selon les termes de la lettre de mission signée par la ministre du Travail de l’époque.

Déjà redoutable de complexité compte-tenu de l’ampleur des textes, de la multitude d’objectifs visés et parfois de leur ambiguïté, l’ambition de mesurer « les effets propres » du nouveau cadre juridique du dialogue social s’est largement fracassée sur la crise sanitaire et ses conséquences : comment prétendre relier les effets et les causes dans un environnement économique et social à ce point instable et bouleversé par deux ans de stop-and-go mondial ?

Une tribune pour News Tank d’Olivier Mériaux Directeur des études @ Cabinet Plein Sens
, directeur des études du cabinet Plein Sens • Bureau d’études • Création : 1991 • Mission : mener des missions d’études et d’évaluations, de conseil, de conception et de design, dans divers secteurs (entreprises privées, institutions… , membre « Intuitu personae » du Comité d’évaluation des Ordonnances Travail.


Un état des lieux très contrasté des IRP au travers du dernier rapport du Comité d’évaluation des Ordonnances travail

Même s’il s’apparente davantage à un état des lieux provisoire qu’à une véritable évaluation, le rapport du Comité d’évaluation publié en décembre 2021 apporte des indices concordants sur l’évolution du dialogue social en entreprise depuis quatre ans. Si l’on s’en tient au volet de la réforme portant sur l’organisation et le fonctionnement des IRP Instances Représentatives du Personnel , le tableau général qui s’en dégage est pour le moins contrasté.

Alors que la réforme ambitionnait de redynamiser et de simplifier l’information et la consultation des salariés au sein d’une instance unique (le CSE Comité social et économique ), la majorité des observations réalisées montre surtout la persistance d’une gestion cloisonnée et des difficultés à trouver les bons mécanismes d’articulation entre le CSE et ses commissions (délégation, restitution, prise en compte des avis).

Si l’élargissement des périmètres géographiques et thématiques des CSE figurait bien parmi les buts visés par les promoteurs de la réforme, la plupart des entreprises semblent s’être emparées des nouvelles possibilités offertes avant tout dans une logique immédiate d’optimisation des moyens et des temps passés en instances, sans forcément apprécier toutes les conséquences à plus long terme.

Élévation du niveau d’exigence des IRP

Il apparaît ainsi clairement que la réforme des IRP a contribué à élever le niveau des exigences pour les représentants du personnel, moins nombreux et devant nécessairement être plus polyvalents. L’un des co-présidents de l’instance d’évaluation, Marcel Grignard Co-président @ Comité d’évaluation des ordonnances travail • président @ Confrontations Europe
, ancien dirigeant national de la CFDT, le note avec un certain humour dans une interview récente à la Semaine Sociale Lamy (n° 1983, 22/01/2022) : « On leur demande d’avoir des compétences techniques, en matière d’économie, de santé, de sécurité, de prévoyance, d’environnement. On leur demande si possible d’avoir quelques connaissances en géopolitique quand ils travaillent dans une multinationale. Il faudrait qu’ils parlent anglais (…), qu’'ls soient de bons communicants, qu’ils aient des compétences rédactionnelles, de management car ils travaillent en équipe, etc. »

La relation de proximité considérablement distendue

Autre point critique, amplifié par la crise sanitaire et ses conséquences en termes d’organisations de travail : la mise en place de « grands CSE  » et la disparition des délégués du personnel ont considérablement distendu la relation de proximité entre les salariés et leurs représentants élus. Les entreprises se sont faiblement saisies de la possibilité de mettre en place, par accord, des représentants de proximité, et là où ils existent, on tâtonne beaucoup pour définir leurs attributions et les articuler par rapport aux instances et au canal managérial. Ils peuvent jouer un rôle utile pour réguler un certain nombre de tensions et déminer des « irritants du quotidien », mais ce rôle est trop souvent « invisible » pour le corps social. Or ce corps social est aussi un corps électoral.

Des directions qui devraient être plus attentives aux risques d’affaiblissement des mécanismes de représentation du personnel

Alors que la plupart des entreprises avaient tout juste mis en place leurs nouvelles instances sans avoir encore complètement rôdé le mode d’emploi, la survenue de la crise sanitaire a mis le dialogue social en surchauffe. Dans l’environnement chaotique qui est le leur depuis deux ans, avec des collectifs de travail souvent fragmentés, nombre d’entreprises ont redécouvert l’utilité du principe de représentation collective pour élaborer et maintenir un minimum d’adhésion à des règles de fonctionnement partagées.  

Le risque de voir s’aggraver la crise des vocations des salariés pour se présenter aux élections professionnelles

La période de crise a également, selon nous, contribué à masquer les faiblesses induites par le nouveau schéma des IRP. Ces faiblesses se traduisent par des risques à court terme sur l’exercice même de la représentation des salariés, dans un climat plus général de remise en cause des institutions représentatives de toutes natures.

Le premier risque majeur qu’encourent les organisations syndicales et les directions d’entreprises est de voir s’aggraver la crise des vocations des salariés pour se présenter aux élections professionnelles. Cette crise des vocations était déjà bien présente lors du précédent cycle électoral : si 90 000 CSE ont bien été mis en place de janvier 2018 à décembre 2020, 49 000 procès-verbaux de carence ont également été enregistrés, dans des entreprises où les élections ont eu lieu mais sans donner lieu à la création du CSE, faute de candidats (il s’agit très majoritairement des PME, mais il est fréquent également que dans les grandes entreprises, le protocole électoral soit adapté en fonction du nombre de candidats…).

Qu’en sera-t-il pour le prochain cycle électoral, alors que la pyramide des âges des représentants du personnel est déjà très préoccupante ? Combien d’élus vont jeter l’éponge après quatre années de mandat éprouvantes ?

Le risque de faire monter l’abstention

Le second risque majeur est celui de l’abstention. Entre 2017 et 2020, un peu plus de la moitié des électeurs des entreprises de plus de 10 salariés ont voté. La baisse de la participation est lente mais continue depuis les années 1990 et concerne particulièrement les salariés des grandes entreprises (là où pourtant l’offre syndicale est la plus présente, signe d’une défiance qui s’est installée) et les catégories ouvriers et employés. Comme les élections municipales dans une petite commune, le scrutin professionnel se joue avant tout sur la relation de proximité et la connaissance des personnes.

On peut légitimement penser - en tout cas c’est une préoccupation de plus en plus présente dans les entreprises avec lesquelles nous échangeons - que la centralisation des instances, l’affaiblissement des représentants de proximité et l’effacement de leur rôle va encore faire monter l’abstention.

Le corollaire de cette abstention, et le troisième risque auquel feront face les acteurs du dialogue social, sera la plus forte présence de listes non-syndiquées au second tour des élections. Pendant longtemps, les directions ont souvent vu d’un bon œil ces listes indépendantes et concurrentes des organisations syndicales, constituées de salariés non-encartés supposés être plus « malléables » que des militants syndicaux expérimentés. Si tant est que cette configuration ait jamais été favorable à un dialogue social de qualité, l’élévation du « niveau des exigences » décrite précédemment en réduit sans doute la pertinence. Les élus indépendants sont aussi des élus isolés, qui ne peuvent compter sur l’appui technique que peut apporter une organisation syndicale.

Par ailleurs, l’histoire est passée par là et beaucoup de directions estiment à juste titre que la « gilet jaunisation » des relations sociales constituerait une menace plus importante pour leur entreprise.

Travailler en anticipation les ressorts de la participation, une nécessité pour les directions

L’affaiblissement du dialogue social et des acteurs qui le font vivre ne profiterait à personne. C’est la raison pour laquelle les directions d’entreprise devraient se préoccuper dès maintenant d’anticiper les prochaines élections professionnelles, et pas simplement au travers des obligations juridiques qui sont les leurs en termes de procédure pré-électorale. Une stratégie globale de consolidation des ressorts de la participation est nécessaire. Comment s’y prendre concrètement ?

La première étape réside sans doute dans la réalisation d’un bilan du fonctionnement des instances actuelles, et au-delà des instances, de la qualité du système de dialogue social et professionnel dans son ensemble. Cela revient à évaluer la capacité de toutes ses composantes (instances, acteurs, procédures) à identifier les problèmes, réguler les tensions, produire des solutions et des règles collectives, favoriser la cohésion autour d’objectifs définis en commun.

Évaluer la qualité du dialogue social peut devenir un très bon objet de… dialogue social »

Évaluer la qualité du dialogue social peut devenir un très bon objet de… dialogue social. Lorsqu’elle est possible, en fonction des contextes et des problématiques locales, l’association des représentants du personnel à cet exercice d’évaluation renforce sa portée.

C’est sur la base de ce diagnostic conjoint qu’il sera utile le cas échéant de revoir le périmètre des instances, leur fonctionnement interne ou de s’interroger sur la manière d’innover dans les pratiques d’animation établies.

Mais, au regard des risques que nous avons pointés plus haut, les priorités d’action s’orienteront fréquemment autour de :

  • la valorisation du rôle et de l’utilité des mandats de représentation auprès du corps social,
  • des moyens de renforcer l’ancrage de proximité des représentants,
  • d’améliorer la visibilité du rôle des IRP (souvent réduites aux activités sociales et culturelles).

En initiant ce type de démarche, les DRH (ou directions des relations sociales) s’apercevront fréquemment qu’elles surestiment de beaucoup le degré de connaissance, au sein de l’entreprise en général et du management en particulier, du fonctionnement et du rôle du dialogue social.

Des outils existent dans le cadre juridique actuel - formations communes, entretiens de fin de mandat, reconnaissance des compétences acquises dans les fonctions d’élus - mais ils restent largement sous-utilisés. Surtout, d’autres dispositifs sont à inventer en fonction des problématiques propres à chaque entreprise.

Les DRH avisés ont coutume de dire « on a les partenaires sociaux qu’on mérite ». Dans les faits malheureusement, on fait aussi souvent avec ceux dont on hérite. Raison de plus pour se préoccuper dès maintenant de préparer l’héritage…

 

Olivier Mériaux


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Parcours

Cabinet Plein Sens
Directeur des études
Groupe Amnyos
Consultant senior (conduite et évaluation des politiques publiques, transformation des organisations) puis directeur associé

Établissement & diplôme

Sciences Po Grenoble (IEP Grenoble)
Doctorat en sciences politiques

Fiche n° 25795, créée le 20/09/2017 à 17:26 - MàJ le 24/01/2022 à 15:07

Plein sens

• Bureau d’études
• Création : 1991
• Mission : mener des missions d’études et d’évaluations, de conseil, de conception et de design, dans divers secteurs (entreprises privées, institutions, fonction publique et ses établissements) : transformation des organisations, accompagnement du dialogue social et des négociations, prévention des risques du travail…
• Partenaires : Kxiop, Ecole d’Economie de Paris, HEC, le largotec (laboratoire de recherche sur la gouvernance publique) à l’Université Paris Est / Marne la Vallée, Le Hub.
• Président : Étienne Forcioli Conti, diplômé en droit des Affaires, droit social et droit comparé
• Directeur général : Nils Veaux, Ingénieur diplômé de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) puis de l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle Ensci / Les Ateliers
• Directeur général délégué : Pierre-Guillaume Ferré, Ingénieur diplômé de l’École Nationale des Ponts et Chaussées
Directeur des études : Olivier Mériaux, ancien DGA de l’Anact (2015-2018), Doctorat en sciences politiques et gouvernement, IEP Grenoble

• Tél. : 01 55 01 84 40


Catégorie : Etudes / Conseils


Adresse du siège

5 rue Jules Vallès
75011 Paris France


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Fiche n° 8071, créée le 08/01/2019 à 04:19 - MàJ le 04/02/2022 à 11:36


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Olivier Mériaux, Directeur des études, Plein Sens - © DR.