« C’est une obligation de maintenir ce bruit de fond sur la santé et la qualité de vie au travail »
Le 18 mars 2021, pour son 3ème webinaire qui questionne les objets de négociation collective dans le contexte pandémique, Réalités du dialogue social a placé la focale sur les accords de qualité de vie au travail (QVT) avec ses trois invités : Catherine Chavanier, DRH de Radio France, Nicolas Héron, directeur des relations sociales et de la santé et sécurité au travail de Métro France et Matthieu Trubert, co-pilote du collectif numérique de l’UGICT-CGT et délégué syndical de Microsoft.
La QVT constitue l’un des trois thèmes de négociation obligatoire instaurés par la loi Rebsamen de 2015, mais ce n’est pas un objet de dialogue social nouveau. Entreprendre une démarche QVT dépend de nombreux facteurs propres à chaque organisation mais aussi du contexte dans lequel elle évolue : enjeux sectoriels, transformations numériques, écologiques et sanitaires. En une année, cet environnement a profondément été bouleversé et interroge de fait la façon d’aborder ou de repenser ce thème de négociation.
S’entendre sur ce que recouvre la QVT
Un sujet multiforme
L’ANI de 2013 sur l’égalité professionnelle et la QVT apportait cette définition : « la qualité de vie au travail désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises. » Matthieu Trubert rappelle la polysémie de la QVT et la nécessité de se mettre d’accord sur ce qu’englobe cette notion. Chacun s’accorde à dire que la définition est large et riche.
Chez Radio France, elle regroupe en premier lieu tous les aspects de la vie professionnelle, à savoir : le contenu et l’organisation du travail, la définition des postes, la répartition de la charge de travail, la capacité à se développer professionnellement et à avoir un parcours dans l’entreprise, l’accès à la formation, la reconnaissance, le management. Cette seule approche serait restrictive et il faut aussi, selon Catherine Chavanier, prendre en compte le contexte de l’entreprise, le sens donné au travail, la stratégie, l’état de l’entreprise par rapport aux transformations, les relations sociales, l’inclusion, mais également l’environnement du salarié, les conditions de travail, les aménagements et équipements ou encore les sujets d’articulation avec la vie personnelle : le droit à la déconnexion, l’équilibre et l’accompagnement social.
Chez Métro France, la QVT constitue un facteur de développement du bien-être individuel et collectif des salariés. Nicolas Héron indique l’importance pour son entreprise de « la symétrie des attentions : des salariés heureux apporteront une attention particulière à nos clients, qui en seront satisfaits. » Il va plus loin en décrivant une démarche de management de la santé : « Métro France a souhaité consacrer et fournir des solutions de travail toujours plus propices à l’épanouissement professionnel des salariés afin d’assurer la protection de leur santé et promouvoir cette QVT. C’est peut-être cette thématique qui prend le dessus dans notre accord en cours de négociation. »
A l’épreuve de plusieurs révélateurs
Quels que soient les thèmes retenus dans la définition de la QVT, il importe de les appréhender sous l’angle spécifique du vécu du salarié. Catherine Chavanier rappelle l’enjeu d’amélioration permanente de la qualité de vie professionnelle des collaborateurs et de la performance de l’entreprise, et de la forte corrélation entre les deux dimensions. Chez Métro France, la démarche de QVT a pour ambition de « permettre de traiter simultanément les enjeux du travail, sociétaux, et la performance sociale et économique de l’entreprise ; ce troisième pilier renvoyant aux exigences des clients, du marché, des opérationnels et des salariés. »
Autre révélateur, la transformation numérique qui place la QVT à la croisée de plusieurs paramètres interdépendants et qui renvoie là aussi à des préoccupations à la fois individuelles et collectives. Pour Matthieu Trubert : « appréhender la QVT sous cet aspect nouveau - la mutation numérique du travail - éclaire sur de nouveaux enjeux, risques, mais aussi les nouvelles possibilités qu’offre le numérique pour améliorer l’équilibre vie professionnelle et privée. Sont ainsi revisités des modèles de management et d’organisation du travail : exigence, autonomie, reconnaissance, tant du collectif de travail que de la hiérarchie, puis l’ergonomie notamment du poste et des environnements de travail. »
Il l’illustre avec la campagne de l’Ugict-CGT lancée en 2017 appelée « Le numérique autrement » ou QVT numérique qui établit le rôle contributif de l’encadrement, soutenu par les RH de proximité. « À l’époque, nous transmettions 4 messages clés : stabiliser les organisations du travail, relaxer le temps de travail et rendre le droit à déconnexion effectif, développer un management basé sur l’intelligence collective, favoriser le droit d’expression et la qualité du dialogue social. »
Un diagnostic et une volonté de co-construction en amont de toute négociation
Les intervenants soulignent l’importance de cet exercice de définition de la QVT en préalable à toute négociation. Chez Métro France, les acteurs sociaux ont fait l’exercice de se mettre d’accord sur une vision partagée. « Par rapport à la QVT il nous semblait important de trouver une définition commune avec nos organisations syndicales, non sans mal, puisque cela a fait l’objet de riches discussions. Nous sommes arrivés à la définition suivante : un sentiment de bien-être au travail, à la fois perçu collectivement et individuellement, et qui englobe l’ambiance de travail, la culture de l’entreprise, le travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le sens que nous donnons au terme travail, le degré d’autonomie, de responsabilisation, l’égalité, le droit à l’erreur accordé à chacun, la reconnaissance, mais également la valorisation du travail effectué. »
Sans nul doute, la démarche de QVT constitue un objet de dialogue social et démarre par l’organisation d’un diagnostic partagé sur les différents thèmes retenus dans la définition. Catherine Chavanier l’explique ainsi : « ce diagnostic est entretenu ; il faut l’organiser de manière récurrente avec une évaluation partagée au travers de l’expression des salariés, mais aussi dans le cadre du dialogue social, et avec des équipes pluridisciplinaires. J’ai vécu des expériences de QVT où, régulièrement, nous mettions autour de la table médecins, assistants sociaux, RH, managers pour réussir à construire cet état des lieux. » En 2019, chez Radio France, a été négocié et mis en place un protocole pour le pilotage paritaire d’un diagnostic. La phase quantitative vient d’être terminée et celle qualitative est en cours d’élaboration en fonction des sujets qui ressortent. « On a un COPIL paritaire très actif sur le sujet. » A l’été 2021, le processus de négociation va démarrer sur la manière de concevoir le dispositif QVT.
Chez Métro France, l’accord QVT est en voie de finalisation suite à une phase de diagnostic partagé et une volonté de co-construction par les acteurs sociaux. « Pour nous, cette démarche ne pouvait pas être isolée des autres projets en cours qui avaient lieu dans l’entreprise. Nous avons agi avec nos représentants syndicaux à différents niveaux, tout cela dans le but de réduire les RPS, permettre le développement professionnel et le sentiment de sécurité quant à l’avenir professionnel. »
Les priorités de la QVT revisitées par la pandémie ?
Mise en exergue de l’enjeu d’équilibre vie professionnelle/vie personnelle
L’enquête annuelle menée par l’Ugict-CGT auprès de 12 000 répondants a dévoilé en 2020 un sentiment d’usure et un travail dégradé. Matthieu Trubert précise que pour les cadres, la priorité est l’équilibre vie pro/perso.
Illustrations : 78 % des répondants n’avaient pas mis en place de droit à déconnexion, 78 % n’avaient pas de définition de plage horaire où être joignable, pour 33 % des cadres, une anxiété inhabituelle et 97 %, l’absence d’équipement ergonomique de travail mis à disposition, probablement la plus grande difficulté à ce moment, et pour 84 %, pas de prise en charge des frais de connexion et logiciels »Il rappelle également la succession des situations anxiogènes - confinement et couvre-feu - qui se traduit par une fatigue généralisée, y compris dans les entreprises acculturées au télétravail. Il ajoute : « nous constatons que les exigences sont augmentées et parfois par nous-même, l’autonomie a diminué, les organisations de travail sont mises à l’épreuve, les collectifs de travail éclatent. Sans oublier que le confinement a mis en exergue la question des violences intrafamiliales et le sujet fondamental des aidants familiaux. »
Pour Matthieu Trubert, ce dernier point sur les aidants familiaux se traite bien dans un accord QVT, et pas uniquement dans le contexte pandémique. « Aujourd’hui, vie personnelle et vie professionnelle ne sont pas étanches. Les temporalités se déclinent de façon différente. L’idée est d’apporter une certaine flexibilité au travail pour assurer des disponibilités en tant qu’aidant familial ; cela passe par exemple par des congés supplémentaires quand sont épuisés ses congés personnels, pour éviter de directement tomber dans le dispositif de dons de congés de la part des collègues. »
Chez Radio France, qui a mené une enquête auprès des salariés à la fin du confinement sur la gestion de crise et sur la façon dont ils se sentaient, deux problèmes sont ressortis en premier : celui effectivement d’équilibre vie pro et perso mais aussi l’enjeu de sérénité personnelle. S’agissant de ce dernier, Catherine Chavanier y voit plusieurs causes :
- L’exposition au risque sanitaire bien sûr,
- Le manque d’interactions. « Je dis souvent que les êtres humains sont des êtres sociaux, et que nous nous régulons au contact des autres. Seul devant son ordinateur, cette régulation ne se fait pas de la même manière. Pour Radio France, l’une des problématiques était d’entretenir la communication et le partage d’idées en vue de maintenir la créativité. »
- La brutalité perçue au travers de la notion de métiers essentiels / non essentiels. « Ceux dont le métier était jugé essentiel devaient venir sur place et se sont sentis plus exposés que les autres au risque sanitaire. Et les autres ont compris qu’ils n’étaient pas essentiels au fonctionnement de leur entreprise ou plus largement de la société. Tous les salariés sont essentiels à l’entreprise. »
- Le sentiment d’isolement. « Pour des raisons de fragilité, certains ont été maintenus isolés chez eux, sans travailler. »
- Et aussi la régulation des émotions à distance.
Une enquête menée chez Métro France auprès des salariés révèle aussi les inégalités de situation, que ce soit l’inquiétude du chômage partiel, des troubles psychologiques, des addictions… Pour Nicolas Héron, « les entreprises les mieux armées sont celles qui ont su développer un arsenal de prévention. »
Le retour en force de la santé au travail
La pandémie a révélé de nombreuses fragilités et impose aux organisations de traiter, sur les plans individuels et collectifs, les enjeux de sécurité physique et psychique des salariés. Pour Nicolas Héron, la santé au travail est revenue au premier plan, comme une préoccupation commune tant de la population managériale que des salariés. « Le volet RH a été omniprésent afin de mieux protéger les salariés. Notre défi dans les mois à venir est de continuer sur cette lancée, de mieux nous former, à tous les niveaux. »
À noter : dans le champ de l’impact du télétravail et de la pandémie sur la santé, il y a également le sujet de la santé visuelle car le temps d’exposition aux écrans digitaux a augmenté de 2 à 3 heures / jour, avec pour conséquence une augmentation des gênes de type maux de tête, picotements des yeux, fatigue oculaire… »Il rappelle que la santé constitue une des conditions de la performance de l’entreprise. « Au début de cette crise, nous sommes passés d’une attitude réactive à une attitude prospective en insérant la santé au cœur de l’ensemble de nos processus opérationnels, et une politique de prévention qui doit être élaborée de façon participative et collaborative. »
Un bond en avant de la solidarité
La pandémie, qui ébranle tous les citoyens, semble avoir favorisé la solidarité afin notamment de combattre cet ennemi commun. Cet enjeu sociétal fait l’objet du deuxième pilier de l’accord QVT en cours de négociation chez Métro France. « Nous nous sommes aperçus que cette solidarité avait été prégnante ces derniers mois et ce sentiment d’union est vital pour les semaines et mois à venir. D’où l’intégration dans l’accord de cette thématique par les partenaires sociaux, tout particulièrement côté syndical, visant à renforcer le sentiment d’appartenance, favoriser la cohésion, faire société. »
Une refondation du management à imaginer
Les managers, une courroie de transmission indispensable
Les intervenants ont souligné le rôle fondamental du management intermédiaire à qui, selon Nicolas Héron, « on en demande de plus en plus et qui est une courroie de transmission phénoménale à laquelle il faut prêter une importance particulière. » À ce titre, le troisième pilier de l’accord QVT en négociation chez Métro France prévoit les conditions d’un management plus collaboratif et moins directif, avec une mention spéciale sur le droit à l’erreur. « Tout cela renvoie à la qualité du collectif, au sentiment d’être plus utile et efficace, aux enjeux des évolutions de métiers. »
Catherine Chavanier renchérit « À mon sens, c’est presque un socle dans un accord QVT puisque le premier interlocuteur qui représente l’entreprise pour le salarié, c’est son manager. » Elle insiste aussi sur les difficultés du management depuis le début de la crise sanitaire : « à Radio France, les managers sont souvent désignés sur base d’une expertise métier et partagent leur temps entre leur métier et des responsabilités de management. Or, pendant cette période, manager des équipes était plus qu’un travail à plein temps. » Un constat partagé par Matthieu Trubert : « la hiérarchie se retrouve isolée et avec une surcharge, puis une diminution du soutien et de la reconnaissance. »
Qui suppose un accompagnement spécifique
Pour endosser au mieux ce rôle de courroie de transmission, il faut prévoir une formation régulière des managers - par exemple, du coaching en ligne - mais surtout de l’accompagnement au long court. Catherine Chavanier explique que c’est un sujet essentiel, qui commence en amont des négociations par une formation intitulée « Manager avec la qualité de vie au travail » prescrite à l’ensemble des managers du groupe radiophonique.
« Nous avons souvent tendance à passer beaucoup de temps autour d’un accord, à négocier, puis à le signer et, à considérer une fois signé, que le job est fait. Mais le job commence à ce moment, pour faire en sorte que tout ce qui a été négocié soit appliqué. Et cela passe par les managers. Si ce n’est pas le cas, il y a des commissions de suivi de cet accord avec les représentants syndicaux. » N. Héron »Chez Métro France, deux instances ont été mises en place : d’une part, un observatoire de la qualité de vie au travail avec un fonctionnement paritaire et, d’autre part, une commission exclusivement dédiée aux risques psycho-sociaux. Cette dernière a été créée en raison de la situation sanitaire mais également dans le cadre des transformations de l’entreprise avec pour objectif que « les managers disposent d’une boîte à outils pour pouvoir répondre le plus rapidement et le plus efficacement possible à l’ensemble des salariés. Nous sommes convaincus que le dialogue social commence par le dialogue entre un salarié et son N+1, soit à niveau de base mais essentiel. »
Mot de la fin : retenir le positif qui émerge de la crise sanitaire
Pour les intervenants, la pandémie a mis en exergue plusieurs aspects intéressants sur lesquels il convient de travailler comme, la prise de conscience du rôle du collectif, une propension plus grande à la confiance et l’autonomie, une réflexion sur la place de l’homme au travail et la dimension humaine de ce dernier ou encore des problématiques qui étaient parfois tabous, telle que la santé psychique des salariés. Nicolas Héron constate que les représentants des salariés se sont emparés de ce sujet.
« Le collectif aura aussi appris de cette nouvelle forme de travail à distance et de coopération. Il y a des chances que cela continue. » M. Trubert « Nous pensons que notre entreprise va apprendre beaucoup de choses sur son rôle en termes de lien social. » N. Héron »Pour Matthieu Trubert, il va être très important de réaliser un diagnostic au sortir de cette situation pandémique et d’en tirer des enseignements, à l’instar de ce que font les commissions de suivi. « Il y a de bonnes pratiques, des moins bonnes et des choses auxquelles nous n’avions pas pensé. Mais ce n’est pas un problème puisque nous sommes dans une organisation de travail qui n’est pas figée. Il faut apprendre de ses succès et de ses erreurs. Il faut rester dans le questionnement. ». Catherine Chavanier confirme le rôle des partenaires sociaux : « à nous de saisir l’opportunité de toutes ces questions ! » tout comme Nicolas Héron sur celle spécifique de la santé psychique des salariés : « A nous, de traiter cela de manière globale. C’est le challenge de demain. »