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« Je suis convaincu qu’il reste une place pour une approche artisanale de l’executive search », J-D Pô

News Tank RH - Paris - Entretien n°208460 - Publié le 15/02/2021 à 18:50
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Jean-Damien Pô - © DR.

« J’étais attiré par le métier du recrutement et de la chasse de têtes depuis longtemps. Avec mon associée, nous étions tous les deux très frustrés de constater que les processus de la chasse de tête (…) débouchaient sur une sélection reposant invariablement sur une logique d’aversion au risque », déclare Jean-Damien Pô Partner @ Outsiders Search
, ancien DRH, fondateur du cabinet de chasse de têtes Outsiders Search.

« Cette aversion se manifeste à chaque étape : le cabinet s’autocensure dans son choix, puis le DRH, puis le CEO et enfin au sein du conseil d’administration. À la fin, nous constations que l’on choisissait toujours la personne ayant exercé le même métier, dans une entreprise proche, pour remplir la même fonction. Cette mécanique de standardisation des profils conduit à une attrition et à une réduction de la diversité des profils. »

Jean-Damien Pô, qui a également été secrétaire du comité exécutif du groupe Vinci, de 2011 à 2013, se dit « convaincu qu’il reste une place pour une approche artisanale du métier de l’executive search, largement standardisé, par les grands cabinets anglo-saxons. Pour ma part, je pense que ce métier exige d’abord d’avoir un œil, et cet œil naît du jugement que confère un peu d’expérience. Cela passe par du temps investi pour qualifier le profil de poste, identifier le besoin réel et travailler sur l’alignement entre des choix d’organisation, des choix de stratégie et des choix humains »

« Nous pensons qu’il est important de proposer un outsider dans la short-list des trois ou quatre profils soumis à l’entreprise en recherche de dirigeant. Nous ne forçons pas la main du client, bien évidemment, mais notre métier c’est aussi de montrer que ces profils atypiques présentent un véritable intérêt, objectivable. »

Sur le choix de profils : « Je suis très sensible aux engagements associatifs, à la fois car cela peut témoigner de l’attachement à des valeurs, mais aussi parce que ça témoigne d’une capacité à tenir un équilibre entre plusieurs centres d’intérêt. Ces expériences témoignent souvent de capacité de leadership et d’organisation. Les candidats ont ainsi démontré qu’ils n’étaient pas totalement absorbés par leur vie professionnelle et qu’ils étaient capables de sanctuariser une partie de leur agenda pour faire autre chose, s’occuper aussi de leur famille heureusement. Cette capacité à maintenir un équilibre de vie est dans l’intérêt profond de l’entreprise. »


Jean-Damien Pô répond aux questions de News Tank

Pourquoi avoir quitté votre métier de DRH pour créer un cabinet de chasse de têtes ?

J’étais attiré par le métier du recrutement et de la chasse de têtes depuis longtemps, et lorsque j’ai quitté le groupe Saur, s’est posée pour moi la question de postuler auprès d’un des grands cabinets du secteur ou de lancer mon activité en tant qu’indépendant. J’ai rencontré Lucie Vallée, une ancienne collaboratrice du cabinet Heidrick & Struggles, qui avait l’expérience de ces grands cabinets. Nous étions tous les deux très frustrés de constater que dans les processus de la chasse de tête, les profils de postes, définis de manière assez mécanique, associés à une liste de compétences clés, débouchaient sur une sélection reposant invariablement sur une logique d’aversion au risque. Et cette aversion se manifeste à chaque étape : le cabinet s’autocensure dans son choix, puis le DRH, puis le CEO et enfin au sein du conseil d’administration.

J’ai vu cette mécanique à l’œuvre comme DRH et j’en ai constaté les dégâts »

À la fin, nous constations que l’on choisissait toujours la personne ayant exercé le même métier, dans une entreprise proche, pour remplir la même fonction. Cette mécanique de standardisation des profils conduit à une attrition et à une réduction de la diversité des profils.

J’ai vu cette mécanique à l’œuvre comme DRH et j’en ai constaté les dégâts comme membre du comité exécutif, dans les différentes entreprises dans lesquelles j’ai œuvré.

Que voulez-vous dire ?

En tant que DRH, j’ai plusieurs fois proposé des profils, jugés certes intéressants, mais qui ne cochaient pas toutes les cases.

Or comme DRH, je constatais que, certes, ces profils dits atypiques ou outsiders ne cochaient peut-être pas toutes les cases, mais qu’ils pouvaient présenter des caractéristiques et des qualités additionnelles que des candidats ‘cochant toutes les cases’ n’avaient pas.

C’est sur ce constat partagé, que nous avions eu le désir de proposer au client de déjouer les processus de standardisation, avec mon associée Lucie Vallée. Nous avons créé ‘Outsiders’ pour développer une approche beaucoup plus sur-mesure.

N’y a-t-il pas un écart excessif entre cette proposition alternative de la chasse de tête et l’approche structurée des cabinets internationaux qui disposent d’outils d’analyses quantitatives et de réseaux mondiaux ?

Je suis convaincu qu’il reste une place pour une approche artisanale du métier de l’executive search, j’entends par là le recrutement de membres du comité de direction. Ce marché est aujourd’hui largement dominé effectivement, mais aussi standardisé, par les grands cabinets anglo-saxons qui utilisent leur réseau international, leur méthode qui peut intégrer le recours à des outils d'évaluation psychotechniques ou des outils quantitatifs qui permettent de croiser les données, parfois habillés de la couleur de l’intelligence artificielle. Cette approche peut séduire et être sans doute très efficace.

Mais pour ma part, je pense que ce métier exige d’abord d’avoir un œil et cet œil naît du jugement que confère un peu d’expérience. Concrètement, cela passe par du temps investi pour qualifier le profil de poste, identifier le besoin réel et travailler sur l’alignement entre des choix d’organisation, des choix de stratégie et des choix humains. Dans l’idéal, hors période Covid, nous prévoyons chez Outsiders, deux jours d’immersion dans l’entreprise. Si vous ne travaillez que sur les compétences requises, vous n’êtes que sur une partie négligeable de la mission. Il faut ensuite aller sur place, comprendre la culture managériale, identifier les conditions pour que les candidats s’intègrent dans l’entreprise, sur le plan humain. En tant que client des cabinets de chasse, j’étais souvent frustré par le peu de temps passé à ce travail sur l’analyse du poste.

J’ai du mal à penser que l’algorithme pourra supplanter cet œil »

J’ai du mal à penser que l’algorithme pourra supplanter cet œil. En revanche pour du middle management, l’approche quantitative peut davantage fonctionner. Ensuite une fois la personne recrutée, je pense qu’il est nécessaire de passer du temps à suivre la qualité de l’intégration en échangeant à la fois avec le candidat, avec sa RH et ses managers.

Sur le marché du sourcing de talents, naissent également de nouveaux acteurs, en particulier pour les profils pénuriques, qui fondent leur approche sur le salaire. L’américain Welcome, par exemple, pose la question à des professionnels en poste : ‘vous partiriez pour combien’ ? Que vous inspirent ces nouvelles approches abruptes ?

Ces approches peuvent être très efficaces pour des profils pénuriques qui fonctionnent dans une logique de mercenariat. Mais ce n’est pas notre cible. Dans notre métier, dans quatre affaires sur cinq, le sujet du salaire n’est pas le sujet central et je constate même une augmentation de la flexibilité à la baisse sur ce critère du salaire, si d’autres sujets comme l’alignement avec les valeurs de la personne, ou la proximité géographique, sont mieux remplis. C’est peut-être un phénomène conjoncturel, mais la question de la localisation devient plus saillante. 

Ensuite dans notre conception du métier, nous attachons beaucoup d’importance à la recherche de candidats, que nous assurons en direct avec mon associée. Cela signifie que nous passons de nombreuses heures au téléphone pour échanger avec des professionnels en poste et c’est ainsi que l’on acquiert ce que j’appelle ‘l’intelligence du marché’.

Chez Outsiders, vous affirmez une marque de fabrique qui est de présenter un candidat hors-cadre, pour chacune de vos missions de sourcing. Pour quelles raisons ?

notre métier c’est aussi de montrer que ces profils atypiques présentent un véritable intérêt, objectivable »

Nous pensons qu’il est important de proposer un outsider dans la short-list des trois ou quatre profils soumis à l’entreprise en recherche de dirigeant. Nous ne forçons pas la main du client, bien évidemment, mais notre métier c’est aussi de montrer que ces profils atypiques présentent un véritable intérêt, objectivable.

La crise ne rend-elle pas encore plus utile ces profils de dirigeants outsiders qui peuvent penser différemment ?

En période de crise, on assiste à deux mouvements inverses : à la fois le rôle clé de managers qui disposent de profils différents et qui peuvent porter un regard différent sur la situation. Mais à l’inverse, lorsque l’environnement devient incertain et très turbulent, les entreprises cherchent à revenir aux fondamentaux et à écarter tout ce qui est exogène.

Et les dernières enquêtes sur la composition des comités exécutifs montrent plutôt que les entreprises tendent à réduire la diversité des profils et à sourcer davantage en interne.

Sur les premiers mois d’activité de votre cabinet avez-vous été à l’origine de recrutements de profils de dirigeants atypiques ? Qu’apportent ces candidats ?

Nous avons déjà eu quelques cas de recrutement dans lesquels nos candidats alternatifs ont été recrutés effectivement. Nous restons irréprochables sur les profils professionnels des candidats atypiques proposés ; nous travaillons donc beaucoup en amont sur leur crédibilité. En revanche si la personne présente une expérience qui n’est pas complètement conforme à celle requise et si elle a manifesté d’autres compétences dans un cadre extraprofessionnel, comme des mandats électifs d’élus locaux ou des expériences associatives, nous les valorisons fortement.

Je suis très sensible aux engagements associatifs, à la fois car cela peut témoigner de l’attachement à des valeurs, mais aussi parce que cela témoigne d’une capacité à tenir un équilibre entre plusieurs centres d’intérêt. Ces expériences témoignent souvent de capacité de leadership et d’organisation. Les candidats ont ainsi démontré qu’ils n’étaient pas totalement absorbés par leur vie professionnelle et qu’ils étaient capables de sanctuariser une partie de leur agenda pour faire autre chose, s’occuper aussi de leur famille heureusement. Cette capacité à maintenir un équilibre de vie est dans l’intérêt profond de l’entreprise.

Les profils atypiques ou outsiders peuvent-ils être intégrés dans tous les types d’entreprise ?

Pour qu’un outsider puisse apporter autre chose, il faut une gouvernance du comité de direction qui le permette  »

Pour qu’un outsider puisse apporter autre chose, il faut une gouvernance du comité de direction qui permette l’expression d’une sensibilité différente, de la part de l’un de ses membres. Si par construction la gouvernance du comité de direction écrase les points de vue alternatifs, il n’en ressortira pas grand-chose, sinon de la frustration. L’apport d’un dirigeant avec un profil d’outsider présuppose une ouverture.

Le candidat doit lui être capable de tact. Si vous arrivez bardé de certitudes, il vous sera difficile de faire passer des idées. En revanche lorsque ces conditions sont remplies, cela peut être très vertueux car on mesure souvent, à l’inverse, les effets pervers des fonctionnements trop endogames.

Jean-Damien Pô


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Parcours

Outsiders Search
Partner
Saur
DRH directeur de la stratégie et de la prospective
Eurovia
DRH
Vinci
Directeur du développement des RH
Vinci
Secrétaire du comité exécutif
Institut de l’Entreprise (IDEP)
Directeur des études
Engie
Analyste à la direction de la stratégie
Fondation pour la recherche stratégique
Assistant du directeur scientifique

Établissement & diplôme

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Docteur ès Lettres (Philosophie)
Ecole Normale Supérieure (ENS)
Diplômé d’histoire
Sciences Po Paris (IEP Paris)
Diplômé en droit public

Fiche n° 24200, créée le 17/07/2017 à 15:24 - MàJ le 17/02/2021 à 15:03

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