1000 bulletins de paie à transmettre à une OS « 1ères class action en matière sociale » Racine Avocats
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 13/10/2022, a condamné un employeur à fournir à la CGT
Confédération Générale du Travail
de l’entreprise et à la confédération, plus d’un millier de bulletins de paie dans le cadre d’une action de groupe fondée sur une éventuelle discrimination des femmes d’un point de vue salarial.
« La décision de la Cour d’appel de Paris est intéressante car elle est l’une des premières illustrations des “class action” ou action de groupe en matière de droit du travail », déclare Émilie Million-Rousseau
Avocate Associée en Droit Social @ Cabinet Racine
, avocate associée au sein du cabinet Racine
• Cabinet d’avocats
• Création : 1981• Implantations : 7 bureaux à Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg, Bruxelles.
• Mission : accompagnement des entreprises dans 14 champs…
Marseille, dans un entretien à News Tank le 28/10/2022. « Cette décision n’est pas étonnante sur le fond mais elle est impressionnante par les conséquences massives qu’elle entraîne ».
Émilie Million-Rousseau répond aux questions de News Tank
Que pensez-vous de cette décision qui conduit l’employeur à transmettre un grand nombre de bulletins de paie nominatifs à la CGT ?
Cette décision
La Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 13/12/2022, confirme l’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 14/12/2021 qui enjoint à la Caisse d’Épargne d’Île-de-France de communiquer…
est intéressante car elle est l’une des premières illustrations des « class action » ou action de groupe en matière de droit du travail. Ce dispositif a été créé en 2016, avec la loi de modernisation de la justice du XXIème, mais n’avait jamais été utilisé en matière de droit du travail en raison de sa complexité.
Elle permet aux syndicats, notamment, de faire cesser tout manquement à une obligation légale ou contractuelle ou de statuer sur la réparation d’un préjudice.
Les entreprises n’ont pas l’habitude de ces actions de groupe massives. »Les entreprises n’ont pas l’habitude de ces actions de groupe massives. Nous avons déjà connu les additions d’actions individuelles, notamment pour le contentieux du préjudice d’anxiété suite à une exposition à l’amiante mais il s’agissait de nombreuses décisions de justice concernant, pour chacune, des petits groupes de salariés.
Ici, nous avons une seule et unique décision, qui impose à l’employeur de communiquer un millier de bulletins de paie : cela donne un côté imposant à l’affaire.
Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’en matière de discrimination, il n’est pas rare qu’un employeur soit condamné à fournir des bulletins de paie : le fond de la décision n’a donc rien étonnant, en dehors de son caractère massif.
Un point intéressant de cette décision est également de préciser le contenu de l’obligation du syndicat de détailler les cas individuels sur lesquels repose l’action de groupe.
C’est d’ailleurs le premier point sur lequel l’employeur a fondé sa contestation. En effet, il a contesté l’action de groupe au motif que les cas individuels n’étaient pas assez détaillés. La Cour d’appel de paris n’a pas suivi son raisonnement.
Cette décision n’est pas étonnante sur le fond mais est impressionnante par ses conséquences »Elle a constaté que :
- L’assignation introductive d’instance de la CGT consacrait 20 pages à l’argumentation relative au constat de la discrimination alléguée au détriment des femmes salariées, en termes d’inégalité des chances de développement d’une carrière dans l’entreprise, d’accès à la formation, de rémunération, de recours au temps partiel.
- La CGT avait également fourni une fiche de renseignements très exhaustive concernant les cas individuels présentés par les syndicats.
La Cour a jugé que l’obligation de la CGT de détailler ces cas individuels était respectée. Cette décision n’est donc pas étonnante sur le fond mais est impressionnante par les conséquences massives qu’elle entraîne.
Pensez-vous que ces actions de groupe ont vocation à se multiplier ?
S’il est correctement mené, le dialogue social est censé empêcher ce genre de situation. »Actuellement, ces actions ne sont pas un outil facile, pouvant être utilisé au quotidien et je ne suis donc pas sûre qu’elles soient amenées à se démultiplier. D’autant plus qu’avec les réformes législatives, le fil rouge de notre époque est quand même le dialogue social entre l’employeur et les syndicats. S’il est correctement mené, le dialogue social est censé empêcher ce genre de situation.
En outre, pour savoir si ces actions de groupe vont se multiplier, il faudra également observer l’évolution de la représentativité des syndicats majoritaires. Nous assistons à une montée en puissance des syndicats plus ouverts au dialogue qu’au conflit et qui auront donc probablement moins le réflexe d’utiliser ces actions de groupe.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que les deux actions de groupe menées à ce jour en France l’ont été par la CGT, l’une pour discrimination syndicale et l’autre pour discrimination salariale en raison du sexe.
Néanmoins, il est certain que les actions de groupe peuvent être utilisées comme une arme dans un contexte tendu de négociations : aucun employeur n’a envie d’être condamné, du jour au lendemain, à transmettre un millier de bulletins de paie, notamment au regard de la charge administrative que cela va créer et de la publicité qui est faite autour de la décision de justice.
Le fait que cette action de groupe soit menée dans le domaine de l’égalité salariale est-il étonnant, pour vous ?
Non, ce n’est pas étonnant. En moyenne, une entreprise est composée à moitié d’hommes et à moitié de femmes. Invoquer une discrimination salariale en raison du sexe permet donc de rassembler le plus de cas individuels possibles pour soutenir son action de groupe.
Il ne fait nul doute qu’une action fondée sur d’autres motifs de discrimination, touchant des groupes plus minoritaires, aurait réuni moins de volontaires et aurait été moins imposante.
Les salariés, dont le bulletin de paie non anonymisé va être communiqué à la CGT, ont-ils un recours possible pour s’y opposer ?
Cette opposition sera difficile. Le droit à la vie privée est, certes, une liberté fondamentale, d’autant que la Cour de cassation a déjà jugé que la rémunération est une partie intégrante de la vie privée d’une personne non publique (Cass. civ., 15 mai 2007, n° 06-18 448 ) et que la rémunération peut facilement être qualifiée de données personnelles au sens du RGPD.
Néanmoins, cette liberté ne bénéficie pas d’une protection absolue. Nous le voyons, de plus en plus, dans les affaires d’enregistrements réalisés sans consentement. Il s’agit de preuves déloyales, mais elles sont acceptées petit à petit par la Cour de cassation au nom du droit à la preuve.
ce qui est difficile à comprendre, c’est que le juge ait refusé l’anonymisation des bulletins de paie »Quand deux libertés fondamentales sont mises en jeu, le juge est obligé de faire la balance et d’articuler le droit à la preuve pour la discrimination contre la violation de la vie privée.
Cependant, dans cette décision, ce qui est particulièrement difficile à comprendre, c’est que le juge ait refusé l’anonymisation des bulletins de paie, quitte à autoriser le fait de laisser visible le premier chiffre du numéro de sécurité sociale du salarié afin de pouvoir identifier son sexe.
Cette solution aurait permis d’une part de satisfaire pleinement les demandes de la CGT sur la preuve d’une éventuelle discrimination, d’autre part de respecter totalement le droit à la vie privée des salariés ainsi que les dispositions du RGPD. Cela aurait été plus proportionné que la décision qui a été prise et aurait mieux équilibré la balance entre le droit à la preuve et le droit à la vie privée.
Il est regrettable que la Cour d’appel n’ait pas statué sur ce point, tout en estimant « qu’il n’existait pas de violation d’un quelconque secret », sans autre précision.
Est-il possible de demander la communication des bulletins de paie avant toute procédure contentieuse, notamment sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile ?
Non, l’article 145 du Code de procédure civile permet uniquement à des salariés de demander à un juge l’autorisation d’obtenir certaines pièces, sans que l’employeur ne soit informé de sa démarche contentieuse.
Article 145 du Code de procédure civile
« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
Néanmoins, la mise en œuvre de cet article est soumise à des conditions plus strictes :
- Un motif légitime : il s’agit généralement de l’urgence, puisque l’employeur peut supprimer la preuve demandée à tout moment ;
- La mesure d’investigation doit être précisé, proportionnée à l’objectif poursuivi et suffisamment circonstancié et limitée dans le temps ;
Dans un cas d’espèce comme celui-ci, il n’y a pas d’urgence puisqu’un employeur ne peut pas matériellement supprimer un millier de bulletins de paie.
Rien ne justifie à mon sens dans ce cas une procédure non-contradictoire.
Quelle est la portée d’une telle décision pour un DRH ?
Cette décision n’est donc pas étonnante sur le fond : elle ne fait que confirmer une pratique déjà existante en matière de discrimination, à savoir la condamnation de l’employeur de communiquer des bulletins de paie. Néanmoins, elle interpelle par son côté massif. Elle permet également de rappeler aux employeurs qu’ils ne sont jamais à l’abri d’une action de groupe, en particulier si l’entreprise connaît un dialogue social tendu, sur des sujets sensibles comme l’égalité salariale.
Émilie Million-Rousseau
Avocate Associée en Droit Social @ Cabinet Racine
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Parcours
Avocate Associée en Droit Social
Juriste
Juriste-Doctorante
Établissement & diplôme
Doctorat de Droit Social
Master 2 - Droit Social
Licence 3
Fiche n° 43526, créée le 23/04/2021 à 17:31 - MàJ le 23/04/2021 à 17:40
Cabinet Racine
• Cabinet d’avocats
• Création : 1981
• Implantations : 7 bureaux à Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg, Bruxelles.
• Mission : accompagnement des entreprises dans 14 champs d’expertise (social, assurances, banque - finance , concurrence , contentieux des affaires, droit agricole, fiscal, pénal, fusion-acquisitions…)
• Regroupe 248 avocats, dont 74 associés
• Tél. : 01 44 82 43 00
Catégorie : Cabinets d'Avocats
Adresse du siège
40, rue de Courcelles75008 Paris France
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Fiche n° 9484, créée le 24/12/2019 à 14:23 - MàJ le 28/10/2022 à 15:41
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