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Télétravail : vers l’invention de nouveaux rapports entreprise/collaborateurs ? (Hubert Landier)

News Tank RH - Paris - Analyse n°191885 - Publié le 02/09/2020 à 18:26
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Hubert Landier -

Faisant suite au confinement lié à la Covid 19, le télétravail s’impose aujourd’hui aux entreprises en réponse à une attente majoritaire parmi les salariés. Il en résulte un nombre impressionnant de signatures d’accords, régulièrement rapportés par News Tank, et qui sont le plus souvent beaucoup plus ouverts que les possibilités qui existaient déjà dans celles des entreprises qui le pratiquaient déjà, mais d’une façon très restrictive.

Cette banalisation du télétravail pose toutefois des questions nouvelles en termes d’organisation de l’entreprise et en ce qui concerne le rôle des managers. Par ailleurs, il est permis de se demander si la capacité d’innovation collective de l’entreprise ne sera pas affectée par la distanciation physique des collectifs de travail.

Une analyse de Hubert Landier Membre fondateur @ CIPAS (Centre international de préparation à l’audit social) • Secrétaire général @ Association Condorcet pour l’innovation managériale • Membre du bureau @ Institut Erasme
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Des accords généralement fondés sur l’expérience des pratiques déjà existantes.

Les entreprises qui pratiquaient déjà le télétravail le faisaient d’une façon prudente, voire parcimonieuse, en le limitant, à la fois en nombre de jours autorisés en télétravail et quant aux conditions requises pour que le salarié puisse en bénéficier.

Les craintes motivant cette prudence étaient les suivantes :

  • Les échanges au sein du collectif de travail seront limités, ce qui nuira à son efficacité ;
  • Le manager ne sera plus en mesure de jouer le rôle qui doit être le sien ;
  • La culture d’entreprise et l’existence d’un projet collectif s’en ressentiront;
  • Les salariés n’ont pas nécessairement la capacité à s’organiser d’une façon autonome.

Ces préventions ont volé en éclat avec le confinement. Les entreprises ont pu fonctionner en état plus ou moins généralisé de télétravail et les salariés ont su s’organiser.

Ce sont plusieurs réflexes liés à l’organisation taylorienne du travail qui ont ainsi été mis en défaut ; ces réflexes, jamais exprimés en tant que tels, sont les suivants :

  • Il y a dans l’entreprise ceux qui sont là pour décider et ceux qui sont là pour exécuter et dont le degré d’autonomie ne peut être que limité et résiduel;
  • Le rôle des managers, autrement dit, de ceux qui sont là pour décider, est d’ordonner, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner.

La question est de savoir si ce qui a marché durant cette période exceptionnelle qu’était le confinement marchera encore « en temps normal ».

D’où la prudence, mais aussi les présupposés, dont témoignent les récents accords sur le télétravail :

  • D’une façon générale, le nombre de journées possibles en télétravail est limité à trois, deux ou à une seule journée par semaine.
    Comment se justifie ce maximum, imposé globalement à toutes et tous au sein d’une même entreprise ?
    Doit-il être identique pour une secrétaire administrative et pour une secrétaire commerciale ?
    Pour un salarié qui a dix ans d’ancienneté et qui connaît à fond son métier et ses collègues - et pour un autre qui débute dans le métier et qui connaît encore mal l’entreprise ?
    Dans un service administratif et dans un bureau d’études ?
    L’adoption d’une règle aussi générale ne se fonde pas sur une nécessité en termes d’efficacité mais sur une facilité en termes de gestion : « ce sera la même chose pour tout le monde ».
  • De même de tel accord qui prévoit un contact avec le supérieur hiérarchique « au moins une fois par semaine ».
    Si une telle fréquence est ainsi prévue, c’est qu’elle ne va pas de soi, ce qui montre que la communication « en présentiel » n’est pas nécessairement toujours aussi fluide qu’on pourrait le supposer. On ajoutera qu’une telle fréquence peut sembler très basse. Il est des entreprises ou le contact est au minimum quotidien, voire biquotidien (une réunion de briefing le matin et une réunion de debriefing le soir, par exemple). Ce qui apparaît ainsi, c‘est une crainte non exprimée : celle de ce que, compte tenu des habitudes existantes, le salarié ne soit encore davantage laissé à lui-même, sans possibilité de recours en cas de problème, voire d’urgence.

Autrement dit, le télétravail aura été conçu par référence à des pratiques existantes, non pas dans l’optique d’une réinvention de l’entreprise et de son organisation. La prudence dont auront fait preuve les signataires, directions d’entreprises et délégués syndicaux, se fonde sur les difficultés que leur suggère leur expérience : problèmes d’organisation et de compétitivité d’une part, risques d’abus de l’autre. Reste à savoir si le monde de demain sera semblable à celui d’avant, si le confinement n’a pas fait évoluer les lignes et si l’entreprise du futur devra être la reproduction, en gros, de celle d’hier.

Rôle des managers et gestion des salariés à réinventer

Les témoignages recueillis auprès des salariés à l’occasion d’audits sociaux oscillent souvent entre deux extrêmes : « avoir tout le temps son patron sur le dos » et « ne pas pouvoir compter sur le soutien de son manager » compte tenu de son manque de disponibilité.

C’est cette réalité que vient bousculer le télétravail :

  • D’une part, le manager se trouve désormais contraint de respecter la zone d’autonomie de chacun de ses collaborateurs dans le cadre des objectifs qui sont les siens et qui, au moins théoriquement, auront été préalablement fixés d’un commun accord.
    Ce qui compte désormais, c’est de savoir s’il les a atteints ou non, et cela dans le respect ou non des procédures prévues. Il ne s’agit plus de contrôler, parce que c’est devenu impossible, la façon dont il organise son temps.
    Le cadrage initial des objectifs à atteindre et les règles à respecter en vue d’y parvenir sont donc de la plus grande importance.
  • D’autre part, le manager doit se montrer d’autant plus présent que ses collaborateurs sont hors de son champ de vision. Cela doit passer par sa disponibilité lors des difficultés inopinées que rencontre son collaborateur, par des réunions d’équipe, soit en visioconférence, soit en présentiel quand les circonstances ou le sujet l’exigent, et enfin par des points de situation et des possibilités d’échanges qui devraient être au moins quotidiens. Ce qui demande ainsi à être évité, c’est la situation du salarié laissé seul avec lui-même, sans directives claires, sans possibilité de recours ou de conseil et sachant qu’il sera jugé sur des résultats ou sur des décisions dont il ne maîtrise pas entièrement toutes les données. 

Le télétravail ne doit donc pas déboucher sur un isolement du collaborateur. L’organisation du travail en équipe doit au contraire permettre d’éviter ce risque d’isolement par la mise en place de règles claires, de possibilités de recours, d’aide et d’appui, ce qui suppose des moyens de communication adaptés.

Au total, il est permis d’affirmer que les réticences suscitées par le télétravail face aux risques qu’il représenterait ne sont que l’expression des insuffisances du management avant qu’il ne soit mis en place et son état de préparation à un contexte nouveau. Parfois, le télétravail peut aller de soi parce qu’il correspond à la culture de l’entreprise, parfois celle-ci en et très éloignée. À quoi s’ajoute le fait qu’il ne suscite pas les mêmes réactions selon les générations.

Règle uniforme ?

Mais ce n’est pas tout. Pourquoi imposer d’en haut et d’une façon uniforme le nombre maximal de journées hebdomadaires qui seront désormais autorisées en télétravail ?

Ce qui est possible et souhaitable est nécessairement fonction de la personnalité de chacun, de la nature des tâches qui lui sont confiées, de son expérience, etc.

La règle identique pour tous, imposée d’en haut, revient à nier la diversité des situations et des comportements personnels auxquelles elle s’applique ; elle témoigne d’abord d’un mode de gestion par masses selon lequel un collaborateur est nécessairement identique à un autre. Elle répond au mode de fonctionnement de la manufacture du XIXème siècle tel qu’il s’est imposé par opposition à l’artisanat qui la précédait et enferme ainsi l’organisation du travail dans un moule aujourd’hui dépassé.

De la productivité individuelle à l’efficacité collective

Les syndicats ont à juste titre souligné les débordements dont le télétravail pouvait être l’occasion. Le risque est celui d’un retour au travail à la tâche et d’un transfert des coûts (matériel, espace, connexion téléphonique) au salarié.

Il est permis aussi d’y voir une modification potentielle du rapport du salarié à l’entreprise, le contrat de louage de service calculé en temps de travail dérivant vers un contrat de prestation calculé en termes de résultat.

Certains  verront un risque d’ « ubérisation », d’autres un dépassement du salariat et la promotion d’une sorte d’artisanat industriel, comme le sont déjà les « fab labs » et autres espaces de co-working, moyennant lequel l’employeur se transforme en donneur d’ordre.

Deux questions

Une telle évolution soulève deux questions :

  • S’agira-t-il d’un progrès social ?
    Le travailleur risque en effet de perdre en sécurité ce qu’il gagne en autonomie. Il n’est pas certain qu’une réponse définitive et unique puisse être apportée à cette question tant les situations sont différentes d’un métier à un autre ; au mois peut-on postuler qu’il nécessitera un encadrement juridique qui ne pourra plus être celui que constitue le droit du travail.
  • S’agira-t-il d’un progrès en termes d’efficacité ?
    Il n’est pas facile de répondre à cette question. Le télétravail est parfaitement adapté à des tâches déjà fortement cadrées ; mais il ne l’est peut-être pas au développement de solutions nouvelles supposant une forte interaction ente les membres du collectif. Une réponse définitive n’est probablement pas possible aujourd’hui : certaines équipes de recherche fonctionnent très bien à distance, au point même qu’une intervention de la hiérarchie est perçue comme inutile, voire comme un risque de perturbation.

La seule chose certaine au milieu de ce nœud de possibilités, c’est que la Covid aura représenté un événement déclencheur sur quelque chose d’autre. L’entreprise de demain et le travail de demain ne se présenteront pas comme un retour au « monde d’avant ». Les esprits n’y sont nécessairement préparés et aux attentes des uns font face les craintes des autres. Comme il en va lors de tout changement, il y aura nécessairement des gagnants et des perdants ». Et l’encadrement institutionnel devra lui-même évoluer. Le risque serait de considérer l’avenir les yeux résolument fixés sur notre passé.

Hubert Landier


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Parcours

CIPAS (Centre international de préparation à l’audit social)
Membre fondateur
Association Condorcet pour l’innovation managériale
Secrétaire général
Institut Erasme
Membre du bureau
Institut international de l’audit
Vice-président
Académie du travail et des relations sociales de la fédération de Russie
Professeur émérite
Propedia Groupe IGS
Professeur associé

Établissement & diplôme

Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne / IAE Paris
Docteur en sciences économiques

Fiche n° 31486, créée le 23/06/2018 à 15:53 - MàJ le 20/06/2024 à 10:07


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Hubert Landier -