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Quels KPI pour les Opco ? (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°393919 - Publié le
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

Alors que la mission Igas • Inspection générale des affaires sociales• Création : 1967• Missions : contrôle, audit et évaluation, conseil auprès des pouvoirs publics en matière de conception et de conduite de réformes … demandée par la ministre du Travail en vue de préparer les futures Conventions d’objectifs et de moyens a débuté ses travaux auprès des 11 Opco, un examen des COM précédentes démontre que les indicateurs utilisés pour évaluer l’action d’un Opco sont peu pertinents. Si dans les deux rapports consacrés à l’Opco EP • Opco des 54 branches professionnelles qui le composent (434 600 entreprises et 2,4 millions de salariés) • Création : par arrêté ministériel du 29/03/2019, l’Opco des entreprises de proximité a… et à Akto • Opco (opérateur de compétences) des services à forte intensité de main-d’œuvre qui accompagne 21 branches des secteurs des services dans leur stratégie de développement des compétences et des… la Cour des comptes • Juridiction financière de l’ordre administratif • Création : 1807 • Mission : vérifier l’emploi des fonds publics et sanctionner les manquements à leur bon usage• Organisation et… a pointé la faible valeur ajoutée de ces indicateurs, elle n’a pas pour autant apporté d’éléments sur les missions des Opco, leurs marges de manœuvre et leur valeur ajoutée. Au contraire, elle a parfois reproché aux Opco des résultats qui dépendent assez peu de leur action. Tentons donc ici de faire ce travail.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Pourquoi les indicateurs des COM actuelles sont peu pertinents

Rappelons les objectifs les plus fréquemment présents dans les COM des 11 Opco, qui associent cinq indicateurs généraux, communs à tous les Opco, et des indicateurs spécifiques.

Les indicateurs généraux sont :

  • L’impact en matière d’alternance (évolution du nombre de contrats d’apprentissage et de professionnalisation, évolution du taux de rupture)
  • Le taux de pénétration dans les entreprises de moins de 50 salariés (part des entreprises bénéficiaires)
  • La part de financements complémentaires aux ressources légales dans l’ensemble des ressources
  • Le coût de la gestion administrative des dossiers
  • L’accompagnement des entreprises en matière de transition environnementale

Les indicateurs spécifiques, lorsqu’ils existent, portent sur :

  • Le nombre de diagnostics d’entreprises (PCRH ou autres diagnostics) ou de pré-diagnostics réalisés par des conseillers formation ou d’appuis conseils
  • Le nombre d’actions d’information des entreprises et/ou le nombre de contacts entreprises
  • Le nombre de travaux des Observatoires
  • Le nombre de certifications mises en place pour les Branches
  • Le nombre de projets ou actions territoriales (dont les DOM)
  • Le financement de l’investissement dans les CFA
  • Le nombre de tuteurs ou maîtres d’apprentissages formés
  • Les actions menées en matière d’égalité Hommes/Femmes
  • Le taux de satisfaction client
  • Le taux de transformation en emploi des contrats en alternance
  • Le nombre d’entreprises bénéficiaires d’actions collectives
  • Le nombre de stagiaires suivant une formation certifiante
  • La part de l’activité financée par des fonds conventionnels
  • Le nombre de stagiaires entrant dans le cadre d’une politique publique (Illettrisme, Grand âge, …)
  • Le nombre de demandeurs d’emploi formés
  • Le taux d’action pour des salariés d’entreprises de moins de 50 salariés vs ensemble des actions
  • Le taux d’engagement des fonds conventionnels
  • Le nombre de formations à la transition environnementale et énergétique
  • La part des financements destinés à des structures d’insertion

(Liste non exhaustive)

Donner un objectif de croissance du nombre des contrats aux Opco est absurde »

Si l’on s’en tient aux cinq indicateurs généraux, le lien entre ces indicateurs et la valeur ajoutée de l’Opco est le plus souvent très tenu :

  • L’intervention directe de l’Opco influe peu sur le volume des contrats en alternance qui dépendent en premier lieu du contexte économique et des recrutements et en second lieu des politiques publiques (aides aux entreprises, aux apprentis, NPEC pour les CFA, etc.). Donner un objectif de croissance du nombre des contrats aux Opco est donc absurde, et on peut s’étonner de voir la Cour des comptes constater qu’un Opco n’a pas tenu ses objectifs sur les contrats de professionnalisation, alors que leur volume a considérablement chuté suite à la fin de la prime d’aide à l’embauche en mai 2024 ;
  • Le taux de pénétration dans les entreprises de moins de 50 salariés est plus à la main de l’Opco et peut correspondre à l’objectif d’étendre son impact. Il est toutefois très tributaire des moyens dont dispose l’Opco, or on rappellera que les taux de frais de gestion et de mission sont parfois très différents d’un Opco à l’autre ce qui rend aléatoire l’identification de la valeur ajoutée ;
  • La part des financements complémentaires identifie trois ressources : les contributions légales apportées par France Compétences, les versements conventionnels et volontaires et les subventions ou financements obtenus dans le cadre de projets. Les versements conventionnels dépendent de négociation de branche et pas de l’Opco, les versements volontaires peuvent être liés aux taux de financement (lorsque l’Opco finance partiellement et impose un versement volontaire différentiel) mais parfois également à une offre de services, l’absence de distinction entre les deux rend l’identification de la qualité de service difficile. Quant à la recherche de financements publics, elle peut effectivement démontrer une plus-value de l’Opco ;
  • Le coût de gestion administrative semblerait être l’indicateur rendant le mieux compte de l’efficience de l’Opco avec la réserve que les coûts de gestion d’un dossier d’alternant peuvent varier selon les secteurs uniquement par la variation des taux de rupture (le degré d’exposition au risque peut être très variable) et que les dossiers d’alternance n’ont pas les mêmes coûts que d’autres dossiers. Si la moyenne générale peut donner une indication, elle demeure toutefois une approche grossière ;
  • Enfin l’accompagnement des entreprises en matière environnementale recense des actions d’information ou de sensibilisation ou de diagnostic ou d’accompagnement avec une diversité qui favorise peu la capacité à identifier la vraie valeur ajoutée de l’Opco.

On constatera un paradoxe : sur les cinq indicateurs communs une minorité dépend à titre principal de l’action de l’Opco lui-même. Dès lors comment considérer que la COM peut être un outil de pilotage de l’activité de l’Opco et a fortiori d’évaluation de sa valeur ajoutée ?


Que pourraient être des indicateurs pertinents de pilotage et d’évaluation des Opco ?

Pour segmenter l’activité d’un Opco aux fins de pilotage et donc d’évaluation, plusieurs entrées sont possibles :

  • L’entrée par les missions légales : financement de l’alternance, financement de la formation dans les entreprises de moins de 50 salariés, appui aux politiques de branche, etc.
  • L’entrée par les bénéficiaires : les services directement rendus aux entreprises (diagnostics, information, accompagnement, financements, actions collectives, projets, offre de services dans le cadre de financements volontaires…) et les services rendus aux branches (promotion des métiers et politiques de branche, Observatoires, Certifications, Gestion des politiques de branche dans le cadre des fonds conventionnels…) ;
  • L’entrée par les activités : la gestion administrative (sur les financements à compétence liée dont l’apprentissage), la mutualisation financière (sur les financements opérés dans le cadre de politiques de l’Opco ou de politiques de branche sur les fonds conventionnels) et la mutualisation non financière (information, ingenierie, certification, observation, promotion des métiers, etc.).
Si l’on souhaite mesurer la qualité de service ou la valeur ajoutée de l’Opco, il semble que l’approche par bénéficiaire demeure la plus pertinente »

Si l’on souhaite mesurer la qualité de service ou la valeur ajoutée de l’Opco, il semble que l’approche par bénéficiaire demeure la plus pertinente, celle qui permet de mieux mettre en avant la chaîne de valeur ajoutée car il est possible de relier l’efficience du service rendu à l’appréciation de ce service par le bénéficiaire. Et surtout parce que les indicateurs peuvent être les mêmes pour des publics différents ce qui simplifie et rend plus lisible l’évaluation.

Qu’il s’agisse des entreprises ou des branches, les indicateurs suivants pourraient être utilisés :

  • La gamme de l’offre de services

Dans le champ du possible qui est le sien, quels sont les services qui sont effectivement disponibles au sein de l’Opco pour les entreprises et les branches. La gamme peut être très diversifiée pour les entreprises en matière d’information, de diagnostic, d’accompagnement, d’ingénierie, de financements, de mise à disposition de ressources, d’opportunité de participer à des projets, etc. Elle peut l’être tout autant dans l’accompagnement des branches en matière d’appui à la promotion des métiers, d’appui au dialogue social sur la formation, de pilotage ou d’accompagnement des Observatoires, d’ingénierie de certification, d’accompagnement de politiques de branche en matière de fonds conventionnels, etc.

Ce premier critère permettrait d’identifier le périmètre exact d’intervention de l’Opco et ses champs possibles de valeur ajoutée.

  • L’efficience des services

Comme pour tout service, il est des critères qui peuvent s’appliquer de manière générique : le triptyque Coût-Qualité-Délais est applicable à toute activité de production qui se traduit par des livrables bien identifiés. Que cela concerne le traitement d’un dossier de financement, la mise en place d’une action collective, l’accompagnement d’une branche pour la création d’une certification ou la réalisation d’une étude d’un Observatoire, les différents services peuvent être appréciés à cette aune : le délai entre la demande initiale et la réalisation, le coût de réalisation et la qualité du travail produit.

Bien évidemment les critères de qualité doivent être affinés selon la nature des services. Dans ce domaine, le mieux est l’ennemi du bien : la multiplication des critères conduit souvent à une fragmentation de l’évaluation et un risque de perte de sens et de travail analytique ou reporting qui éloigne de l’essentiel. Mais déterminer quelques indicateurs pertinents, choisir c’est renoncer, porte en soi des vertus qui sont indispensables à une saine évaluation, dont le fait de dire ce que l’on attend et à quoi on verra que le service est de qualité. On peut donner les quelques exemples suivants :

  • En matière d’information : accessibilité de l’information, langage adapté aux interlocuteurs, actualisation, opérationnalité ;
  • En matière d’accompagnement : valeur ajoutée potentielle, conditions d’accès, délais de mise en œuvre, mutualisation des résultats ;
  • En matière de financements : lorsque le financement est une compétence liée, comme l’apprentissage, la qualité du service relève de la conformité et du contrôle. Lorsque l’Opco dispose de marges de manœuvre, c’est-à-dire lorsque son Conseil d’administration décide des modalités d’intervention, la pertinence des politiques entre en jeu. Et on ne peut refuser d’évaluer une politique au prétexte qu’une branche est souveraine dans l’utilisation de ses fonds (ce qui est par ailleurs exact). Pour autant, elle ne peut faire l’économie d’évaluer le résultat et de le rendre public dès lors que cette politique est portée par une contribution mutualisée sur laquelle chaque contributeur est légitime à apprécier l’utilisation qui en est faite. Une évaluation d’impact apparaît dans l’ordre naturel et l’Opco pourrait mener cette évaluation au profit de la branche ;
  • En matière d’ingénierie non financière : les critères peuvent être quantitatifs (volume de services produits rapportés aux moyens) ou qualitatifs en termes de complexité des projets traités et de résultats obtenus.

Cette efficience des services peut faire l’objet d’une évaluation interne par l’Opco, elle peut faire l’objet d’une évaluation d’impact par un tiers et elle peut également faire l’objet d’une enquête de satisfaction clients (entreprises, branches). La multiplicité des sources est une garantie de la solidité des résultats.

  • La capacité d’innovation et de capitalisation

Si l’on remonte à l’origine, les Fonds d’Assurance Formation mutualisaient essentiellement de l’argent. Et puis ils ont de plus en plus réalisé des mutualisations non financières à travers le développement de projets territoriaux, de branches, d’expérimentations, d’innovations, etc. La très grande majorité des ressources d’un Opco sont soit publiques (contributions légales, financements de France compétences, FNE et autres financements publics) soit mutualisées (financements conventionnels). Ce qui justifie que les résultats des actions et projets financés soient capitalisés et mutualisés et les innovations partagées.

Un troisième champ d’indicateurs de l’action de l’Opco pourrait donc résulter de sa capacité à utiliser la matière dont il dispose à travers toutes ses activités pour en dégager de la ressource mutualisée mise à disposition de tous ou des interlocuteurs pertinents. Donnons quelques exemples :

  • Un Opco qui a réalisé 2 000 diagnostics d’entreprises doit pouvoir en tirer des enseignements utiles aux branches et aux entreprises qui n’ont pas utilisé le service ;
  • Un Opco qui a financé des actions expérimentales avec de nouvelles méthodes ou de nouveaux outils de formation doit pouvoir partager ces méthodes et outils et diffuser les bonnes pratiques aux branches, aux entreprises mais également aux organismes de formation (la formation est un marché, mais les conditions d’accès à un marché public peuvent inclure le partage des résultats, outils et méthodes) ;
  • Un Opco qui a travaillé avec des CFA sur la qualité des formations par apprentissage doit pouvoir mettre à la disposition de tous les ressources issues de ce travail.

La contribution de l’Opco à la mutualisation et à la diffusion des bonnes pratiques, des bons outils et plus largement de l’innovation peut donc faire l’objet d’une évaluation.


Conclusion

Comme on peut le constater, si l’on veut véritablement identifier la valeur ajoutée d’un Opco, la COM telle que réalisée aujourd’hui n’a que très peu d’utilité. Une véritable évaluation supposerait :

  • De définir la gamme des services attendus (et d’y corréler les moyens mis à disposition) ;
  • De mesurer l’efficience des différents services avec une approche générique en termes de Coûts-Qualités-Délais obligeant à définir en quelques indicateurs simples ce qu’est la qualité de chaque service et en croisant l’évaluation de l’Opco avec une étude d’impact et une enquête de satisfaction client ;
  • De mesurer la capacité de l’Opco, conformément à sa nature, à mutualiser et partager les bonnes pratiques et innovations.
Souhaitons que l’Igas prenne en compte la véritable nature de l’Opco »

Souhaitons que l’Igas, dont la mission est officiellement de préparer la négociation des nouvelles COM, prenne en compte la véritable nature de l’Opco, réalise une évaluation et une comparaison des pratiques au regard de ce qui relève effectivement de l’Opco et de ses moyens, et ne reste pas dans le cadre contraint de la seule recherche d’économies sans s’interroger sur la nature de l’Opco et ses possibles valeurs ajoutées. Et si ce n’était pas le cas, aux partenaires sociaux siégeant à l’Opco de se saisir du chantier : qui renonce à s’évaluer sera inévitablement évalué par d’autres et à son détriment.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 30/04/2025 à 12:37


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©  Seb Lascoux
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