« Si Steve Jobs avait été certifié Qualiopi, il n’aurait jamais créé Apple » (Jean-Pierre Willems)
Tout modèle, toute création, est basé sur des représentations, conscientes ou non. Le référentiel Qualiopi n’échappe pas à la règle : il traduit une conception de la formation qui repose sur une politique de la demande.
En effet, il présuppose que la formation doit répondre à des besoins. Si Steve Jobs avait questionné ses potentiels clients sur leurs besoins, qui lui aurait dit qu’il avait besoin d’un Mac ou d’un Iphone ?
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Qualiopi et la politique de la demande
Que ce soit dans sa structuration ou dans la manière dont sont construits les items du référentiel, toute la norme Qualiopi est sous-tendue par le fait qu’une formation doit répondre à un besoin qui doit avoir été préalablement identifié, analysé et pris en compte pour construire et produire une prestation adaptée. La demande du client ou du commanditaire, ou les caractéristiques des bénéficiaires doivent être les éléments structurants de la conception et la production de formation.
On retrouve ces présupposés dans plusieurs indicateurs :
- L’indicateur 4, qui somme l’organisme d’analyser le besoin du bénéficiaire en lien avec l’entreprise et/ou le financeur ;
- L’indicateur 6, selon lequel le prestataire établit les contenus et les modalités de mise en œuvre de la prestation, adaptés aux objectifs définis et aux publics bénéficiaires ;
- L’indicateur 10, qui prescrit que la prestation doit s’adapter aux bénéficiaires, étant précisé dans le niveau attendu que c’est l’analyse de besoin qui va établir la nécessité et le contenu de ces adaptations ;
- L’indicateur 21, qui prévoit que le prestataire doit réaliser une analyse de besoins de compétences des intervenants internes et externes.
Le présupposé que toute formation se construit à partir d’une analyse de besoins n’est pas propre à Qualiopi, c’est une des fausses évidences de l’ingénierie de formation.
L’analyse de besoin, une fausse évidence de l’ingénierie de formation
Pourquoi l’analyse de besoin est-elle une fausse évidence ? L’évidence, c’est qu’avant de mettre en place un service, il est préférable de demander aux principaux intéressés, c’est-à-dire les futurs bénéficiaires, ce qu’ils en pensent et si cela correspond à leurs attentes. Partir de la demande du client semble un incontournable dans la conception d’un produit ou d’un service.
Et pourquoi cette évidence est-elle fausse ? Parce qu’elle correspond à une politique de la demande dont la caractéristique est, justement, de partir d’une analyse de ce qu’expriment les futurs clients pour construire son offre. Pour qu’une telle démarche soit pertinente, il faut que les clients en question soient conscients de leurs besoins. Si tel n’est pas le cas, on peut toujours arguer que, justement, l’analyse de besoin est là pour faire émerger ce qui pourrait rendre service aux individus. Le besoin serait latent et l’analyse de besoin permettrait de le révéler.
Mais dans les deux cas, pour que quelqu’un exprime un besoin, encore faut-il qu’il puisse au minimum l’imaginer. Ce qui restreint le besoin au champ de connaissance de l’individu que l’on interroge. Comment exprimer le besoin de ce que je ne connais pas ?
À cette première limite, qui fait que l’expression de besoin sera enfermée dans les bornes de la connaissance de celui qui l’exprime, s’ajoute un autre inconvénient, que l’on retrouve assez systématiquement dans l’ingénierie des compétences : c’est l’approche négative portée par l’analyse de besoin.
Le besoin de compétences ou l’adéquationnisme négatif
La quasi-totalité des démarches compétences reposent sur la logique suivante : une cible est définie à travers le recensement des compétences requises pour un emploi ou une activité, un positionnement des personnes est réalisé, et l’on mesure l’écart entre les compétences possédées et les compétences requises. Cet écart constitue le besoin de compétences.
L’inconvénient de cette démarche est qu’elle place d’emblée la personne en situation négative : on se concentre sur les compétences qu’elle n’a pas et sur un manque à combler.
On peut considérer qu’il y a mieux à faire lorsque l’on veut lancer une dynamique et engager les personnes sur un chemin de progrès.
L’autre inconvénient est de considérer les compétences requises comme un réel auquel il conviendrait de se conformer. Or, les situations de travail, même lorsque le travail est très prescrit, se construisent à partir de l’ensemble des compétences dont dispose un individu, y compris celles qui ne sont pas dans la cible, et les environnements réels de travail. Prenons un exemple : si je construis le référentiel de compétences d’un responsable ressources humaines, je ne vais pas y trouver de compétences commerciales à strictement parler. Pourtant, si je confie cette fonction à un ancien directeur commercial, il va nécessairement utiliser des compétences commerciales qu’il va réinvestir dans la fonction. Laquelle va donc, dans sa réalité, ne pas correspondre à la cible théorique. Est-ce que cela sera efficace ? L’expérience nous enseigne que cela peut l’être. Mais qui exprimera un besoin de compétences commerciales pour une fonction ressources humaines ?
Si de nombreux travaux ont déjà démontré que l’adéquationnisme emploi-formation n’existait pas, pourquoi établir en dogme que l’adéquationnisme expression d’un besoin-formation serait systématiquement pertinent ?
D’autres approches semblent possibles, dont celle qui part de l’offre et de la valeur ajoutée.
Une approche par la valeur ajoutée
Plutôt que de construire à partir d’une demande nécessairement bornée dans son expression, il est possible de partir d’une offre et de sa valeur ajoutée potentielle. Lorsque Steve Jobs conçoit les premiers Macintosh, il n’y a pas de demande. Lorsque Michelin invente le Pax, le pneu qui se dégonfle lentement et permet de finir son trajet avant de changer de roue, non seulement il n’y a pas de demande, mais il y a une réticence forte à rouler sans roue de rechange. Qui avait besoin d’un Tamagotchi ou d’une poupée Patouf ? Pourtant des millions de personnes en ont acheté.
Ces modèles reposent sur l’innovation et la création d’un désir, lequel peut avoir des motivations très différentes. Il s’agit d’une politique de l’offre, bien souvent basée sur des ruptures et sur l’innovation.
Une politique d’offre basée sur l’innovation
Il est possible d’innover dans une politique de la demande : je peux être ingénieux dans la manière de répondre à une demande explicite et de lui apporter des solutions nouvelles. Pour autant, ce n’est pas le modèle le plus favorable à l’innovation. En effet, la demande se porte sur le connu. C’est rarement elle qui pousse à sortir des sentiers battus et à aller chercher une innovation forte.
La politique de l’offre, au contraire, est en recherche constante de différenciation et d’efficacité (une innovation non efficace ou qui ne trouve pas son public n’est pas une innovation : c’est une idée inaboutie ou une mauvaise idée).
Pour en revenir au référentiel Qualiopi, l’organisme de formation qui annoncerait à l’auditeur : « je n’ai fait aucune analyse de besoin, je n’en fais d’ailleurs jamais. J’ai par contre beaucoup travaillé pour mettre au point une formation qui apportera aux salariés la capacité à transformer leurs pratiques professionnelles. Aujourd’hui, personne ne me le demande, mais demain je ferai un tabac. Et ma prestation est tellement travaillée et cohérente que je ne l’adapte pas en fonction du public ». Au minimum, cela se traduirait par deux non-conformités majeures.
Conclusion
La formation professionnelle a besoin d’évoluer dans ses pratiques et modalités. Le secteur de la formation étant un secteur peu capitalisé et très majoritairement composé de TPE et PME, la capacité d’investissement dans la recherche est réduite.
Pour autant, des pratiques innovantes existent. Prenons garde à ce qu’une régulation de la qualité reposant sur un modèle unique ne vienne pas faire obstacle à l’absolue nécessité de développer toujours plus d’innovations.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40