Pourquoi les enquêtes sur la formation en entreprise ne nous apprennent pas grand-chose (J.-P. Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°413557 - Publié le
©  Seb Lascoux
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Le Céreq • Établissement public qui dépend du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et du ministère du Travail.• Création : 1971• Missions :- Construire des… a publié une enquête sur la formation dans les TPE-PME le 25/09/2025, quelques jours après que le Medef • Organisation patronale représentative au niveau national et interprofessionnel• Création : le 27/10/1998 (en remplacement du CNPF)• Chiffres clés :- Fédérations adhérentes (2023) : 99- Entreprises… a publié son baromètre Entreprise et Formation le 16/09/2025. Ces travaux dressent le constat d’un outil formation puissant mais insuffisamment utilisé par les entreprises. Notre conviction est que ces enquêtes, qui produisent les mêmes résultats depuis des décennies et appellent aux mêmes solutions, trouvent leurs limites dans la manière même de se poser la question de la formation dans l’entreprise, qui provient en grande partie de notre réflexe culturel de sacralisation de la formation qui conduit à la considérer comme une fin en soi alors qu’elle n’est qu’un moyen.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


La formation n’est pas une entrée

Les enquêtes sur la formation en entreprise perpétuent une double confusion :

  • Confondre le fait de se former et d’aller en formation ;
  • Mettre un signe positif sur tout accès à la formation.

Pourquoi se former n’équivaut pas à aller en formation ? Pour deux raisons. La première est que suivre une formation ne garantit absolument pas que l’on se forme. Et si l’on se forme, le suivi de la formation ne dit rien sur la pérennité des compétences acquises. Le Céreq lui-même a réalisé des travaux montrant que quelques semaines après le suivi d’une formation, 50 % des acquis avaient disparu. Mesurer le taux d’accès en formation ne nous donne strictement aucune indication sur l’évolution des compétences des salariés.

Non, la formation n’est pas « bonne » en soi »

La deuxième raison est qu’il existe des formations qui qualifient, qui élèvent le niveau de compétences et d’autres qui déqualifient. Un exemple ? Lorsque l’on demande à un salarié expérimenté qui est capable de s’adapter aux demandes clients de respecter strictement un script relationnel auquel on l’a formé, on le déqualifie et on lui fait perdre de la compétence. D’une manière générale, toute formation « recette » qui réduit l’activité à un processus normé et impératif détruit la richesse de l’expérience et les compétences, parfois invisibles, qu’un salarié a pu développer. Non, la formation n’est pas « bonne » en soi.

S’inscrivant dans la première confusion, l’enquête du Céreq mesure l’accès à la formation lorsqu’elle est organisée sous forme de stage ou lorsqu’elle est réalisée en situation de travail à condition que cette FEST soit organisée à l’avance et encadrée par un tuteur, la formation sur le tas n’étant pas prise en compte. Ce qui ne traite donc pas de ce qui est un enjeu pour l’entreprise : la compétence, mais d’une toute petite partie du sujet, une des modalités d’acquisition des compétences qu’est la formation. Et surtout, l’enquête ignore totalement les compétences qui seraient acquises par le travail. Car la vraie question n’est pas celle de l’accès à la formation mais du développement des compétences.

Le travail est la principale source de développement des compétences »

Illustrons ceci par une anecdote : il y a quelques années, une responsable de formation m’exprime une frustration : « vous vous rendez compte, moi qui m’occupe de former tous les salariés, depuis quatre ans que je suis dans l’entreprise je n’ai jamais été en formation ». Je lui ai posé alors une question : est-ce qu’elle pouvait me dresser la liste de tout ce qu’elle savait faire aujourd’hui qu’elle ne maîtrisait pas quatre ans plus tôt. Elle ne pourrait dire qu’elle ne s’était pas formée que si la liste était vide. Il se trouve qu’elle était longue. Le travail est la principale source de développement des compétences.

À ce sujet, on a la grande surprise de lire dans l’Observatoire du Medef que « le travail n’est pas en lui-même formateur » ! et qu’il ne le devient que si l’entreprise est accompagnée pour construire des environnements capacitants.

Cette idée qu’une ingénierie serait nécessaire pour rendre le travail formateur et qu’il ne le serait pas par lui-même est pour le moins incongrue. Certes le travail peut être aménagé pour être « encore plus » formateur. Certes conduire un travail réflexif permet de transformer plus sûrement l’expérience en compétences. Mais nier que l’on puisse apprendre du travail lui-même s’il n’est pas organisé pour cela est une imposture.

Relevons sur ce sujet que l’enquête Céreq relève que si la formation en situation de travail n’est que peu pratiquée, l’Afest est quasiment inexistante, preuve que le dispositif a totalement raté sa cible, notamment par les ingénieries délirantes qui ont été considérées comme indispensables à sa mise en œuvre alors que le cadre juridique était volontairement léger.


La question de la formation n’est pas une question centrale pour l’entreprise

Les enquêtes sur la formation professionnelle sont abordées à partir de l’écosystème de la formation : connaissance des dispositifs, des financements, taux de recours ou d’utilisation, relations avec les Opco et les organismes de formation… Pour conclure systématiquement que les entreprises, surtout les plus petites, sont insuffisamment informées et doivent être mieux accompagnées.

L’entrée par la formation est un biais majeur »

Or, toutes ces questions très autocentrées (il ne faudrait pas confier les enquêtes sur la formation aux spécialistes de la formation) ne rencontrent pas les préoccupations des chefs d’entreprise davantage tournés vers leur stratégie, leur organisation, leurs produits, leurs clients, etc. La formation n’est pas un sujet de dirigeant. La compétence peut l’être en tant que moyen pour atteindre ses objectifs. Et la compétence, ou la capacité à faire, peut trouver de multiples solutions : recrutement, sous-traitance, solution technique (confier à la machine ce que l’on ne confie pas aux personnes : la robotisation dans l’industrie, le digital dans les services, l’IA aujourd’hui pour tous), acquisitions de compétences par tous moyens, dont le principal est le travail et non la formation.

L’entrée par la formation est donc un biais majeur : la solution est un moyen que les enquêtes considèrent comme une fin. Or la formation est un sujet très secondaire : en premier lieu, il convient de comprendre quelle place tiennent les compétences dans la performance économique et sociale de l’entreprise. Ensuite, d’identifier de quelle manière l’entreprise se procure les compétences dont elle a besoin et enfin, lorsqu’elle fait le choix de l’acquisition des compétences par les salariés, quelle voie elle choisit et quelle place tient le travail lui-même dans ses acquisitions. Dans ce contexte, s’interroger sur la place du recours aux stages ou aux formations formelles et en faire un sujet en tant que tel, c’est zoomer sur la fin d’un processus dont on a saisi ni la finalité ni les composantes.


Des préconisations à l’efficience douteuse

L’enquête Céreq se conclut par une préconisation : renforcer l’accompagnement pour mieux équiper les entreprises en matière de recensement des besoins notamment, pour in fine conclure que la question de la formation dépend avant tout de la mentalité du dirigeant et de l’importance qu’il accorde à cette question. Faut-il une enquête lourde pour conclure que, dans une TPE, les modalités de management dépendent fortement du dirigeant ?

Une compétence non utilisée se perd rapidement »

Plus largement, les deux enquêtes constatent que les formations sont essentiellement de l’adaptation au poste et ne préparent pas aux compétences de demain. C’est faire l’impasse sur la notion même de compétence qui est une capacité à réaliser une activité en bon professionnel. Comment acquérir des compétences pour des activités qui n’existent pas ? Et c’est également oublier que l’anticipation n’est guère possible : une compétence non utilisée se perd rapidement. Il vaudrait mieux distinguer entre les compétences durables (qui peuvent être mises en œuvre dans toute activité : apprendre à apprendre, compétences relationnelles, compétences méthodologiques…) et les compétences de flux (celles qui ont vocation à s’actualiser rapidement) plutôt qu’entre les compétences d’aujourd’hui et celles de demain.

De manière également surprenante, les deux enquêtes considèrent que formaliser un plan de formation, ou de développement des compétences, serait un élément fondamental dans la structuration des pratiques et le développement de la formation. A-t-on vraiment besoin de figer sur le papier, lorsque l’on a huit salariés, les objectifs que l’on poursuit en matière de compétences et les moyens que l’on va utiliser pour cela ?

Enfin, elles insistent sur l’importance d’évaluer l’impact de la formation et pas seulement la satisfaction à l’issue de la formation, pratique encore largement majoritaire. En posant à cette occasion la question de la visibilité de l’investissement formation.

La notion d’investissement même est problématique car la compétence appartient au salarié et pas à l’entreprise »

Notre conviction est que là n’est pas l’enjeu. Il ne s’agit pas, par le discours, de persuader les chefs d’entreprise de l’intérêt de l’investissement formation ou de démontrer que chacun a intérêt à investir. Car ce n’est pas vrai. Il faut tout d’abord considérer, ce que fait l’Observatoire du Medef, que la notion d’investissement même est problématique car la compétence appartient au salarié et pas à l’entreprise. Ensuite, comment aligner la notion d’investissement et celle de formation obligatoire lorsque les obligations de formation pullulent dans de plus en plus de secteurs, absorbant toujours plus de moyens (temps, argent) qui trouveraient peut-être à être mieux employés sur d’autres finalités ou compétences.

Et rappelons que le sujet pour un dirigeant de TPE-PME n’est pas de savoir s’il doit investir ou non en formation, c’est d’abord d’identifier quelle place la compétence tient dans sa performance économique et sociale avant de se poser la question de la manière dont l’entreprise disposera de cette compétence, avant enfin d’arriver à la voie possible de la formation.

Faisons crédit aux dirigeants pour considérer qu’ils intègrent la dimension compétence dans leur management et que promouvoir l’outil formation c’est promouvoir le marteau même quand le problème n’est pas d’enfoncer un clou.


Mais alors, que faire ?

En premier lieu, si l’on s’interroge sur les pratiques de formation des entreprises, il convient d’éviter le biais de dispositions : travailler avec les données disponibles parce qu’il n’y en a pas d’autre et considérer d’emblée qu’elles sont pertinentes. En ce domaine, l’adage « c’est mieux que rien » est contre-productif. Souvent, « rien » vaut mieux qu’un résultat tronqué qui nous amène à prendre de mauvaises décisions. C’est ainsi que l’exploitation des déclarations fiscales relatives à la formation a pendant des années limité l’analyse du sujet au taux d’accès en formation et que manifestement nous n’arrivons pas à nous détacher de cette approche.

En second lieu, lorsque l’on réalise des enquêtes sur la formation, il conviendrait justement de ne pas s’interroger sur les taux d’accès à la formation, les résultats sont quasiment les mêmes depuis 50 ans, mais sur les stratégies d’entreprises en matière d’acquisition de compétences. Quand l’entreprise fait-elle le choix du recrutement, quand et comment gère-t-elle le risque de débauchage, comment s’y prend-elle pour débaucher, quand fait-elle le choix de faire évoluer en interne plutôt que de recruter (quels que soient les moyens utilisés pour cette évolution, y compris par la mise au travail sans accompagnement). Répondre à ces questions nous en apprendrait bien plus sur les stratégies et pratiques de développement des compétences que la mesure du taux d’accès en formation.

Ne pas dissocier la formation d’un diagnostic plus large sur les pratiques de gestion des RH du secteur et de l’entreprise »

Il faudrait enfin ne pas dissocier la formation d’un diagnostic plus large sur les pratiques de gestion des ressources humaines du secteur et de l’entreprise. Il est évident que dans des secteurs à fort turnover, l’hôtellerie-restauration par exemple, la notion d’investissement formation, si tant est qu’elle soit pertinente, ne peut absolument pas se poser de la même manière que lorsque l’entreprise a des salariés qu’elle conserve longtemps. Les choix des dirigeants en matière de formation ne peuvent être déconnectés de leurs choix managériaux plus globaux.

Enfin et surtout, il faudrait s’intéresser aux compétences plutôt qu’à la formation, et notamment aux compétences acquises par le travail. Différencier les entreprises qui ont des emplois permettant d’acquérir des compétences nouvelles et celles dans lesquelles l’organisation du travail ne favorise pas ces acquisitions. Et plutôt que de poser la question : « quels salariés ont été en formation cette année ? », préférer la question « quels salariés ont acquis des compétences nouvelles cette année ? ».

Ce qui permettrait de constater que les salariés des TPE-PME développent souvent davantage de compétences par la diversité de leurs activités que des salariés de plus grandes entreprises qui suivent 40 heures de formation par an pour appliquer des process de travail prédéfinis sur lesquels ils ont peu de prise.

C’est sans doute plus complexe et plus exigeant, mais c’est la condition si l’on veut disposer de résultats utiles et qui ont du sens.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/10/2025 à 16:28

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