
“Diversifier les profils, une clé pour l’avenir de l’ingénierie”, Adeline Simon (Atlas)
En 2024, l’OPIIEC (Observatoire des métiers du Numérique, de l’Ingénierie, du Conseil et de l’Événement) a lancé une étude pour éclairer l’avenir de l’ingénierie. Son objectif : comprendre comment ce secteur stratégique recrute, où se situent ses forces et ses manques, et comment préparer les besoins à horizon 2030.
Soutenue par Atlas, l’enquête s’appuie sur une méthodologie solide : 400 entreprises et 600 salariés interrogés, des entretiens qualitatifs et une analyse de l’offre de formation.
Les résultats sont clairs : l’ingénierie est en forte croissance, avec plus de 45 000 emplois à créer d’ici 2030. Cependant, elle doit relever un défi majeur, celui de la pénurie de talents et du manque d’attractivité des filières scientifiques.
Adeline Simon, Cheffe de projets Prospective à la direction des Politiques de Branches et Ambassadrice RSE chez Atlas, répond à nos questions.
Pouvez-vous revenir sur le contexte de lancement de cette étude de l’OPIIEC et sur les objectifs qu’elle poursuit ?
L’étude part d’un constat partagé : l’ingénierie est déjà en sous-effectif et devra recruter près de 80 000 salariés d’ici 2030. Les besoins, liés à la décarbonation, au nucléaire, à l’automobile électrique ou encore au ferroviaire, vont croître rapidement. Face à ce défi, l’OPIIEC a voulu dresser un état des lieux et proposer des pistes concrètes.
Au-delà du constat, il s’agit de repenser des pratiques de recrutement encore trop centrées sur les diplômés de niveau Bac+5 issus des écoles d’ingénieurs, et d’explorer d’autres viviers - masters universitaires, reconversions… - pour avoir une diversité des profils et sécuriser les besoins à venir.
Pourquoi l’ingénierie est-elle un secteur stratégique pour l’économie et les transitions en cours ?
L’ingénierie est stratégique parce qu’elle se trouve au cœur de toutes les grandes transformations en cours. On le voit avec l’automobile électrique, la relance du ferroviaire, le développement du nucléaire, ou encore la rénovation du bâti et la revitalisation des villes : tous ces sujets structurants pour notre économie reposent sur les compétences des ingénieurs.
C’est un secteur clé pour accompagner les transitions écologique et numérique, car il intervient à la fois sur les infrastructures, sur l’énergie, sur la mobilité et plus largement sur la manière dont on repense notre société. Autrement dit, sans l’ingénierie, il serait impossible de réussir ces transitions.
Le rapport pointe un décalage entre les besoins en ingénieurs et le nombre de diplômés de ce secteur. Quels sont les principaux facteurs de ce déficit ?
Il y a deux facteurs principaux qui expliquent ce déficit. D’abord, la question de la féminisation : aujourd’hui seulement 30 % des ingénieurs sont des femmes. Cela réduit mécaniquement le vivier de talents, et le manque de modèles féminins entretient un processus qui s’auto-alimente puisque les jeunes filles se projettent moins dans ces carrières. On sait d’ailleurs que cette orientation se joue très tôt, dès l’école primaire, où elles sont davantage orientées vers d’autres matières que les sciences.
Le deuxième facteur, c’est la manière dont on recrute. Historiquement, les entreprises privilégient quasi exclusivement le diplôme d’ingénieur de niveau Bac+5, considéré comme le profil idéal. Cette approche ferme la porte à d’autres profils pourtant tout à fait aptes. C’est justement l’un des enjeux du rapport : montrer qu’il existe d’autres voies pour répondre aux besoins, en élargissant les critères de recrutement.
Quels viviers de talents vous paraissent les plus prometteurs aujourd’hui ?
L’un des viviers les plus intéressants aujourd’hui sont les masters universitaires. Ils offrent des compétences pointues et complémentaires à celles des écoles d’ingénieurs. En outre, il est pertinent de prendre en compte les niveaux Bac+2 et Bac+3, qui peuvent constituer une base solide, surtout si on les accompagne par des formations ciblées ou des parcours en alternance. Diversifier les recrutements, c’est la clé pour élargir le vivier et répondre à l’ampleur des besoins.
Les profils en reconversion professionnelle, représentent également un vivier prometteur. Un salarié sur cinq en ingénierie est déjà passé par ce type de parcours, mais il reste encore beaucoup à faire pour mieux accompagner ces trajectoires. Cela passe par une meilleure information sur les métiers, et par des dispositifs d’intégration plus solides dans les entreprises, afin de ne pas décourager ces talents en cours de route.
Comment progresser concrètement sur la féminisation et la diversité sociale du secteur ?
Le sujet de la féminisation se joue très tôt. Les stéréotypes de genre influencent dès l’école la perception des filles vis-à-vis des matières scientifiques. Mais c’est surtout au moment du lycée que les écarts se creusent, notamment depuis la réforme du bac de 2019 qui a contribué à réduire le nombre de jeunes filles s’orientant vers les spécialités scientifiques. Il faut donc agir en amont, dès le collège, et poursuivre la sensibilisation au lycée pour élargir réellement le champ des possibles.
Mais l’effort doit aussi venir des entreprises elles-mêmes. Le rapport propose par exemple de structurer des kits de sensibilisation et de bonnes pratiques en matière de diversité, à destination des sociétés d’ingénierie. L’idée, c’est de partager des outils RH, d’organiser des échanges - pas seulement des webinaires - pour amener les recruteurs à réfléchir concrètement à leurs pratiques. C’est en travaillant à la fois sur l’orientation des jeunes et sur les habitudes de recrutement que l’on pourra réellement progresser sur la diversité.
Quelles sont les actions les plus urgentes à déployer ?
Deux actions doivent être mises en œuvre en priorité. La première, c’est de renforcer la promotion des métiers dès le collège. On sait que l’orientation se joue très tôt, et nous avons déjà, avec Atlas, les outils pour sensibiliser les jeunes à la richesse des métiers de l’ingénierie. C’est essentiel pour élargir le vivier de talents dès la base.
La deuxième action urgente concerne directement les entreprises. Comme précisé dans le point précédent, il s’agit de construire et de diffuser des kits de sensibilisation autour de la diversité et des bonnes pratiques RH. Les sociétés d’ingénierie doivent être outillées pour faire évoluer leurs méthodes de recrutement et fidéliser davantage. Finalement, il faut agir à deux niveaux : en amont, auprès des plus jeunes, et en aval, auprès des employeurs, pour répondre à la fois aux besoins de demain et aux tensions actuelles.
En résumé, quels sont les chiffres-clés à retenir sur l’emploi et les recrutements à horizon 2030 ?
Si je devais retenir un chiffre, ce serait celui-là : d’ici 2030, le secteur devra recruter environ 20 000 profils de niveau Bac+5 issus d’autres filières universitaires ou de la reconversion professionnelle, en plus des ingénieurs diplômés. Cela traduit bien l’enjeu d’ouvrir les pratiques de recrutement pour aller chercher des talents ailleurs que dans le vivier traditionnel.
Et plus globalement, les études estiment qu’il faudra près de 45 000 nouveaux salariés à horizon 2030 pour répondre aux besoins liés aux grands chantiers de transition. Quand on sait que les recrutements sont déjà compliqués aujourd’hui, on comprend à quel point la tension risque de s’accentuer dans les prochaines années.
Consulter l’étude dès maintenant !
https://www.opiiec.fr/etudes/142547
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