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Mais où va la formation professionnelle ? (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°322544 - Publié le 22/04/2024 à 16:58
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Jean-Pierre Willems - ©  D.R.

Le plus inquiétant n’est pas tant la question, que l’absence de réponse. On serait bien en peine, en effet, d’identifier celle ou celui qui pourrait y répondre de manière précise. Ce n’est pas parce qu’un système bouge encore qu’il est vivant, et avoir une actualité ne suffit pas à caractériser une dynamique.

Si l’on veut bien définir la dynamique comme des changements permanents organisés autour d’une finalité, il faut bien reconnaître que la finalité aujourd’hui fait défaut.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Une dynamique paritaire qui a disparu 

L’État avait dressé le constat, dans le cadre de la réforme de 2018, que la dynamique paritaire, qui a longtemps porté la formation professionnelle en France, s’était essoufflée après 50 ans de bons et loyaux services, et que le système mis en place dans les années 1970 et consolidé au début des années 1980 ne parvenait plus à se doter d’objectifs lisibles et ambitieux, voire qu’il perpétuait des pratiques d’un autre temps et demandait à être réformé. D’où la reprise en main - « l’étatisation » diront certains -, de la formation professionnelle par l’État en 2018. Mais cette réduction de l’espace laissé aux partenaires sociaux a un prix : une déresponsabilisation qui n’a jamais été la meilleure manière de produire de l’innovation. L’échec de la négociation sur les reconversions illustre ce retrait de l’ambition paritaire, chacun au final estimant qu’il a plus à gagner à s’adresser directement à l’État qu’à construire à l’intérieur d’un système dont il n’a plus la maîtrise.

Le pari fait en 2018 d’un pilotage par l’État peut avoir le mérite de clarifier les responsabilités de chacun et de mettre un pilote dans l’avion. Il a l’inconvénient de n’offrir aucune solution de rechange si le pilote est défaillant.

Certes, il existe au niveau des branches professionnelles de multiples initiatives, insuffisamment valorisées d’ailleurs, et prises de responsabilités qui tempèrent le constat dressé sur le niveau interprofessionnel. Mais quelles que soient leurs qualités, elles n’ont ni pour vocation ni pour effet d’embarquer une dynamique plus générale.

La réforme de 2018 en déshérence 

La loi du 05/09/2018 portait une double ambition :

  • Installer l’apprentissage comme une voie attractive, efficace et qualitative pour l’accès à la qualification, à l’insertion, mais également à la poursuite d’études et à la promotion sociale.

    Résumer l’ambition de la réforme au chiffre d’un million d’apprentis n’a aucun sens. Pourquoi d’ailleurs un million et pas deux ? Le sens de la réforme se trouve dans les multiples valeurs ajoutées de l’apprentissage : rapprocher le monde éducatif et le monde de l’entreprise grâce à la pédagogie de l’alternance, offrir aux jeunes les moyens de financer leurs études, permettre aux entreprises d’élargir leur sourcing et recrutement en période de pénurie de main-d’œuvre pour nombre de secteurs, utiliser le dispositif qui présente les meilleurs résultats d’insertion et d’accès au diplôme, etc. Ce sont ces objectifs qui donnent du sens à la réforme et justifient l’effort financier consenti par la nation (l’impôt formation prélevé sur les entreprises et les compléments budgétaires apportés par l’État) pour la formation de sa jeunesse.
  • Développer chez tous les actifs le réflexe du développement de compétences grâce au CPF et à l’autonomie qu’il octroie en matière d’accès à la formation.

    L’objectif du CPF dépasse les seuls enjeux de l’usage à court terme de la formation suivie. Il vise à créer une acculturation générale à la question des compétences et de leur évolution, et à générer le réflexe formation.

Pour les deux dispositifs, apprentissage et CPF, l’utilité immédiate est associée à des enjeux de plus long terme de transformation du rapport des individus à la formation, clé d’une véritable formation tout au long de la vie.

 

Une régulation financière qui fait de la réforme un canard sans tête 

Depuis la sortie du Covid et la supposée fin du « quoi qu’il en coûte », la question des politiques publiques occupe l’essentiel du débat politique, sous l’angle exclusif de leur coût. C’est ainsi que les deux piliers de la réforme de 2018 sont dans le viseur de Bercy du fait de leur caractéristique de guichet ouvert. En effet, ce qui est sans précédent depuis la création du système de formation professionnelle en 1971, les contrats d’apprentissage et le CPF ne connaissent aucune limite financière de principe, l’État et France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… garantissant le financement de toutes les demandes éligibles.

On peut comprendre qu’un ministre de l’Économie s’inquiète de potentielles dérives financières, dès lors que la dépense n’est pas mise sous contrôle (mais n’en va-t-il pas de même pour tous les régimes d’assurance ?). Ce qui interroge, ce sont les modalités selon lesquelles s’effectuent les régulations :

  • Pour l’apprentissage, le complexe système de régulation financière a eu pour résultat de sanctionner prioritairement les niveaux 3 et 4 de formation, soit ceux qui sont unanimement considérés comme prioritaires, en épargnant plus largement l’enseignement supérieur, objet, lui, de toutes les critiques. On ne saurait réguler de manière plus aveugle. Par ailleurs, faire le choix de pénaliser l’offre de formation (qui représente 42 % du coût de l’apprentissage), tout en maintenant les exonérations et aides à l’embauche exceptionnelles (58 % du coût) interroge sur l’utilité des dépenses et laisse penser que la lutte conjoncturelle contre le chômage vaut mieux que l’investissement éducatif de moyen/long terme.

  • Pour le CPF, la régulation s’effectue à travers le prisme unique de la lutte contre la fraude, qui était certes nécessaire, mais ne fait pas pour autant une politique de formation : renforcement des contraintes administratives par la CDC, restriction de la sous-traitance qui, de fait, est systématiquement considérée comme une fraude, sans analyse de sa place réelle dans l’éco-système de la formation, maintien d’une certification Qualiopi qui ne porte toujours pas sur la qualité des formations et n’est qu’un faible outil de régulation du marché, le reste à charge présenté comme responsabilisant mais que tout le monde traduit comme dissuasif, etc. Et l’on soulignera l’incohérence de voter une loi en juin 2023 ouvrant le CPF au permis moto, avant d’adopter un décret pour restreindre l’effet de la loi quelques mois plus tard.

Ce qui est en cause à l’évidence, ce n’est pas tant la régulation - tout gouvernement est légitime à faire des choix dans ses politiques et à avoir le souci des finances publiques -, qu’une régulation qui ne s’inscrit dans aucune politique affichée et affirmée. 

Qui peut dire aujourd’hui, au-delà du chiffre totémique du million d’apprentis, quelle est l’ambition de l’apprentissage : lutter contre la non-qualification, remettre en marche l’ascenseur social grâce à la poursuite d’étude, rapprocher toujours plus les mondes cloisonnés de l’entreprise et de l’éducation, disposer d’une voie professionnelle performante et de qualité… Cela fait bien longtemps que le débat est saturé par la question des millions à économiser, que le sens est perdu de vue et surtout qu’une véritable politique n’est affirmée et assumée.

Le constat est identique pour le CPF : plutôt que de rajouter des barrières financières ou bureaucratiques à son usage, pourquoi ne pose-t-on pas plus directement la question de sa finalité, de la part qui doit être financée par l’État et de celle qui revient à d’autres acteurs, collectivités publiques ou entreprises, y compris l’individu lui-même ? Mais cela supposerait d’assumer une orientation politique pour l’accès à l’exercice du droit.

Et l’on rajoutera le sujet des reconversions, qui mériterait d’être articulé aux deux premiers, c’est-à-dire en associant le succès de l’alternance comme modalité pédagogique et l’usage du droit individuel pour se reconvertir, pour contribuer à donner du sens et de la cohérence au système de formation et ne pas revenir à des dispositifs statutaires et cloisonnés comme nous en avons trop souvent connu.

Retrouver urgemment une politique

Les enjeux liés à la compétence et à la qualification sont immenses, chacun en convient. L’accélération des transformations technologiques, organisationnelles, climatiques, pour ne pas parler de géopolitique, semble n’avoir pas de fin. Dans ce contexte, et cela est plus facile à formuler qu’à réaliser, il est urgent d’échapper à la tyrannie de l’instant, de la régulation immédiate et de donner à chacun des capacités à se projeter et à agir. Pour cela, il est indispensable d’afficher clairement les objectifs de moyen terme et de donner de la visibilité à tous les acteurs. Et si régulation il doit y avoir, elle se fera dans un cadre clarifié. À défaut, l’incompréhension le disputera à l’incohérence dans un match nécessairement sans vainqueur.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40


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