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Enregistrer les certifications en fonction de leurs résultats : une fausse évidence ? (J.-P. Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°316228 - Publié le 23/02/2024 à 18:43
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Jean-Pierre Willems - ©  D.R.

Même si de nombreux travaux de recherche ont montré que l’adéquationnisme emploi/formation était une chimère, il continue d’imprégner fortement les esprits et pratiques des décideurs.

Tel est le cas en matière de certifications professionnelles : c’est principalement au regard des résultats d’insertion que la commission de la certification professionnelle de France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… décide de l’enregistrement, ou non, d’un titre ou diplôme au RNCP. Ce qui paraît relever de l’évidence, justifier de bons résultats pour être reconnu, pourrait de fait non seulement avoir de nombreuses limites mais également emporter des effets pervers.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Une évidence consacrée par les textes

Les critères relatifs à l’enregistrement d’une certification ne relèvent pas de la Commission de la certification professionnelle de France compétences : ils sont fixés par l’article R. 6113-9  du Code du Travail. Ce texte fait de l’adéquation entre les emplois occupés et le métier visé le premier critère d’enregistrement, avec l’exigence d’apprécier cette adéquation pour au moins deux promotions, le second critère étant l’impact du projet en matière d’accès ou de retour à l’emploi, toujours pour au moins deux promotions, au regard de l’impact de certifications de même nature. Seuls les métiers réglementés échappent à ces conditions.

Article R6113-9 du Code du Travail (1/2)

Les demandes d’enregistrement dans le répertoire national des certifications professionnelles au titre du II de l’article L. 6113-5 sont examinées selon les critères suivants :

  • 1° L’adéquation des emplois occupés par rapport au métier visé par le projet de certification professionnelle s’appuyant sur l’analyse d’au moins deux promotions de titulaires ;
  • 2° L’impact du projet de certification professionnelle en matière d’accès ou de retour à l’emploi, apprécié pour au moins deux promotions de titulaires et comparé à l’impact de certifications professionnelles visant des métiers similaires ou proches ;
  • 3° La qualité du référentiel d’activités, du référentiel de compétences et du référentiel d’évaluation ainsi que leur cohérence d’ensemble et l’absence de reproduction littérale de tout ou partie du contenu d’un référentiel existant. Pour l’appréciation de la qualité du référentiel de compétences, il est tenu compte, le cas échéant, des compétences liées à la prise en compte des situations de handicap, de l’accessibilité et de la conception universelle telle que définie par l’article 2 de la convention relative aux droits des personnes handicapées du 30 mars 2007 ;
  • 4° La mise en place de procédures de contrôle de l’ensemble des modalités d’organisation des épreuves d’évaluation ;
  • 5° La prise en compte des contraintes légales et règlementaires liées à l’exercice du métier visé par le projet de certification professionnelle ;
  • 6° La possibilité d’accéder au projet de certification professionnelle par la validation des acquis de l’expérience ;
  • 7° La cohérence des blocs de compétences constitutifs du projet de certification professionnelle et de leurs modalités spécifiques d’évaluation ;
  • 8° Le cas échéant, la cohérence :
    • des correspondances totales mises en place par le demandeur entre le projet de certification professionnelle et des certifications professionnelles équivalentes et de même niveau de qualification ;
    • des correspondances partielles mises en place par le demandeur entre un ou plusieurs blocs de compétences de ce projet et les blocs de compétences d’autres certifications professionnelles ;
    • des correspondances mises en place par le demandeur entre un ou plusieurs blocs de compétences de ce projet et des certifications ou habilitations enregistrées dans le répertoire spécifique ;
  • 9° Le cas échéant, les modalités d’association des commissions paritaires nationales de l’emploi de branches professionnelles dans l’élaboration ou la validation des référentiels.

Les critères d’examen prévus aux 1° et 2° ne sont pas applicables aux premières demandes d’enregistrement relatives aux projets de certifications professionnelles pour lesquelles un enregistrement dans le répertoire national des certifications professionnelles est requis pour permettre l’exercice d’une activité professionnelle sur le territoire national en application d’une norme internationale ou d’une disposition législative ou réglementaire.

Même si les critères d’enregistrement ne sont pas donnés par ordre d’importance, on voit bien le sens d’un premier critère qui fixe le principe même d’une évaluation par les résultats et le rapprochement entre l’objectif de la certification et les emplois occupés.

Certes, la commission de la certification professionnelle sait faire preuve de discernement dans l’appréciation de ce critère : elle n’a pas imposé de seuil impératif (même si le chiffre de 70 % circule beaucoup) et sait apprécier le contexte, en neutralisant, par exemple, les poursuites d’études. Elle n’en reste pas moins tenue par les textes et examine donc en tout premier lieu le lien entre la certification proposée et les emplois occupés par ses titulaires. 

Or, ce lien doit être apprécié au regard des parcours professionnels tels qu’ils existent aujourd’hui et tout particulièrement lorsque la certification concerne majoritairement des jeunes qui rechercheront ensuite leur premier emploi.

Une conception datée de l’insertion professionnelle ?

Les travaux menés par le Cereq • Établissement public qui dépend du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et du ministère du Travail.• Création : 1971• Missions :- Construire des… , notamment à travers les études génération qui suivent le devenir professionnels de différentes classes d’âge, démontrent les limites de l’adéquation emploi-formation. Ainsi, il est établi que la moitié environ des jeunes entrant sur le marché du travail exercent un métier sans lien direct avec leur formation initiale (Cereq, essentiels n° 5, février 2024 ). Si le taux de dispersion est assez logiquement inversement proportionnel au niveau de diplôme, il n’en demeure pas moins très élevé y compris pour les diplômés de niveau bac + 5. Le Cereq constate d’ailleurs que c’est dans la tranche d’âge des moins de 30 ans que la mobilité professionnelle est la plus élevée et qu’elle a tendance à se réduire avec l’âge.

Et lorsque l’on zoome sur les secteurs qui connaissent de fortes tensions à l’embauche, on s’aperçoit que l’accès au métier n’est pas conditionné à titre principal par la formation suivie, ni d’ailleurs le parcours professionnel qui s’en suit. 

Relation formation-emploi dans les métiers en tension observés (Cereq) - © Cereq

https://www.cereq.fr/les %20jeunes-dans-metiers-en-tension 

De manière édifiante, les jeunes formés au métier ne sont pas majoritaires dans les recrutements, alors que l’on constate par ailleurs que plus de la moitié des jeunes formés à ces métiers s’engagent dans d’autres voies.

Part des jeunes formés à l'un des métiers et l'ayant exercé au moins une fois en 3 ans - © Cereq.

Autrement dit, même dans les métiers en forte tension et sur lesquels les besoins de recrutement existent, ce n’est qu’une minorité de jeunes formés à ces métiers qui vont l’exercer effectivement dans les trois années suivant la formation.

Dès lors, si l’appréciation du lien entre la certification et les emplois visés demeure un critère incontournable de la qualité et de l’intérêt de la certification, il ne saurait être le seul et demande à l’évidence une approche plus large que l’on pourrait formuler ainsi :

  • En quoi la certification permet-elle d’accéder effectivement aux emplois visés ?
  • En quoi la certification permet-elle d’accéder à d’autres métiers et quelles dimensions favorisent une insertion dans d’autres métiers que ceux visés ?

Cette deuxième interrogation, totalement absente des critères règlementaires d’enregistrement des certifications, correspond à cette remarque d’Yves Lichtenberger : « On ne forme pas aux métiers de demain, on permet à des étudiants de devenir capables de les faire émerger ».

Une telle interrogation aurait également le mérite de valoriser dans les certifications les capacités à transposer les compétences acquises à d’autres secteurs d’activité que celui visé, à élargir les horizons professionnels et à mieux préparer les certifiés à la réalité de ce que sont les parcours professionnels aujourd’hui.

En d’autres termes, l’adéquationnisme tel que formulé par l’article R.6113- 9 du Code du Travail paraît relever d’une vision de l’insertion professionnelle quelque peu datée et assez peu en phase avec la réalité des trajectoires professionnelles et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de jeunes diplômés (quel que soit le niveau de diplôme).

Cette première limite se double d’une seconde relative à la capacité du système de certification professionnelle à prendre en compte les rapides évolutions des compétences. L’accélération croissante des évolutions des organisations et des technologies réduit toujours plus la durée de vie des compétences et raccourcit les cycles de leur obsolescence.

Une prise en compte trop lente des évolutions des compétences

Si l’on prend en compte l’intégralité du processus, l’enregistrement d’une certification au RNCP prend au minimum 3 ans et plus souvent 4 : le temps de conception et d’ingenierie, le temps de mise en place, les deux années civiles pour les deux premières promotions, la constitution du dossier et le délai d’instruction (6 à 8 mois) et enfin la décision de la commission de la certification professionnelle.

Ce délai ne connaît que deux exceptions :

  • Pour les métiers règlementés, la certification peut être enregistrée sans que les critères de placement ne soient évalués (art. R. 6113-9, dernier alinéa) ;
  • Chaque année, la commission de la certification professionnelle établit une liste de métiers émergents ou en particulière évolution pour lesquels les critères de placement et d’analyse de deux promotions ne sont pas applicables (art. R. 6113-10).

S’agissant de cette dernière possibilité, la Commission a établi pour 2024 une liste de 29 métiers concernés. Outre que le processus d’élaboration de la liste est assez long, les branches professionnelles étant appelées à faire connaître leur projet, il ne couvre au final qu’une très faible partie des évolutions de compétences.

Ici, deux dimensions potentiellement contradictoires entrent en jeu :

  • La nécessaire stabilité des certifications pour favoriser à la fois leur connaissance et leur déploiement ;
  • Les évolutions des organisations, des activités, des emplois et des compétences, dont le rythme ne cesse de s’accélérer. 

Si un mouvement brownien d’évolution des certifications n’est pas souhaitable, les délais de 3 à 4 ans évoqués plus hauts sont pour certains métiers à l’évidence beaucoup trop long et le mécanisme des métiers émergents, par son caractère dérogatoire et son champ limité, n’est pas de nature à corriger ce décalage.

Une procédure de droit commun permettant, en apportant les justifications adéquates cela va de soi, d’enregistrer des certifications sur maquette et pour une première durée limitée (par exemple les deux années qui permettraient d’avoir les premiers résultats) serait bienvenue. Elle permettrait, par exemple, à une branche professionnelle de pouvoir faire enregistrer une certification dont le besoin a été validé paritairement, ce qui favoriserait son déploiement. Ou à un organisme mettant en place une innovation ou une expérimentation de pouvoir l’asseoir sur une certification reconnue dès l’origine ce qui pourrait également favoriser sa mise en œuvre.

Une telle évolution est d’autant plus indispensable que l’ensemble des systèmes de financement de la formation professionnelle tendent à être conditionné par la finalité certifiante. Ce qui prive de ce fait les nouveautés et innovations de la majorité des financements existants. S’il n’est pas question de considérer que toute nouveauté mérite d’être reconnue par principe, il ne doit pas en résulter qu’un système de reconnaissance officiel se rendre imperméable à l’innovation. 

En conclusion

Si les critères d’adéquation entre la certification et l’emploi, mesurés par les placements effectifs des certifiés, ne doivent pas être écartés et ont toute leur place dans l’appréciation de la valeur ajoutée d’une certification professionnelle, sans doute la place qui leur est accordée aujourd’hui est-elle trop importante au regard de la réalité des parcours professionnels et du rythme d’évolution des certifications. Ces critères relevant d’un décret, il n’y a guère de difficulté technique à les réviser ou à les faire évoluer. Reste à en avoir la volonté.

 

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40


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