« Il nous faut réenchanter le métier d’ingénieur » (Alexis Michel au colloque Cdefi)
« Former des ingénieurs demande de savoir attirer des candidats dans nos écoles et de leur raconter une histoire autour du métier d’ingénieur qui séduit encore. Il y a un trouble anthropocénique chez les étudiants, avec une remise en cause du progrès. Il faut donc voir comment on réenchante le métier, notamment face à l’enjeu du changement climatique », déclare Alexis Michel, directeur de l’Enib et président de la commission international et développement de la Cdefi, le 02/06/2022.
Il s’exprime dans le cadre d’une table ronde consacrée aux compétences d’avenir et enjeux de souveraineté en France et en Europe en 2030, lors du colloque de la Cdefi à Poitiers.
« On sait qu’il y a des élèves qui abandonnent leurs études, non parce qu’ils sont en difficulté, mais en interrogation sur le sens. C’est un aspect à intégrer dans la manière dont nous présentons et construisons nos formations. »
Pour Yves Bamberger, vice-président de l’académie des technologies, « on parle d’innovation tout le temps, mais plus de progrès, on ne raconte pas assez ce qu’ont permis les technologies depuis 200 ans, même en matière de progression d’espérance de vie. Cette notion gagnerait à être remise en visibilité. »
Cette réflexion s’inscrit dans un contexte de pénurie d’ingénieurs - évalué à 5 000 par an par la Cdefi -, qui risque de s’accentuer. « Dans le scénario bas carbone de France Stratégie, la France n’est pas forcément dimensionnée pour former tous les besoins en cadres et ingénieurs, notamment dans les secteurs du bâtiment et des transports. Les tensions vont donc s’accentuer, et il y a une attention à porter sur le système de formation, initial et continu », déclare Cécile Jolly, co-auteure d’un rapport pour France Stratégie sur les métiers en 2030.
De forts besoins de compétences pour les métiers d’ingénieurs d’ici 2030
Cécile Jolly présente plusieurs conclusions issues de l’enquête de France Stratégie et la Dares sur les métiers en 2030 :
- « Sur le scénario classique :
- un million d’emplois seraient créés entre 2019 et 2030, soit la poursuite des tendances passées, avec plus de postes qualifiés pour des personnes diplômées du supérieur, et aussi beaucoup de postes de cadres et d’ingénieurs nouvellement créés. Pour les ingénieurs informatiques, ces créations sont estimées à 115 000, et 75 000 pour les ingénieurs de l’industrie.
- Si on regarde les départs en retraite, certains secteurs ont moins de postes à pourvoir, comme l’informatique, car ils sont plus jeunes, et plus globalement les services qualifiés aux entreprises.
- Quand on regarde les jeunes débutants, il y a une élévation continue du niveau de qualification, avec des métiers très attractifs côté ingénieurs et cadres, et un système de formation qui couvre les besoins, sauf dans le bâtiment et l’industrie, où il y a aussi une faible mixité.
- Dans un scénario de décarbonation de l’économie, il faut compter sur un besoin de 200 000 emplois de plus, notamment sur la rénovation énergétique, avec un impact important sur les ingénieurs et les cadres qui vont s’exercer dans les services de conseils et ingénierie. »
Alexis Michel, directeur de l’Enib, estime toutefois que ces deux scénarios « sont assez conservateurs alors qu’on a le sentiment d’être dans des temps incertains, on aurait aimé un scénario un peu tempête ! »
« Certains éléments peuvent être de vrais leviers pour atteindre des objectifs en matière d’emploi : l’égalité des genres par exemple, mais la temporalité de rattrapage pour parvenir à parité est sûrement de 25 ans. Autre levier ou questionnement à avoir : que peuvent apporter des phénomènes nouveaux comme les flux migratoires, et que faisons-nous de cette opportunité ? »
Le rôle de l’État stratège : trouver « le bon dosage »
Yves Bamberger (Académie des technologies) voit deux priorités pour l’État : prioriser et rester constant.
- « Un des enjeux qu’a devant lui Bruno Bonnell, SGPI, est de ne pas céder aux différents lobbyings et de savoir faire des choix. La France ne prend pas en compte que nous sommes une puissance moyenne, et qu’on ne peut pas tout faire. Si on regarde la Corée du Sud, elle est montée au niveau mondial, mais en se focalisant sur quelques secteurs, elle a priorisé ».
- « Le comité Juppé Rocard a abouti à un consensus et qui a traversé les présidences successives, avec les quatre vagues de PIA, notamment Idex et I-site. Aussi, il y a l’espoir d’arriver à créer un consensus sur des grands programmes ce qui éviterait tous les trois ou cinq ans de basculer vers autre chose. »
Il donne l’exemple de l’énergie qu’il connaît, ayant été directeur R&D chez EDF. « Le consensus sur le nucléaire a éclaté et depuis Lionel Jospin on n’a rien décidé, ce qui a impacté les formations sur le secteur. Aujourd’hui alors qu’Emmanuel Macron annonce la relance du nucléaire, il y a beaucoup de choses à reconstruire. Or, quand on voit les milliards qu’on prévoit de dépenser sur l’hydrogène, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne façon de faire. »
Il conseille aux directeurs d’écoles d’ingénieurs d’écouter les industriels, « petits et grands, avec qui vous êtes en interaction. Ils ont une vision large, mondiale ».
Pour Alexis Michel, « l’État a les moyens d’être stratège par la proportion d’appels à projets qu’il lance et leur financement. On a complètement intégré que la recherche fonctionne comme cela, et on voit que l’enseignement supérieur prend ce chemin. La question c’est le bon dosage. Une école d’ingénieurs a besoin de visibilité sur le temps long, pour investir notamment sur les formations innovantes. »
« On a besoin de rester dans une diversité de réponses. Car il s’agit d’armer nos élèves pour leur vie professionnelle : on sait qu’ils auront un emploi à la sortie de l’école, mais on doit surtout leur donner la capacité à évoluer dans leur carrière.
Cela participe au fait d’ajuster leur formation, de les alerter sur les besoins en formation continue, sur leur capacité d’entreprendre aussi.
Le danger est d’avoir un État qui veut être trop stratège ou dans une réponse immédiate, et nous embarque vers un horizon qui peut être suicidaire. »
Place aux mad skills ?
Présente à distance pour cette table ronde, Isabelle Patroix, responsable ingénierie pédagogique à GEM, met en avant les mad skills. « C’est un concept nouveau, à côté des hard et des soft skills, et sur lequel il n’y a pas encore d’étude académique sur le sujet. Mais on pense qu’elles correspondent au grain de folie en plus… C’est la capacité à être créatif pour trouver une solution non pas à un problème donné mais à un problème qui n’existe pas encore. C’est une posture d’entrepreneur voire d’intrapreneur, qui entend faire bouger les lignes, avec une vision plus transverse et globale, dans une situation donnée.
Les enjeux sont devenus très systémiques et on attend des ingénieurs qu’ils comprennent les éléments qui permettent d’interagir avec le contexte, avec une vision éthique, durable, une adaptabilité, et de la curiosité. »
Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI)
Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs
• Statut : Association Loi 1901
• Création : 1976
• Missions :
- Étudier tous sujets relatifs au métier et à la formation des ingénieurs, ainsi qu’au développement de la recherche et à la valorisation de celle-ci
- Promouvoir l’ingénieur de l’école française, dans le monde comme en France
• Composition : Elle réunit l’ensemble des directeurs et directrices des établissements ou composantes d’établissements, publics ou privés, accrédités par la CTI (Commission des titres d’ingénieur) à délivrer le titre d’ingénieur diplômé
• Président : Emmanuel Duflos, directeur de l’EPF
• Directrice exécutive : Isabelle Schöninger, tél. : 01 85 65 25 25, isabelle.schoninger@cdefi.fr
• Contact : Sonia Pinot, chargée de communication
• Tél. : 01 73 04 34 36
Catégorie : Associations / Fondations
Adresse du siège
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Fiche n° 6285, créée le 19/01/2018 à 15:35 - MàJ le 22/10/2024 à 17:42
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