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Apprentissage : sortir enfin de l’approche statutaire (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°395410 - Publié le
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

Plusieurs débats traversent l’apprentissage, victime à la fois de son succès et des restrictions budgétaires qui ont pour seule ligne d’horizon les coûts sans jamais mettre en face les valeurs ajoutées. Le débat sur l’enseignement supérieur privé, le débat sur les diplômes et le débat sur les formations à distance. Ces trois débats ont en commun d’être mal posés. Et il est rare qu’un mauvais diagnostic soit la voie royale vers des décisions pertinentes.

Si l’on veut sortir des préjugés et s’intéresser véritablement à l’efficacité de la dépense publique et surtout à l’avenir des jeunes, il faut sortir de l’approche statutaire qui est un des défauts structurels de la société française en même temps qu’une facilité à laquelle il serait bon de ne plus céder.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


L’éternelle ritournelle des vices privés et des vertus publiques

Le débat sur l’enseignement supérieur privé remet sur le tapis pour la énième fois l’opposition entre des établissements publics qui seraient vertueux par nature et des établissements privés qui n’auraient comme seul objectif que de tromper jeunes et familles pour s’emparer de la manne financière de l’apprentissage.

Or, on pourrait opposer une liste de griefs aux établissements publics, parmi lesquels :

  • Un taux d’échec des établissements publics qui ne serait pas pardonné au privé : moins de la moitié des étudiants en formation initiale obtiennent une licence en 5 ans, 47 % des étudiants inscrits en Master le réussissent en deux ans. Quel rapport avec l’apprentissage ? Si les résultats sont meilleurs avec l’apprentissage, et ils le sont, alors il faut transférer structurellement des fonds de la formation initiale vers le financement de l’apprentissage, public ou privé. Mais cela est plus difficile que de hurler au loup et de mettre le projecteur sur le privé ;
  • Un double financement reconnu mais jamais pris en compte. La loi du 05/09/2018 avait prévu une minoration des NPEC pour les établissements publics bénéficiant déjà de financements publics pour éviter les doubles financements. Le décret attendu n’est toujours pas paru en cinq ans ;
  • Des apprentis mélangés à des étudiants de formation initiale sans que les coûts réels n’apparaissent dans la comptabilité des CFA ;
  • Des établissements publics qui s’auto-évaluent et s’affranchissent des règles de droit commun au nom d’une qualité présumée supérieure ;

Mais faire le procès général du public à partir de ces simples constats aurait la même inanité que le procès général qui est fait à l’enseignement supérieur privé. Si chacun renvoie au statut de l’autre, nous aurons au final les mandarins et les margoulins, et nulle solution pérenne ne sortira de cette caricature.

Est-il possible de mettre de côté la question du statut et de s’intéresser plus avant aux résultats ? L’apprentissage poursuit une double finalité : éducative et professionnelle. Tous les CFA sont censés publier leurs résultats ; il est donc possible de connaître les taux d’obtention des diplômes, les taux de poursuite d’études, les taux d’insertion dans le métier, les taux d’insertion hors métier, etc. Et c’est là qu’intervient le deuxième débat entre les diplômes et les titres.

Un diplôme vaut-il mieux qu’un titre ? Encore faut-il pouvoir comparer

Pour tous les titres enregistrés au RNCP, France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… dispose, en principe, des informations relatives à l’obtention de la certification et à l’insertion. Pourquoi en principe ? Parce que si cela est vrai pour les titres et diplômes enregistrés sur demande, ce n’est pas encore le cas pour les diplômes enregistrés de droit, c’est-à-dire la majorité des diplômes délivrés par les ministères.

Prenons un exemple :

  • Si nous consultons les fiches des titres RNCP de niveau 7 en ressources humaines délivrés par des organismes supérieurs privés (par exemple : l’IGS , ou Sup des RH ,) nous disposons des statistiques d’obtention de la certification et d’insertion à six mois et à deux ans.
  • Si nous consultons la fiche du Master RH du ministère de l’Enseignement supérieur  préparé dans près de 40 universités, nous ne trouvons aucune statistique de certification ou d’insertion. Le référentiel de compétences serait retoqué pour n’importe quelle demande d’enregistrement du fait de la non-contextualisation des compétences et d’épreuves d’évaluation laissées à l’appréciation des établissements préparant au diplôme. Deux poids, deux mesures ? Chacun appréciera.

Ces constats devraient amener à un minimum de retenue quant à la transparence des informations disponibles pour les familles et les apprentis et aux vertus respectives des diplômes qui, là encore, ne dépendent pas vraiment du statut des organismes certificateurs.

Les formations à distance vs le présentiel

Le troisième débat est celui des formations à distance dont le coût devrait être minoré au prétexte, toujours, que les établissements auraient des coûts inférieurs aux établissements assurant la formation en présentiel. Nous avons déjà souligné combien les préjugés encombrent également ce débat (lire l’analyse) qui pose trois questions :

  • Quelle est la définition de ces formations à distance pour lesquelles il conviendrait de minorer le coût (et la distinction entre les différentes formations à distance tant ce vocable assemble des formations extrêmement différentes) ?
  • L’analyse des comptabilités des CFA concernés permet-elle de justifier que les coûts sont bien inférieurs pour ces catégories de formation ?
  • Avons-nous mis en parallèle les résultats obtenus par ces formations (en matière de réussite aux diplômes et d’insertion) par rapport à des formations présentielles préparant aux mêmes diplômes ?

Faute de répondre précisément à ces trois questions avant toute décision, il faudra constater qu’en matière de formation et d’éducation, le préjugé l’emporte sur la raison et le jugement hâtif sur la vérification des résultats.

Les dépenses de communication… ou de promotion de l’apprentissage ?

Soulignons un dernier point : il est reproché aux CFA privés de trop dépenser pour la communication et le recrutement des jeunes. Il nous avait échappé que seul le privé était présent sur les salons, faisait de la promotion de ses cursus sur les réseaux sociaux ou avait embauché des community managers.

Manifestement, les pouvoirs publics n’ont pas intégré que la loi a fait de l’apprentissage un marché et qu’il n’est plus un service public et que la démographie s’est inversée avec les premières arrivées de classes creuses sur le marché du travail.

N’est pas posée non plus dans ce cadre l’égalité de traitement des établissements vis-à-vis de l’orientation professionnelle (présentation de toutes les offres par le service public de l’orientation) et de ses outils (Affelnet, Parcours Sup).

Et ce que l’on appelle « dépenses de communication » pourrait tout aussi bien être renommé « dépenses de promotion de l’apprentissage, de l’accès au diplôme et de l’accès à l’emploi ».

En conclusion

Comme on peut le constater, chaque fois que le débat sur l’apprentissage sera posé à partir du statut des CFA, il sera nécessairement biaisé.

La seule manière pertinente est de sortir des statuts et passe-droits associés pour aller vers le droit commun de l’apprentissage. Celui qui juge principalement sur les résultats, qui sont connus et disponibles, et celui qui peut en complément définir des critères de qualité avant de décider arbitrairement qui fait de la qualité ou non. Enfin, il faudra plus largement comparer les autres dispositifs de formation diplômante, notamment la formation initiale, et se demander si c’est véritablement sur des bouts de chandelle de l’apprentissage que les économies les plus substantielles sont à réaliser si l’on accepte de se poser véritablement et courageusement la question du rapport entre les euros investis et les résultats obtenus.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 17/04/2025 à 09:24


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©  Seb Lascoux
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