
« L’IA : une opportunité pour la fonction RH, à condition de piloter la transformation » (Kristy An)
« L’IA
Intelligence artificielle
représente une opportunité de valoriser la fonction RH, à condition que la transformation soit pilotée et non pas subie. L’IA libère du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée, renforce la légitimité de la fonction et lui donne un rôle stratégique, y compris sur le plan sociétal », déclare Kristy An, directrice associée de Bluenove (Groupe Alpha), à News Tank le 26/06/2025. Elle a publié le « Guide pratique de l’IA générative
Generative AI en anglais : branche de l’IA qui vise à créer des modèles capables de générer du contenu original (texte, image, vidéo, musique…).
pour les RH » en open source en juin 2025.
Kristy An identifie quatre niveaux de maturité des entreprises pour l’intégration de l’IA dans leur fonction RH, du premier niveau dit de « l’assistance » jusqu’au quatrième niveau, dit de « l’avant-garde », car il vise à explorer des angles morts et à intégrer des référentiels interculturels. « Par exemple, adapter les dispositifs RH à des contextes culturels variés (Europe, Asie, Afrique, Amérique…), en s’appuyant sur des modèles de langue diversifiés comme DeepSeek ou Mistral, qui offrent des réponses moins centrées sur les codes occidentaux que des outils comme Chat GPT ou Claude. L’inclusion et la diversité des données deviennent alors des enjeux majeurs. »
« Avec ce guide, nous avons voulu permettre à la fonction RH de s’approprier l’IA, de gagner du temps, d’éviter des pièges et d’adapter les outils à chaque contexte. L’objectif est de fournir un cadre méthodologique, d’ouvrir la réflexion sur les usages, les risques et les compétences nécessaires, et de rendre la démarche accessible à l’ensemble de la communauté RH. »
Comment avez-vous été conduite à travailler sur l’utilisation de l’IA Intelligence artificielle pour la fonction RH ?
J’ai été sollicitée par plusieurs clients grands comptes qui souhaitaient comprendre les enjeux de leur transformation IA. Chez Bluenove, nous travaillons sur l’IA sémantique depuis 2015, puis avons intégré l’IA générative Generative AI en anglais : branche de l’IA qui vise à créer des modèles capables de générer du contenu original (texte, image, vidéo, musique…). dans nos plateformes. Cela a soulevé rapidement des questions dans notre entreprise sur l’obsolescence des compétences, la pertinence du regard humain, et la place de l’analyste face à l’algorithme. Notre expérience nous a permis de distinguer les forces et limites des algorithmes, en supervisant leur travail, en partenariat avec l’INRIA, et en menant une activité de R&D soutenue par le crédit impôt recherche.
Permettre à la fonction RH de s’approprier l’IA, de gagner du temps, d’éviter des pièges et d’adapter les outils »Nous avons voulu partager cette expérience, nos méthodes et nos retours d’usage, en open source, pour permettre à la fonction RH de s’approprier l’IA, de gagner du temps, d’éviter des pièges et d’adapter les outils à chaque contexte. L’objectif est de fournir un cadre méthodologique, d’ouvrir la réflexion sur les usages, les risques et les compétences nécessaires, et de rendre la démarche accessible à l’ensemble de la communauté RH.
Comment votre double culture de juriste en droit social et de passionnée de technologies influence-t-elle votre approche de l’IA dans la fonction RH ?
J’ai un parcours en droit privé et en droit du travail, ce qui m’a donné une approche structurée des normes, très proche de la logique informatique. Appliquer une règle, qu’elle soit juridique ou informatique, relève du même principe : face à un usage, il s’agit d’automatiser des décisions selon des normes. J’ai toujours eu un intérêt pour la technologie, les lettres et la dimension régalienne. J’ai évolué vers la gestion RH, puis la digitalisation et la formation, en constatant que l’acculturation numérique n’était pas homogène dans la population RH.
J’ai commencé chez Bouygues Construction avec la création de kits d’acculturation digitale, puis chez EADS avec le déploiement du e-learning et la mise en place de LMS. J’ai mené des enquêtes engagement, des programmes de développement des talents, des learning expeditions dans la Silicon Valley, et j’ai appris à coder. Cette double culture me permet de lier la rigueur réglementaire, l’innovation numérique et l’accompagnement du changement.
Quels sont les quatre niveaux de maturité que vous identifiez dans les entreprises pour évaluer le niveau de leur intégration de l’IA dans leur fonction RH ?
Le premier niveau relève pour moi de « l’assistance » : l’IA prépare des tâches simples, par exemple aider à structurer un entretien d’évaluation.
Le deuxième niveau est ce que j’appelle « l’automatisation » : l’IA prend en charge des tâches répétitives, comme la programmation d’agendas ou l’envoi de questionnaires, ce qui fait gagner du temps mais n’apporte pas nécessairement de valeur ajoutée.
Pour le troisième niveau, je parle de « l’augmentation », car il consiste à utiliser l’IA pour repenser les dispositifs RH. Par exemple, créer des parcours différenciés selon les profils : génération Z, millennials, génération X, baby-boomers, chacun ayant des attentes spécifiques. L’IA permet de concevoir des dispositifs adaptés, ce qui serait complexe manuellement.
J’appelle le quatrième niveau, « l’avant-garde », car il vise à explorer des angles morts et à intégrer des référentiels interculturels. Par exemple, adapter les dispositifs RH à des contextes culturels variés (Europe, Asie, Afrique, Amérique…), en s’appuyant sur des modèles de langue diversifiés comme DeepSeek ou Mistral, qui offrent des réponses moins centrées sur les codes occidentaux que des outils comme Chat GPT ou Claude. L’inclusion et la diversité des données deviennent alors des enjeux majeurs.
À quel stade de maturité se situent actuellement les entreprises françaises, selon vos observations ?
La majorité du marché RH reste sur l’assistance et l’automatisation »Les entreprises les plus avancées, comme Airbus, Safran, CMA CGM ou L’Oréal, disposent d’équipes dédiées et expérimentent l’augmentation et l’avant-garde. En revanche la majorité du marché RH reste sur l’assistance et l’automatisation. Le guide que je publie en open source vise à accélérer la montée en maturité, notamment sur les deux cadrans centraux : l’automatisation et l’augmentation.
Quels usages de l’IA en RH considérez-vous comme prioritaires aujourd’hui ? Quels usages potentiels restent encore peu explorés ou négligés ?
L’automatisation de l’administration RH, via les chatbots, est très demandée. Ce cas d’usage permet de répondre à 40 à 50 % des questions des collaborateurs, mais l’efficacité reste variable selon la qualité de la mémoire du chatbot et la compréhension sémantique. Pour le middle office, cela libère les responsables RH de terrain des interventions de niveau 1.
Le développement de carrière individualisé grâce à l’IA est un autre cas d’usage porteur : il devient possible de générer des plans de carrière sur mesure, en s’appuyant sur les appétences et parcours des salariés, et de généraliser cette démarche à l’ensemble des effectifs. Cela rejoint une logique de GEPP ou GPEC automatisée.
La formation constitue un autre terrain d’innovation, notamment avec la création d’environnements de simulation (texte, audio, vidéo), permettant de développer l’acuité critique et les réflexes des collaborateurs. Des dispositifs comme 360Learning commencent à proposer des challenges managériaux simulés.
Sur la QVT et la prévention des RPS, l’IA peut accompagner les salariés, détecter des signaux faibles, et proposer un soutien ponctuel. Les services de coaching et de psychologie en ligne sont très consommés, mais il faut rappeler que l’IA reste un outil et ne remplace pas l’accompagnement humain.
Mais le développement de l’utilisation de l’IA ne fait-il pas peser des risques sur la fonction RH ?
Les risques sont multiples. Sur la sélection des candidatures, des biais algorithmiques peuvent apparaître : par exemple, des algorithmes entraînés sur des CV masculins ont pu discriminer les femmes. Plus récemment, certains modèles (Anthropic, OpenAI) ont montré des comportements inattendus, voire toxiques, lors de chaînes de réflexion complexes, avec des tentatives de manipulation ou d’intimidation des utilisateurs par l’IA elle-même.
Par ailleurs, la qualité de la donnée d’entrée conditionne la pertinence de l’IA. Si elle est mal orchestrée, le résultat peut être contre-productif. Il existe également un risque d’affaiblissement des capacités cognitives des collaborateurs, comme l’a montré un rapport du MIT sur l’usage intensif des IA génératives.
Quelles mesures recommandez-vous pour encadrer et gouverner l’usage de l’IA dans les organisations ?
Le principal enjeu pour moi est celui de la gouvernance de l’utilisation de l’IA dans l’entreprise »Le principal enjeu pour moi est celui de la gouvernance de l’utilisation de l’IA dans l’entreprise. Pour faire un parallèle, je prendrais l’exemple des produits chimiques, toxiques pour l’homme et l’environnement. Les dangers liés à l’utilisation de ces produits chimiques n’empêchent pas leur utilisation dans l’industrie. La condition est de réguler leur utilisation afin de sécuriser celle-ci. Pour l’IA, nous sommes dans la même situation.
Cette gouvernance doit être multipartite et porter sur tous les aspects : l’évaluation, la sélection, le suivi des outils, la définition collective des lignes rouges à ne pas franchir. Cette gouvernance doit donc associer les directions, les partenaires sociaux et les experts. Il s’agit de surveiller les impacts de l’IA. Je parle des impacts visibles, de ceux que l’on peut anticiper, mais aussi de tous les impacts invisibles et silencieux de l’IA sur la confiance au travail, la qualité de vie, la performance et l’environnement. Aussi la question de la traçabilité des données, de l’inclusion des référentiels culturels et de la régulation de la toxicité des IA doit être intégrée dès la conception des dispositifs.
Selon vous, jusqu’où peut-on confier à une IA des interactions impliquant l’humain ?
L’IA peut accompagner, simuler, soutenir, mais ne remplace pas l’humain, notamment sur les sujets d’accompagnement ou de bien-être. Les outils peuvent apporter un soutien ponctuel ou une écoute, mais il faut rester vigilant sur leur usage et ne pas leur confier des missions qui relèvent fondamentalement de l’humain.
Quelles compétences la fonction RH doit-elle acquérir pour piloter la transformation liée à l’IA ?
Avant les compétences techniques, il s’agit de développer une culture IA : comprendre les différentes technologies, leurs enjeux et leurs limites. Structurer une organisation « AI ready » suppose d’intégrer des ingénieurs, des architectes, des experts conformité, capables d’évaluer et d’adapter les outils.
Les compétences fondamentales incluent : leadership, capacité à embarquer les équipes, intelligence collaborative, éthique, pensée systémique, intelligence relationnelle, capacité à structurer une vision du futur et à accompagner la transition. Le DRH doit savoir raconter une histoire, projeter les métiers et structurer la montée en compétences.
La création d’un poste de Chief AI Officer au sein des directions RH vous paraît-elle pertinente ?
La question dépend du rôle que l’on donne à la direction RH. Il peut être pertinent d’intégrer un Chief AI Officer ou des profils spécialisés dédié à l’IA, mais la priorité est de structurer une organisation capable d’évaluer, d’adapter et de piloter les outils IA, en lien avec la conformité, la sécurité et la stratégie RH globale.
Selon vous, l’IA générative renforce-t-elle ou affaiblit-elle le rôle stratégique de la fonction RH ?
L’IA représente une opportunité de valoriser la fonction RH »L’IA représente une opportunité de valoriser la fonction RH, à condition que la transformation soit pilotée et non pas subie. Elle libère du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée, renforce la légitimité de la fonction et lui donne un rôle stratégique, y compris sur le plan sociétal. Une RH performante contribue à la performance de l’entreprise et à l’intégration sociale des collaborateurs. Mais nous pouvons aller plus loin : il s’agit aussi d’un enjeu citoyen car la RH doit faciliter la création de valeur économique et le bien-être des salariés, et renforcer l’empreinte sociale de l’entreprise sur son territoire.

Kristy Anamoutou
Directrice associée - CTO @ Bluenove
Parcours
Directrice associée - CTO
Fondatrice
Developpement du Leadership & Gestion du Changement
Manager Inovation & Digital - Université du Leadership
CBA Online Campus Manager
Blended learning expert
Campus Relationship
Établissement & diplôme
Master 2 Human Ressources Management
Master 2 Research Social Law
Master 1 Labor Law & Industrial relations
Fiche n° 54353, créée le 25/06/2025 à 17:40 - MàJ le 25/06/2025 à 17:53
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