
Reste à charge obligatoire pour les diplômes : « Une complexité de plus pour les CFA » (J.-P. Willems)
« La loi de finances pour 2025 prévoit que les entreprises devront verser un reste à charge au CFA lorsqu’elles recrutent un apprenti qui prépare un diplôme de niveau 6 ou supérieur. Sur le principe, il s’agirait de prendre acte du niveau de productivité des apprentis pour justifier un effort supplémentaire de la part de l’entreprise. Mais la modalité retenue met en jeu les CFA qui sont transformés en collecteur de ressource publique, alors que le reste à charge s’inscrivait exclusivement dans une logique commerciale. »
Une analyse de Jean-Pierre Willems pour News Tank.
De la productivité des apprentis… au refus de l’apprentissage comme droit à l’éducation
Selon les parlementaires, la productivité de l’apprenti serait proportionnelle à son niveau d’études et donc également à son âge. Cet argument a été utilisé par le Sénat pour abaisser les primes selon le niveau de formation, mesure finalement non retenue par la Commission mixte paritaire, et donc pour instaurer une participation obligatoire des entreprises au financement du NPEC pour les diplômes supérieur ou égaux à la licence.
Ce débat sur la productivité tient assez peu compte de la réalité, et il masque une volonté d’une autre nature.
C’est sur les premiers niveaux de formation que le taux de recours à l’apprentissage est le plus développé »La question de la productivité des apprentis et de leur place dans le modèle économique des entreprises n’a pas fait l’objet de travaux qui permettent d’étayer les présupposés des sénateurs. Bien au contraire, on peut constater que si certaines entreprises ont totalement inscrit l’apprentissage dans leur modèle économique (stratégie de coût de main d’œuvre, stratégie de recrutement et de formation), c’est plutôt sur les premiers niveaux de formation, CAP ou Bac, que le taux de recours à l’apprentissage est le plus développé, notamment dans les métiers artisanaux.
Pour ce qui concerne les niveaux supérieurs, il faudrait distinguer les usages par les TPE-PME, qui peuvent ainsi intégrer une expertise trop onéreuse par ailleurs, les usages par les grandes entreprises, qui portent plus souvent sur des stratégies de recrutement que sur des modèles de coût économique, comme en témoignent les créations de CFA d’entreprises et l’ensemble des motivations qui peuvent pousser une entreprise à recruter des apprentis.
On pourrait également relever un paradoxe : les entreprises de 250 salariés et plus doivent payer des pénalités si elles n’embauchent pas d’apprentis à hauteur de 5 % de leur effectif. Mais si elles embauchent des apprentis préparant des diplômes de niveau 6 ou 7 pour satisfaire à leur obligation, elles devront s’acquitter d’un financement de la formation alors que par ailleurs elles recevront une prime à l’embauche. Difficile de trouver une quelconque cohérence dans ce qui apparaît comme une pure mesure paramétrique et de circonstance.
Ou, plus fondamentalement, une mesure qui traduit le fait que chez nombre de parlementaires, et d’autres, l’apprentissage n’est pas véritablement adapté à l’enseignement supérieur. Cette vision réductrice et datée de l’apprentissage ne l’envisage que comme un outil d’insertion pour ceux qui ont quitté ou quittent le système scolaire. Soit la vision négative qui a prévalu pendant des années et que la réforme de 2018 a heureusement contribué à faire évoluer. Cette conception selon laquelle l’apprentissage c’est excellent, mais surtout pour les enfants des autres qui ne font pas d’études supérieures, on pensait qu’elle avait vécu, mais non.
Dans le Code du travail, l’apprentissage est à la fois un outil d’insertion et la mise en œuvre du droit à l’éducation. Il est organisé pour permettre la poursuite d’études par la succession de contrats dans un objectif de promotion sociale. En adoptant une différenciation articulée sur le niveau de formation, c’est un début de remise en cause de ce droit que la loi opère.
Les modalités pratiques du reste à charge et ses conséquences
Le nouvel article L. 6332-14 du Code du travail prévoit que l’employeur participe à la prise en charge des contrats d’apprentissage lorsque le diplôme ou titre à finalité professionnelle visé équivaut au moins au niveau 6 du cadre national des certifications professionnelles. La prise en charge par l’opérateur de compétences est alors minorée de cette participation. Il est également précisé que cette participation peut être proportionnelle au NPEC, dans la limite d’un plafond, ou fixée à une somme forfaitaire.
Dorénavant le CFA ne recevra qu’une partie du NPEC de la part de l’Opco »Ainsi, lorsque le NPEC d’un Master est de 7 500 euros, l’entreprise pourrait être amenée à contribuer à hauteur de 20 %, soit 1 500 euros. Ce 20 % pourrait être plafonné, ce qui pour un NPEC fixé à 15 000 euros, pourrait donner une contribution de 20 % ne pouvant excéder 2 000 euros par exemple. Le dernier cas de figure est celui ou tout diplôme de niveau 7 donnerait lieu à une contribution forfaitaire de 2 000 euros, quel que soit le NPEC. C’est un décret qui déterminera les règles applicables.
On peut observer que le nouveau dispositif n’affecte pas le système des NPEC : simplement, il répartit la charge de celui-ci entre l’entreprise et l’Opco. Jusqu’à présent l’Opco versait au CFA 100 % du NPEC, dorénavant le CFA ne recevra qu’une partie du NPEC de la part de l’Opco, à charge pour lui de récupérer le complément de financement auprès de l’employeur.
Ce qui appelle plusieurs remarques :
- Pour les CFA, il s’agit d’une opération de recouvrement qui générera un redoutable travail supplémentaire, tant au niveau commercial dans la relation avec l’entreprise, qu’au niveau de la facturation et de la gestion du recouvrement. Une manière d’augmenter les coûts de fonctionnement des CFA sans aucun impact sur la qualité de l’apprentissage ;
- Se posera également la question de la négociation par le CFA et l’entreprise du reste à charge. En effet, les CFA ne sont pas des collecteurs d’impôt et si l’obligation de reste à charge générera une dette de l’entreprise vis-à-vis du CFA, celui-ci pourra toujours procéder à une remise de dette s’il assume lui-même la perte financière de la minoration du NPEC ;
- Les CFA se retrouveront donc face à un dilemme : recouvrer effectivement le reste à charge auprès de l’entreprise ou bien ne pas le lui réclamer commercialement ou bien refuser l’inscription de l’apprenti si l’entreprise refuse le reste à charge ;
- Compte tenu du nombre de ruptures de contrat, les CFA devront également gérer la proratisation du reste à charge, de la même manière que les Opco gèrent la proratisation du paiement en cas d’interruption du contrat : voilà une complexité supplémentaire dont les CFA se seraient bien passés ;
- Avec les Opco, les CFA étaient garantis quant au paiement de la formation, même en cas de difficultés de l’entreprise. Dorénavant, la part revenant à l’entreprise sera soumise à des aléas de paiement, ce qui pourrait conduire à fragiliser la trésorerie et la santé financière des CFA.
Comme on le voit, la mesure qui s’énonce simplement peut s’avérer source d’une nouvelle complexité pour le monde de la formation dans ses modalités de mise œuvre.
Deux autres points doivent être soulignés :
- Le NPEC n’est pas le prix. Les CFA demeurent libres de facturer à l’entreprise un reste à charge supérieur au reste à charge légal qui n’est ni un plafond ni une participation limitée. Pour les CFA qui facturent déjà un reste à charge dans leur cursus, la mesure ne changera donc que le montant de ce reste à charge qui devrait s’en trouver majoré, si les entreprises l’acceptent ;
- La diminution du NPEC versé par les Opco se traduira automatiquement par une diminution des ressources des Opco puisque France compétences
• Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… garantit les ressources nécessaires au financement des contrats uniquement. Il en résultera une baisse mécanique d’une part des frais de gestion des Opco établis en % de leurs ressources, mais surtout une baisse de l’enveloppe, déjà ramenée de 10 % à 8 %, que les Opco peuvent consacrer au financement de l’investissement dans les CFA.
En conclusion, le sous-financement de l’apprentissage dans le supérieur par les NPEC et l’instauration d’une participation obligatoire financière revient à mettre à la charge des CFA un travail de recouvrement systématique, sauf à faire le choix de réduire leurs recettes. Il va aggraver la complexité de gestion des CFA et les transformer en organismes de recouvrement alors que le système garantissait jusqu’ici un financement sécurisé, et augmentera la complexité générale du système pour une entreprise qui va, d’un côté, recevoir une prime à l’embauche et, de l’autre, devoir s’acquitter d’un reste à charge. Ce sont les mêmes parlementaires qui se plaindront ensuite de l’incohérence et de la complexité du système de formation.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/03/2025 à 10:41
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