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Redonner du souffle à la formation avec des Opco hybrides (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°409033 - Publié le
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

Les enjeux de compétences appellent la mobilisation de tous les acteurs. Or, la réforme de 2018, porteuse de pilotage centralisé à la main de l’État de la formation professionnelle continue et de l’apprentissage, ne laisse que de faibles marges de manœuvre aux branches professionnelles et partant aux partenaires sociaux.

La transformation des Opca en Opco, avec des marges de manœuvre réduites pour les conseils d’administration et un contrôle toujours plus étroit de l’État, s’est inscrite dans ce mouvement. Il est plus que temps de considérer que l’État ne peut pas tout et qu’il est d’intérêt général de rouvrir des champs d’autonomie pour les partenaires sociaux.

Une analyse de Jean-Pierre Willems pour News Tank.


Une réduction progressive du paritarisme de gestion

L’assurance-formation est née en 1968, sur le modèle de l’assurance-chômage, l’assurance-maladie ou l’assurance-vieillesse. Dopée par la loi de 1971 qui a créé l’obligation pour les entreprises de contribuer au financement de la formation professionnelle, elle s’est développée autour des FAF (Fonds d’Assurance Formation), dont la personnalité morale a été officiellement reconnue en 1978.

Le dialogue entre les partenaires sociaux et l’État a longtemps servi de moteur à la formation professionnelle, sous la forme d’une articulation entre les Accords nationaux interprofessionnels et la loi, jusqu’à l’ANI du 14/12/2013 qui marque le terme de cette dynamique.

Des missions réduites et un financement orienté très majoritairement vers l’alternance et notamment l’apprentissage »

Mais la confiance s’était auparavant étiolée, conduisant l’État à remplacer en 1995 les FAF par des organismes paritaires collecteurs agréés au motif de dérives dans la gestion paritaire ou de volonté de main basse sur les contributions des entreprises selon le point de vue que l’on adopte.

Cette logique de contrôle toujours plus étroit du fonctionnement des organismes paritaires par l’État s’est traduite par la création des Opco en 2019, avec des missions réduites et un financement orienté très majoritairement vers l’alternance et notamment l’apprentissage.

Les marges de manœuvre des branches s’en sont trouvées réduites d’autant, contribuant à l’anémie de la négociation collective sur la formation.

L’accumulation des freins à la négociation sur la formation

S’il fallait ne retenir qu’un symbole de la réduction de la place du paritarisme au sein des Opco, on pourrait se baser sur la mission en cours de l’Igas. La lettre de mission, en se concentrant sur l’organisation des Opco, leur coût de fonctionnement, leurs systèmes informatiques, les mutualisations possibles entre eux, traduisait déjà que, pour la ministre, les Opco sont davantage des agences de l’État que des organismes paritaires autonomes.

Cette conception a conduit à assimiler totalement les Opco à un opérateur public, et partant à soumettre leur fonctionnement aux règles publiques et notamment à celles de la commande publique. Si ce point n’est pas discutable pour les financements provenant de la Cufpa qui est une contribution de nature fiscale, il est bien plus contestable pour les financements conventionnels, créés par accord collectif, versés par des entreprises privées, confiés à une personne morale privée et paritaire.

Les règles nouvelles voulues par Bercy en matière de TVA sont de nature à limiter les capacités d’intervention des Opco au service des branches »

Autre limite : les Opco ont des missions strictement définies par la loi, limitant de fait la capacité des partenaires sociaux, via la négociation, à leur confier des missions diversifiées dans le champ de l’emploi et des compétences.

On pourrait enfin constater que les règles nouvelles voulues par Bercy en matière de TVA sont de nature à pénaliser la gestion des contributions volontaires et conventionnelles et donc à limiter les capacités d’intervention des Opco au service des branches.

Si l’on va au bout d’une telle logique, nous aurons (quel qu’en soit le nombre) des agences publiques, régulées par France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… dans le cadre de l’allocation des financements, sous le contrôle du ministère du Travail. Et exit le paritarisme en matière de formation professionnelle.

Une autre option est toutefois possible.

La reconnaissance qu’on Opco a une double nature

Aucun texte ne conditionne l’agrément d’un Opco au fait qu’il ait une activité exclusive. Rien ne s’oppose donc à ce que les associations paritaires qui servent de support aux Opco aient une double nature :

  • Celle d’Opco pour la gestion des contributions provenant de la Cufpa dans le cadre d’une mission déléguée par l’État, ces contributions étant fléchées vers des politiques publiques : alternance et notamment apprentissage, soutien à la formation dans les TPE, gestion des aides publiques de type FNE, etc.
  • Celle d’organisme paritaire susceptible de recevoir des contributions librement négociées par les branches professionnelles et gérées dans un cadre juridique et financier distinct de la mission de service public déléguée par l’État. Et ce cadre d’action serait nécessairement distinct et plus large que celui de la mission publique.

Certes un tel schéma supposerait une gestion analytique rigoureuse et une clé de répartition des charges très précise. Rien d’impossible toutefois. Mais surtout, il donnerait un cadre incitatif à la négociation de branche sur la formation professionnelle, un cadre ouvert à l’innovation et à la personnalisation des actions selon la situation et les caractéristiques des branches professionnelles. Et ce cadre ne relèverait pas d’un contrôle par l’État mais de l’autonomie de la gestion paritaire. S’il fallait un fondement juridique à tout ceci, on le trouverait sans peine dans l’article L. 2221-1 du Code du travail qui ouvre le livre 2 relatif à la négociation collective.

Il est ainsi rédigé :

« Le présent livre est relatif à la détermination des relations collectives entre employeurs et salariés. Il définit les règles suivant lesquelles s’exerce le droit des salariés à la négociation collective de l’ensemble de leurs conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que de leurs garanties sociales. »

La formation professionnelle est donc officiellement un champ d’autonomie pour la négociation collective. Il serait peut-être temps, si l’on a la volonté de faire entrer dans le réel les discours sur les enjeux de la société de compétences, d’en prendre acte et d’en tirer les conséquences qui s’imposent.


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