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CFA et OF : quel bateau avez-vous construit pour faire face aux tempêtes ? (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°406100 - Publié le
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

L’actualité mobilise sans relâche les CFA et organismes de formation, sommés de s’adapter à des mesures de régulations financières et de bureaucratisation de l’activité qui semblent n’avoir d’autre cap que celui des économies budgétaires à court terme. Il est bien normal que les changements en cours nécessitent réactivité et adaptation. Mais ce n’est pas ce qui garantira, à moyen terme, la pérennité ou le développement des activités.

Pour naviguer par gros temps, il faut certes savoir abattre les voiles à temps et les préserver pour des temps meilleurs, mais il est surtout indispensable d’avoir préparé son bateau à tous les types de temps, et pas simplement à la croisière sous petit vent portant.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


La certitude, c’est le changement

L’apprentissage et la formation professionnelle sont des secteurs très sensibles aux politiques publiques et à leur évolution. Oui et alors ? N’est-ce pas le cas de l’intégralité du secteur de la santé, d’une majorité de l’économie sociale, du BTP tributaire de la commande publique et des aides aux travaux tels que Maprimerénov, de l’emploi à domicile et de son crédit d’impôt, de l’agriculture avec la PAC, de l’hôtellerie-restauration avec le taux réduit de TVA, de la culture avec les subventions étatiques et des collectivités locales, etc. Dans un pays où la dépense publique représente 57 % du PIB, rares sont les secteurs qui ne dépendent pas, au moins en partie, de la commande publique et plus largement de la politique publique.

Dans un tel contexte, il est inévitable que les vagues porteuses, les mers calmes, les mers agitées et les tempêtes se succèdent. L’incertitude porte davantage sur le rythme de ces enchaînements que sur leur survenue.

Dès lors, tout responsable d’une activité de formation doit intégrer ce paramètre dans sa stratégie et s’interroger sur la capacité de son entité à faire face à ces évolutions qui peuvent inclure des pics et des creux de forte taille.

C’est donc moins de gestion prévisionnelle dont ont besoin les dirigeants des structures de formation que de capacité de réactivité lorsque le vent tourne, devient frontal ou au contraire s’oriente au portant. Et paradoxalement, c’est lorsque tout va bien que ces questions sont les plus pressantes, faute de n’avoir guère de solutions et de risquer le chavirage lorsque survient le coup de vent.

Si l’on regarde la photographie à date des marchés de la formation professionnelle, que peut-on constater :

  • Que le marché de la formation initiale sous statut d’élève ou étudiant a été en partie cannibalisé par l’apprentissage ;
  • Que les vents porteurs ont largement soufflé sur l’apprentissage pendant quatre ans, mais que la mer est de plus en plus agitée ;
  • Que la formation continue financée par les fonds publics ou mutualisés est confrontée à une forte réduction des vents alors que les coûts d’exploitation des bateaux augmentent rapidement ;
  • Que la formation continue financée par les entreprises et les particuliers bénéficie de vents forts mais tourbillonnants : une croissance forte des achats mais pour des produits, des besoins et des exigences très diversifiés.

Ces tendances sont-elles inscrites dans le marbre ? Non, ce sont sans doute celles qui s’appliqueront sur la période 2025-2026 compte tenu du contexte politique. À partir de 2027, bien malin qui peut dire aujourd’hui de quoi seront faites les politiques publiques. Même s’il est certain que la contrainte budgétaire globale ne pourra être dénouée d’ici-là, elle peut avoir des traductions fort différentes selon les priorités qui seront celles des nouveaux Président et Gouvernement.

Alors comment savoir si son bateau est prêt pour tous les temps ?

Cinq manières de solidifier son bateau

Si l’on souhaite évaluer la solidité de son bateau, cinq points de contrôle peuvent être passés en revue. Ils nous paraissent de nature à révéler, plus que d’autres, si l’affaire est solide et peut affronter le gros temps ou si au contraire il faut retourner au port faire quelques travaux de renforcement.

  • Avoir identifié sa valeur ajoutée

Identifier sa valeur ajoutée, c’est connaître très précisément ce qui fait la performance de l’organisme ou du CFA. Cette performance peut être liée à des facteurs très différents : la capacité à avoir de l’impact (autrement dit des résultats mesurés et visibles), l’expérience que l’on fait vivre aux apprentis et stagiaires, la localisation, la capacité commerciale en direction des jeunes et des entreprises, le fait d’être propriétaire des certifications que l’on utilise, la singularité de l’offre, les plateaux techniques, la capacité à individualiser ses prestations… La liste n’est pas exhaustive. Mais si certains répètent à l’envi que l’on apprend de ses échecs, c’est rarement eux qui nous font survivre. Mais plutôt de comprendre, pour le préserver et le développer, ce qui nous permet d’avoir du succès. La première protection du bateau est donc de savoir ce qui fait sa force.

  • Augmenter sa réactivité

Les CFA, et quelques organismes de formation également, ressemblent parfois à des lycées professionnels ou des universités : des bâtiments, de l’investissement, des matériels, un patrimoine à entretenir et à rénover. Les moyens de l’investissement ayant été fortement réduits alors que le nombre des CFA a explosé, il est devenu difficile de vendre à des conseils régionaux des projets à 20 ou 40 M€ d’investissement comme on a pu le connaître.

Et puis ces structures fixes génératrices de coûts sont-elles adaptées à des activités devenues plus volatiles et au contexte de baisse démographique pour les années à venir ? Est-on capable d’ouvrir des antennes puis de les refermer lorsque le besoin n’existe plus ? A-t-on la capacité à mobiliser des ressources, humaines et techniques, pendant un temps donné, puis à ne pas en supporter le coût tout en étant capable de les reconstituer si besoin ?

Bref, dirigeants de CFA et d’OF, ne faites pas de la gestion prévisionnelle, sur la base de scénarios hypothétiques. Développez sans cesse votre capacité de réactivité. Le temps des croissances d’activité linéaire est révolu, nous sommes dans celui des montagnes russes, des retournements de conjonctures et des opportunités qu’il faut saisir même si elles ne durent guère.

  • Choisir son ou ses marchés

La formation professionnelle se distribue sur quatre marchés :

  • la formation initiale sous statut scolaire et étudiant,
  • l’apprentissage,
  • la formation continue intermédiée et réglementée (ou formation de tiers payant),
  • la formation continue qui est librement achetée par les entreprises et les individus.

Ces quatre marchés ont leurs spécificités en matière de produits, de commercialisation, de modalités de production, de réglementation, d’attentes clients, etc. Il n’est pas si facile d’être performant sur plusieurs d’entre eux concomitamment. Alors il faut une stratégie claire de positionnement sur ces marchés : notre structure et notre fonctionnement sont-ils adaptés, notre offre et nos conditions concurrentielles, devons-nous viser une croissance importante, régulière, un niveau sur lequel nous pourrons nous établir ? Sur quoi reposent les marchés sur lesquels nous opérons, quelles sont leurs dynamiques, sont-elles pérennes ? La question stratégique est essentielle à de multiples points de vue. Comment se positionner sans une connaissance fine des quatre marchés et sans avoir diagnostiqué sa capacité à s’y installer et s’y développer ?

  • Mutualiser ce qui peut l’être

La pression baissière sur les financements crée inévitablement des effets de seuil liés à la taille de l’organisme. Pour amortir des frais de sourcing, de recrutement, de gestion, de qualité, orientés à la hausse, la course à la taille est inévitable. À moins que l’on ne mutualise. Jamais peut-être il n’y a eu autant de partenariats entre CFA ou entre OF.

Nécessité fait loi : devant l’inflation de certains coûts, le partage de l’investissement est nécessaire. Les CFA sans murs, un temps mis à mal par la réforme de 2018 qui a permis à des UFA de créer librement leur CFA et d’accéder à l’autonomie, pourraient bien reprendre du poil de la bête. Le modèle permet de mutualiser des services (sourcing, recrutement, gestion, qualité, ressources pédagogiques, relations entreprises, suivi des apprentis, etc.) qui au final auront un coût moindre pour les CFA adhérents que si chacun devait les financer intégralement en interne. Dans un contexte concurrentiel, il n’est paradoxal qu’en apparence de constater que les alliances deviennent encore plus importantes.

  • Innover

On pourrait, en schématisant, considérer qu’il y a deux modèles d’innovation :

  • L’innovation incrémentale, qui correspond peu ou prou aux courbes d’expériences du Boston Consulting Group. Avec le temps et le développement de la structure, la capitalisation de l’expérience permet de baisser le prix des prestations. La question posée ici est de savoir si l’on tire profit de son expérience sans en être pour autant prisonnier. Capitaliser pour innover, lorsque l’on parvient à le mettre en place, garantit à la structure de conserver ses avantages concurrentiels ;
  • L’innovation de rupture. La disruption est un moyen de s’approprier rapidement des parts de marché voire de capter un marché nouveau. C’est une stratégie possible notamment pour les nouveaux entrants ou pour les structures de petite taille qui ne bénéficient pas de la courbe d’expérience des plus anciens. Elle est toutefois risquée : si l’innovation est trop en avance ou n’embarque pas son public, c’est le flop. Mais c’est au prix de ce risque que l’on peut bâtir des succès.

Conclusion

En ces temps d’actualité chargée pour les CFA et les OF, nous nous permettrons une recommandation : s’il est nécessaire d’intégrer l’actualité, elle ne doit pas occulter l’essentiel, c’est-à-dire la capacité de votre bateau à naviguer par tout type de temps. Et pour cela, notre conviction est qu’il y a cinq questions fondamentales à se poser, au moins, sur ce qui fait la solidité, ou pas, de votre bateau.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 10/09/2025 à 13:46


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©  Seb Lascoux
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