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La formation professionnelle entre régulation, dirigisme et bureaucratie (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°398653 - Publié le
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

La reprise en main par l’État de la formation professionnelle via la loi de 2018 reposait sur un principe simple  : une forte impulsion par l’État et la confiance dans les acteurs de terrain (entreprises, individus, organismes de formation), au prix d’une réduction de l’intervention des corps intermédiaires. Les dérives du CPF et les procès, pas toujours fondés, faits à l’apprentissage, ajoutés à l’abandon de l’ambition de porter une société de compétences sacrifiée sur l’autel de la rigueur budgétaire, ont conduit l’État à modifier une posture qui le conduit à osciller sans beaucoup de repères entre régulation, dirigisme et bureaucratie.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Pourquoi l’État a repris et va garder un rôle central


De 1971 à 2018, l’État a largement délégué aux partenaires sociaux la gestion des contributions fiscales des entreprises destinées à la formation continue via les FAF (Fonds d’Assurance Formation) puis les OPCA (Organismes paritaires collecteurs agréés). L’apprentissage lui, relevait du service public régional de formation professionnelle sous le contrôle des conseils régionaux. Le Big Bang de 2018 a déconstruit ce schéma au profit d’une nouvelle architecture  : l’État, via France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… , financerait les deux grandes nouvelles priorités que sont l’apprentissage et le CPF, les deux dispositifs fonctionnant dans une logique de marché. Confiance était faite aux entreprises, jeunes et CFA d’une part, individu et organismes de formation de l’autre.

Le Big Bang de 2018 a déconstruit ce schéma au profit d’une nouvelle architecture »

Cette reprise en main partait d’un diagnostic de complexité et d’inefficacité liée d’une part aux trop nombreux intervenants et intermédiaires, le fameux «  il n’y a pas de pilote dans l’avion  » ou encore «  l’opcacité du système  », mais également de la nature fiscale des contributions qui fonde la légitimité de l’État à décider de leur affectation.

Derrière cet argument juridique, on revient assez vite au principe «  qui paie décide  ». Or le système créé comportant deux dispositifs non astreints à une limite budgétaire, l’apprentissage et le CPF, l’intervention de l’État, au-delà des contributions des entreprises, est inévitable, ce qui garantit pour sans doute de nombreuses années sa prééminence. Sauf que cette intervention peut prendre trois formes  : la régulation, qui est indispensable, le dirigisme, qui est une tentation permanente chez les dirigeants, et la bureaucratie, qui est une culture.

L’indispensable régulation

En créant deux marchés, celui de l’apprentissage et celui du CPF, il était indispensable de s’assurer de la qualité des prestations réalisées. Ce qui a conduit à la création de Qualiopi, norme qualité obligatoire pour accéder aux financements publics et mutualisés. De l’aveu même des ministères du Travail et de l’Éducation dans la communication commune publiée à l’issue du Conseil des ministres du 28/04/2025, Qualiopi est un échec. La certification d’environ 45 000 organismes n’a permis ni de garantir la qualité des formations ni d’éviter les dérives et escroqueries à grande échelle.

L’échec de Qualiopi a conduit l’État à renforcer les moyens de contrôle des financeurs »

L’échec de Qualiopi a sans doute plusieurs causes. Les principales, selon nous, tiennent à son caractère obligatoire, ce qui a créé un marché contraint et fait passer la qualité au second rang derrière le «  sésame  » de l’accès aux fonds publics, à sa volonté d’exhaustivité, déployé très vite et à grande échelle le dispositif a souffert d’un défaut de professionnalisation de la plupart des certificateurs dans ce domaine mais également d’une absence d’une véritable culture qualité de bien des organismes de formation, et surtout à l’ambigüité de son positionnement entre norme qualité et contrôle réglementaire. L’échec de Qualiopi a conduit l’État à renforcer les moyens de contrôle des financeurs (notamment les Opco et la Cour des comptes) avouant par la même que la première fonction de Qualiopi était de fait le contrôle et non véritablement la qualité et la montée en gamme de l’offre de formation.

L’affaiblissement des corps intermédiaires via la réduction des missions et des moyens des Opco ainsi que la gestion par la CDC du CPF a produit le second effet qui permet toutes les dérives  : l’absence de moyens sur le terrain. La gestion d’un dispositif via les dossiers sans la connaissance des acteurs de terrain et le maillage humain du territoire ouvre, et la formation n’en est pas le seul exemple, la porte à toutes les dérives.

La régulation d’un champ tel que la formation professionnelle ne peut s’effectuer que par l’action de terrain »

Car on ne peut réguler que par la loi et les décrets. La surproduction réglementaire, si elle donne le sentiment d’agir, n’est souvent qu’une mauvaise réponse à une question mal posée  : si les principes réglementaires doivent être clairs et servir de base aux bonnes pratiques, la régulation d’un champ tel que la formation professionnelle ne peut s’effectuer que par l’action de terrain. Jean-Denis Combrexelle Président @ ASR Conseil • Président de section honoraire @ Conseil d’État
, dans son ouvrage Les normes contre la démocratie, démontre bien comment tout attendre de la norme conduit à ne plus se demander ce qui peut être fait par les acteurs de la régulation par l’action directe.

Et l’action de l’État n’a pas évité ce vice traditionnel  : tout voir à l’aune de la fraude et complexifier l’ensemble du dispositif pour réguler des pratiques trop nombreuses mais au final non caractéristiques du système pris dans son ensemble.

La tentation du dirigisme

Elle est récurrente chez toute autorité cette tentation de prescrire l’action dans ses moindres détails. Elle correspond à ce que Cahuc et Algan appellent la société de la défiance.

Dans le champ de la formation, une première traduction peut être trouvée dans l’assimilation systématique des formateurs à des organismes de formation. Cette assimilation, contraire à la lettre de l’article L. 6351-1 qui ne vise que les organismes concluant des conventions de formation (financeurs) ou des contrats de formation (particuliers). En assimilant abusivement les contrats de sous-traitance à des conventions de formation et les animations de formation à la réalisation d’actions de formation, l’administration a étendu le champ de la réglementation dans un souci d’exhaustivité et de contrôle des formateurs indépendants systématiquement assimilés à des sous-traitants.

L’administration a étendu le champ de la réglementation dans un souci d’exhaustivité et de contrôle des formateurs indépendants »

On peut également constater ce dirigisme pointilleux dans l’utilisation de la remontée des comptabilités des CFA comme l’alpha et l’omega de la politique de régulation de l’apprentissage. Comme si la comptabilité était en capacité de rendre compte des modèles économiques et des structures de coût des CFA dont la diversité ne cesse d’augmenter depuis 2018.

On pourrait enfin prendre comme exemple le projet de décret sur la facturation du reste à charge pour les formations de niveau 6 et 7. Les CFA qui n’auront pas facturé ce reste à charge aux employeurs et ne transmettront pas la facture à l’Opco ne percevront pas le solde de 10 % de la prise en charge. Le décret instaure donc une amende administrative automatique pour les CFA, et de plus inégalitaire entre les CFA puisque fixée en pourcentage de la prise en charge. Un CFA pourrait donc ne pas être payée d’une prestation dont personne ne conteste qu’elle a été réalisée  !

À ce stade, la volonté dirigiste est manifeste et ne peut se réfugier derrière le prétexte de la maîtrise des dépenses.

La bureaucratisation

Il s’agit moins ici de dirigisme que de modalités de mise en œuvre des règles qui s’inscrivent exclusivement dans l’intérêt de l’administration, ou de son représentant, sans considération ni des textes ni de la finalité de l’action engagée.

On peut citer plusieurs exemples  :

  • La non-application depuis sept ans de l’article L. 6332-14 du Code du travail qui renvoie à un décret la minoration des NPEC lorsque le CFA reçoit déjà des financements publics. Carence qui tranche avec l’empressement de mettre en œuvre la réduction sur les formations distancielles dorénavant prévue par le même article. Deux poids, deux mesures.
  • La non-application par la Caisse des dépôts et consignations de l’article L. 6323-11 du Code du travail qui doit permettre à l’entreprise, via un accord collectif, d’internaliser la gestion du CPF. Ce refus d’appliquer la loi n’a pas permis le développement du dialogue social autour de la formation des salariés via le CPF.
  • La réglementation relative à la sous-traitance, notamment dans le cadre du CPF, qui ne prend pas soin de définir la sous-traitance et donc de définir le champ d’application des dispositions spécifiques.
  • La réglementation sur la minoration des NPEC pour les formations distancielles qui ne définit pas plus les formations distancielles dont on connaît pourtant la très grande diversité.

En conclusion

La formation professionnelle porte des enjeux immenses. Elle nécessite un investissement de la part de l’État, des entreprises et des individus qui justifie que des règles spécifiques soient définies et que les pouvoirs publics exercent leur rôle de régulateur.

La formation nécessite un investissement de la part de l’État »

Ce qui nous paraît problématique c’est que, dans ce domaine comme d’autres, la seule régulation possible relève soit de normes toujours plus détaillées dont on sait qu’elles finissent par produire mécaniquement davantage de manquements qui justifieront à leur tour que l’on renforce la réglementation, soit de gestion bureaucratisée et dans certains cas arbitraires, qui crée une complexité inutile sans bien souvent atteindre l’objectif. La régulation d’un tel ensemble nécessitera de passer par d’autres voies que le strict réglementaire, de s’appuyer sur des intermédiaires, de promouvoir les bonnes pratiques, de récompenser la qualité et de ne pas envisager la régulation qu’à travers le contrôle et l’action punitive.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 06/06/2025 à 12:04


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©  Seb Lascoux
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