Achats de formation par les entreprises : +25 % en 4 ans ! (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°392114 - Publié le
©  Seb Lascoux
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Alors que le débat est alimenté par la baisse des financements publics, un examen des chiffres d’affaires des organismes de formation entre 2020 et 2023 fait apparaître une croissance de près de 25 % des achats directs de formation des entreprises. Ce qui démontre deux choses : d’une part que le marché de la formation continue est très actif et en croissance, et d’autre part que l’augmentation des dépenses publiques sur la même période ne s’est pas traduite par un effet de substitution et un désinvestissement corrélatif des entreprises.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Une hausse spectaculaire en quatre ans

Les chiffres sont issus des Jaunes budgétaires de 2021 à 2025 et proviennent des bilans pédagogiques et financiers déposés par les organismes de formation. Selon ces documents, les achats directs des entreprises auprès des organismes de formation sont passés de 4,234 Md€ en 2020 à 6,015 Md€ en 2023. Soit près de 25 % si l’on prend le montant 2023, mais presque 50 % si l’on reste en base 2020. Ces montants ne comprennent pas les sommes directement payés par les Opco lorsqu’ils financent des formations dans le cadre notamment du plan de développement des compétences et qu’ils règlent directement les organismes de formation. Ils ne comprennent pas davantage les fonds utilisés par les salariés dans le cadre du CPF puisque les entreprises ne sont jamais destinataires des paiements de la CDC qui règle toujours directement les prestataires.

S’il n’est pas exclu que ces fonds comprennent pour partie des fonds publics ou mutualisés, lorsque l’Opco ne pratique pas par subrogation ou achat direct mais procède au remboursement de l’entreprise sur production d’une facture acquittée, la part est tout de même mineure. Si, par exemple, on pourrait être tenté de voir dans la forte croissance en 2021 (+20 % sur l’année précédente) un effet de l’intervention du FNE, cela n’explique pas la croissance continue les années suivantes alors que le FNE refluait.

Financeurs de la formation professionnelle (2020-2021) -

Financeurs de la formation professionnelle (2022-2023) -

Des causes multiples à ces dépenses en hausse

Alors qu’il est souvent constaté que les entreprises ont beaucoup internalisé la formation (ce qui ne se traduit donc pas par des achats et aurait dû conduire à une baisse du marché), qu’elles ont également diversifié les formats de formation et plus largement de développement des compétences, ce qui a pu réduire la part relative de la formation, la croissance demeure tout de même spectaculaire.

Plusieurs explications pour expliquer la croissance, et surtout le maintien de la croissance dans le temps »

Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer cette croissance et surtout le maintien de la croissance dans le temps, et notamment les suivantes :

  • La définition de l’action de formation s’est élargie en 2018. Il n’est donc pas impossible qu’une part de la croissance corresponde au financement d’actions qui jusque-là n’étaient pas finançables au titre de la formation et le sont devenues (par exemple : codéveloppement, analyse de pratiques, formations en situation de travail, etc.) ;
  • De manière sans doute beaucoup plus significative, on peut invoquer la multiplication des obligations réglementaires de formation, qui ne proviennent pas du droit de la formation mais de la régulation des métiers ou professions : les permis, habilitations, agréments, formation obligatoires se multiplient dans tous les secteurs : santé, banque, finances, assurance, alimentaire, BTP… Ce n’est pas un hasard si les domaines de formation les plus importants demeurent les transports et les formations spécifiques à la santé au travail ;
  • Les évolutions techniques et technologiques surgissent à un rythme toujours plus rapide : les outils, quels que soient leur nature, se renouvellent toujours plus vite et nécessitent des formations d’adaptation renouvelées ;
  • La montée de l’individuation associée à la perte de certains repères collectifs rend plus complexe le management mais plus largement la gestion des relations interpersonnelles. Cela génère une forte demande vers ce que l’on appelle de manière générique les soft skills, ce qui est toujours mieux que « développement personnel » mais mériterait d’être mieux nommé et caractérisé comme la capacité à s’inscrire dans un collectif de travail et à coopérer ;
  • La demande de formation a sans doute également été générée par les difficultés de recrutement : soit pour accompagner un recrutement lorsque l’on va chercher des profils plus éloignés de l’emploi, soit pour gagner en attractivité pour attirer les meilleurs profils, soit pour fidéliser des salariés que l’on aura du mal à remplacer ;
  • La croissance du nombre d’organismes de formation sur la période, les organismes actifs étant passés de 70 000 en 2020 à 94 000 en 2023. L’augmentation du nombre d’acteurs génère assez logiquement une augmentation du volume des prestations vendues en faisant émerger des marchés inexistants jusque-là ou de marchés masqués (achat de formation à des organismes non déclarés et donc non répertoriés comme tels) ;
Les achats de formation par les entreprises n’ont jamais été aussi peu soutenus par les fonds publics et aussi importants »
  • La diminution des financements publics et mutualisés a pu conduire les entreprises à acheter elles-mêmes des formations dont elles avaient besoin. Si transfert il y a eu sur ce marché, c’est donc dans le sens d’une réduction des financements de tiers payant et une augmentation des achats directs.

La liste n’est pas exhaustive et l’on pourrait sans doute trouver bien d’autres raisons. Il n’en reste pas moins que les faits sont là : les achats de formation par les entreprises n’ont jamais été aussi peu soutenus par les fonds publics et aussi importants.

Un champ d’opportunité pour les organismes de formation ? Oui, mais sous conditions

Si l’on distingue les différents marchés de la formation : celui de l’apprentissage est en hausse constante mais avec des marges qui se réduisent, celui du tiers payant (fonds publics, fonds mutualisés) est orienté à la baisse qu’il s’agisse des fonds de l’État (FNE, CPF…) ou des fonds des conseils régionaux et donc celui de la formation achetée par les entreprises est en hausse.

Très concurrentiel sur les formations transverses, le marché de la formation continue est ouvert à de multiples acteurs sur les formations métiers »

Pour autant, le marché de la formation continue n’est pas simple : très concurrentiel sur les formations transverses (bureautique, langues, management…), il est ouvert à de multiples acteurs sur les formations métiers (fabricants, franchiseurs, éditeurs, organisateurs d’évènementiels, etc.) et suppose des relations de proximité avec les clients, les achats standardisés sur catalogue étant en reflux. Le marché est également très sensible à l’innovation, à la diversification des formats et à l’hybridation des demandes qui allient parfois conseil et formation, événementiel et formation, information et formation, etc.

Par rapport aux deux autres marchés, les clients ne sont pas les mêmes, les méthodes de commercialisation non plus, pas plus que les produits, le profil des formateurs, la gestion des actions ou les tarifs. Il n’est donc pas évident qu’un organisme, dont l’essentiel de l’activité est constitué par l’apprentissage ou les actions vendues aux financeurs publics, puisse mutualiser ses moyens, outils, produits sur différents marchés. Les organismes de taille importante qui interviennent sur les trois marchés ont d’ailleurs souvent des organisations en silo sur ces trois segments.

Pour autant, aucun organisme ne peut écarter de sa réflexion stratégique la question de son positionnement sur un marché de la formation continue dont la croissance, à ce jour, demeure solide.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 06/06/2025 à 12:04

©  Seb Lascoux
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