Apprentissage : « Ne surtout pas interrompre la dynamique de 2018 » (Alain Druelles, Quintet)
« Dans les discours, la formation est à nouveau présentée comme un coût. Quand vous cumulez tout ce qui sort dans la presse, les rapports de la Cour des comptes, les déclarations, on voit bien que ce prisme redevient un peu d’actualité. Ce n’est pas bon signe. Si l’on considère que la formation est un investissement prioritaire, la question n’est pas de limiter le montant de l’investissement, mais d’identifier l’euro utile, et l’investissement utile. Aujourd’hui, si c’est un enjeu majeur, il faut peut-être investir plus que pas assez. La dynamique de 2018 est en cours. Il ne faut surtout pas l’interrompre et peut-être remettre du carburant », déclare Alain Druelles
Associé fondateur @ Cabinet Quintet
, associé fondateur de Quintet, à l’occasion de la conférence « Six ans après la réforme de 2018, quels enjeux pour la formation professionnelle ? » organisée par le CCCA-BTP
• Organisme professionnel et paritaire, dirigé à la fois par les fédérations d’employeurs et de salariés
• Mission : former les jeunes aux métiers du bâtiment et des travaux publics en alternance…
dans le cadre des Initiales du BTP au Cnit Forest (Paris-La Défense).
« Un centre de formation n’a pas d’autre choix aujourd’hui que de mesurer son degré d’agilité et sa capacité à faire face à des choses qu’on ne prévoira pas ou qu’on ne saura pas forcément prévoir. La question n’est donc pas de faire des plans prévisionnels, mais d’élaborer une stratégie pour donner un cap », indique pour sa part Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
, consultant.
« La transformation des métiers du BTP impose une évolution des compétences et des méthodes pédagogiques. Le CCCA-BTP a donc investi massivement dans l’innovation pour préparer l’avenir du secteur. Nous action la plus visible, pour l’extérieur, c’est l’accompagnement financier sur les investissements innovants. C’était vraiment ce que j’appelle “le bras de levier”. Les CFA ont davantage de capacités pour aller chercher des fonds extérieurs : des fonds européens, des fonds régionaux, des fonds d’État », indique Christophe Possémé
Président @ CCCA-BTP (Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics) • Président @ Le Bâtiment Associé
, président du CCCA-BTP.
« Il ne faut surtout pas interrompre la dynamique de 2018 et peut-être remettre du carburant » (Alain Druelles, Quintet)
Paradigme initial
« La loi Avenir professionnel était à la fois un changement de modèle et un projet politique car nous partions d’une série de convictions fortes :
- Première conviction : le sujet des compétences, l’adaptation, l’évolution, l’acquisition, est fondamental et stratégique. Je me souviens de l’université d’été du Medef. Ce qui était significatif, c’est que tous les ministres présents parlaient du sujet des compétences : tous, quel que soit leur portefeuille.
- La deuxième conviction est que l’acquisition des compétences est un vrai investissement : ce n’est pas un coût.
- La troisième conviction est que, pour un vrai saut quantitatif et qualitatif, il faut Impulser et donner des capacités d’initiative aux entreprises et aux individus en leur permettant un accès plus simple à la formation.
- Pour les entreprises, par exemple, nous avons fait évoluer la définition de l’action formation.
- Pour les individus, l’idée était de donner un élan et de simplifier l’accès à la formation grâce à l’appli CPF.
- Il fallait vraiment accélérer sur l’apprentissage qui est une voie d’éducation à part entière, professionnalisante et connectée à l’emploi. En France, on a trop longtemps considéré l’apprentissage comme la voie que l’on emprunte lorsque l’on n’a pas réussi la voie royale, c’est-à-dire la voie académique.
- Si on considère que l’apprentissage et la formation sont un investissement, quelle traduction comptable en fait-on dans les entreprises ? Est-ce une charge ou est-ce qu’on peut amortir une partie des dépenses ?
Fin 2019, l’ANC a adopté le règlement n° 2019-09 sur ce sujet pour permettre, à certaines conditions, aux entreprises d’inscrire certaines dépenses comme investissements. C’était une petite révolution sur le plan conceptuel.- La branche des travaux publics a conclu un accord en mai 2023 qui reprend cette disposition en se proposant d’en faire la promotion et de voir concrètement ce que cela pouvait donner pour les entreprises. On est, en 2024, à plus 3 % sur l’ensemble du champ.
- Concernant l’investissement, il a augmenté tant côté pouvoir public que côté entreprise.
- Pour l’apprentissage, en moyenne la dépense d’investissement dans les CFA, a doublé dans les trois ou quatre dernières années par rapport à ce qui se passait avant 2018. Cette augmentation est due en grande partie à l’augmentation des fonds propres des CFA.
- Concernant la formation des demandeurs d’emploi, le nombre de demandeurs d’emploi formés a augmenté, en moyenne, de 30 % avec un taux de retour à l’emploi de +10 points, à 60 %.
Un projet toujours d’actualité ?
Voilà le panorama. Maintenant, la question est de dire : finalement les paradigmes ou les instruments sont-ils toujours d’actualité ou pas ?
- La tendance à la réduction des NPEC aura peut-être une incidence sur ce qui a été construit.
- Dans les dernières mesures introduites dans PLF, le discours et les fondements sont presque plus inquiétants que les mesures elles-mêmes.
« Le sujet des compétences est-il encore un sujet central ? » Il n’y a pratiquement pas eu de débat de fond sur le sujet et c’est inquiétant.
- Dans les discours, la formation est à nouveau présentée comme un coût. Quand vous cumulez tout ce qui sort dans la presse, les rapports de la Cour des comptes, les déclarations, on voit bien que ce prisme redevient un peu d’actualité. Ce n’est pas bon signe. Si l’on considère que la formation est un investissement prioritaire, la question n’est pas de limiter le montant de l’investissement, mais d’identifier l’euro utile, et l’investissement utile.
- Aujourd’hui, si c’est un enjeu majeur, il faut peut-être investir plus que pas assez.
- Le 05/03/2025, la Commission européenne a produit un document intitulé « Union of Skills » dans lequel elle invite à mettre le paquet sur les compétences. Au passage, quand vous regardez ce qu’ils écrivent, beaucoup d’éléments s’inspirent de ce qui a été fait en France.«
»La dynamique de 2018 est en cours. Il ne faut surtout pas l’interrompre et peut-être remettre du carburant.«
Alain Druelles, cabinet Quintet
« La segmentation du marché de la formation n’a jamais été aussi forte » (Jean-Pierre Willems)
« Plutôt que “transformation du marché”, on pourrait dire “transformation des marchés de la formation”. Il y a eu plusieurs effets transformatifs. La segmentation n’a peut-être jamais été aussi forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Je distingue quatre marchés de la formation, dont deux sont en train de fusionner et deux sont en train, au contraire, de s’étanchéifier.
Les deux marchés de la formation initiale et de l’apprentissage
Les deux marchés qui étaient très distincts et qui fusionnent très concrètement, c’est la formation initiale et l’apprentissage.
- Des écoles, aussi bien dans le secondaire que dans le supérieur, ne travaillaient qu’avec des étudiants ou des élèves. Elles ont basculé aujourd’hui et accueillent majoritairement des apprentis. C’est un changement de métier, de client, de manière. C’est aussi un pari sur l’avenir, parce que c’est un changement de modèle économique.
- Le chemin inverse, c’est-à-dire des CFA historiques qui auraient développé de la formation initiale est plus rares. Pourtant, il mériterait sans doute d’être réfléchi, parce qu’on est sur les mêmes populations, sur les mêmes types de diplômes, sur les mêmes types de cursus. Certes, il y a une pédagogie en alternance qui n’est pas la même, mais malgré tout, ces deux marchés sont aujourd’hui plus proches qu’ils ne l’ont jamais été, voire avec des passerelles ou des mutations très fortes.
Le marché du tiers payant
- Le troisième marché est un peu en difficulté en ce moment. C’est le marché du tiers payant, c’est-à-dire le marché du financement par autrui, de la formation que va faire une entreprise ou un individu, tout ce qui est donc intermédiaire. Je mets donc à l’intérieur :
- le CPF,
- les actions financées par les Opco,
- les actions des Régions,
- tous les financements publics ou mutualisés.
- On a un double effet de ciseaux pour les organismes de formation.
- Premier effet de ciseaux, tous ces fonds sont orientés à la baisse depuis 2021. Il faut donc faire attention à l’effet de projection, parce qu’on a eu un développement très fort sur ce segment pendant, grosso modo, trois ans, et un effet de reflux depuis. On n’est pas revenu à un niveau inférieur à 2018, mais le marché est malgré tout orienté à la baisse.
- Le deuxième effet de ciseaux, c’est le marché qui s’est bureaucratisé. On a, dans la manière de gérer le dispositif, un petit écart entre l’intention de départ et la manière dont c’est géré. On alourdit considérablement les obligations dans tous les domaines, mais surtout des obligations de gestion pour les OF, et l’on diminue les financements.
- Ce marché est donc plus tendu, avec parfois d’ailleurs des coûts sur lesquels les marges sont très réduites.
Le marché non-intermedié
- Quand on regarde les chiffres, c’est-à-dire le chiffre d’affaires réalisé en direct par les OF avec les entreprises, sur la dépense non intermédiaire, l’achat direct par l’entreprise, entre 2020 et 2023, on a 25 % d’augmentation. C’est presque la bonne nouvelle du paysage. On est passé de 4 à 6 milliards d’euros.
- Le marché de la formation continue est en croissance pour plusieurs raisons.
- On a une multiplication des obligations de formation réglementaire parce qu’on a ce vieux réflexe, en France, de sécuriser les choses, alors on met de la formation obligatoire. Quand je dis « vieux réflexe », c’est parce que, et là la bascule n’a pas été faite, on ne met pas la compétence obligatoire, on met la formation obligatoire. C’est de mon point de vue contre-productif. Je vais prendre l’exemple dans les transports. Je suis obligé de repasser systématiquement les formations obligatoires, mais on ne regarde plus si je suis compétent ou pas. Il faut que j’aille refaire mes 3 jours, 5 jours, tous les 5 ans, etc. Quelle image cela donne aux gens à qui on impose ça ? À quoi servent le temps passé et les moyens investis ? Est-ce qu’on ne pourrait pas avoir des systèmes d’assessment, mesurer les compétences et s’éviter ce type de parcours ?
- Il faut accompagner le développement de compétences et ne pas occulter la dimension volontariste et le pari que font certaines entreprises sur l’investissement en compétences. Elles ont compris le rôle que cela jouait dans les éléments clés de leur performance.
« On devrait tourner aux alentours de 3,5 milliards d’euros » (Alain Druelles)
'Pour illustrer ce que disait Jean-Pierre Willems, la dépense avant 2018, c’est un petit peu moins de 800 millions d’euros. Aujourd’hui, y compris avec les dernières décisions, on devrait tourner aux alentours de 3,5 milliards d’euros pour vous donner un ordre de grandeur. Et sur la dépense directe et intermédiaire, aujourd’hui c’est aux environs de 15 milliards d’euros sur la dépense directe et 10 milliards d’euros pour la dépense intermédiaire, pour vous donner les endroits."
Alain Druelles
Des choix stratégiques à faire pour les organismes de formation
- Les établissements de formation ont un choix à faire : comment se situer sur ces quatre marchés, sachant que si les deux premiers ont beaucoup de connexité, ils ne sont pas complètement identiques. Pour les autres, ce n’est pas forcément les mêmes publics, les mêmes produits, les mêmes modes de production, la même manière de commercialiser, les mêmes tarifs, les mêmes marges et pas forcément les mêmes formateurs non plus.
- Quand je vois des organismes de taille importante qui sont positionnés sur tous les marchés, en réalité la part de fonctions communes est très faible. Très vite, on retrouve des silos où chacun travaille sur un marché distinct avec des méthodes différentes et parfois avec des équipes elles-mêmes différentes et des outils différents. La mutualisation n’est pas si évidente pour les OF.
Un centre de formation n’a pas d’autre choix aujourd’hui que de mesurer son degré d’agilité et sa capacité à faire face à des choses qu’on ne prévoira pas ou qu’on ne saura pas forcément prévoir. La question n’est donc pas de faire des plans prévisionnels, mais d’élaborer une stratégie pour donner un cap.«
« L’image du métier sale, où l’on est avec la pelle et la pioche sur le chantier, est en train de changer complètement » (Christophe Possémé, CCCA-BTP)
Transformation du rôle du CCCA-BTP
Le rôle du CCCA BTP avant la réforme de 2018
« Avant la réforme de 2018, le CCCA-BTP jouait un rôle essentiellement centré sur l’apprentissage dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Le CCCA-BTP était financeur des CFA du BTP et participait à la définition des politiques de formation. Son action était fortement régulée par les branches professionnelles et les OPCA, avec des financements structurés via la taxe d’apprentissage. Il intervenait quasiment exclusivement sur la formation initiale des jeunes en apprentissage.
Le nouveau positionnement du CCCA-BTP
Le CCCA-BTP a dû redéfinir son positionnement pour s’adapter aux nouveaux mécanismes de financement et aux nouvelles attentes des entreprises du BTP avec :
- l’ouverture vers la formation continue et l’upskilling des salariés du secteur,
- l’accompagnement des CFA devenus autonomes, désormais libres dans leur gestion, en apportant un soutien technique, stratégique et financier.
- la mise en place de nouvelles stratégies d’investissement dans l’innovation pédagogique pour moderniser la formation.
Un rôle accru d’accompagnement et de structuration des CFA du BTP
La transformation des métiers du BTP impose une évolution des compétences et des méthodes pédagogiques. Le CCCA-BTP a donc investi massivement dans l’innovation pour préparer l’avenir du secteur. Nous action la plus visible, pour l’extérieur, c’est l’accompagnement financier sur les investissements innovants. C’était vraiment ce que j’appelle « le bras de levier ». Les CFA ont davantage de capacités pour aller chercher des fonds extérieurs : des fonds européens, des fonds régionaux, des fonds d’État.
- Quand nous nous engageons sur un financement, et donc que la branche finance en partie le projet du CFA, il est plus facile à ce dernier, ensuite d’aller voir un conseil régional pour demander une subvention complémentaire.
- Aujourd’hui nous avons cette capacité à accompagner les centres de formation pour leurs investissements dans la robotique, par exemple, pour que les jeunes et les moins jeunes, par la formation continue, puissent apprendre dans de bonnes conditions avec le matériel qu’ils utiliseront dans dix ans dans les entreprises.
- L’enjeu pour le CCCA-BTP, c’est que nos accompagnements aient le maximum d’impact. Nous sommes un incubateur, un incubateur de matériel, un incubateur d’idées aussi, un incubateur de logiciels, puisqu’à un moment c’est ce que sera la formation de demain. Je ne détiens pas la vérité, le CCCA-BTP ne détient pas la vérité. Il faut tester pour pouvoir comparer, voir s’il y a un réel intérêt, un intérêt déjà pour les référentiels de formation.
- L’enjeu c’est de voir comment nous travaillons aujourd’hui dans nos entreprises mais également comment nous travaillerons demain.
- Quand je me déplace, je vois l’agilité d’un grand nombre de centres de formation à se mettre à la page et à être innovants, sur les plateaux techniques de demain. Il est frappant de voir de quelle façon le tailleur de pierre utilise la taille laser, de voir les couvreurs se servir de drones. Cela joue aussi un rôle en termes d’attractivité de ces métiers. On doit se tourner vers ces innovations pour donner envie à ces jeunes. Les jeunes viennent parce qu’ils trouvent un sens et un but pour leur carrière, pour leur métier de demain. Et l’image du métier sale, où l’on est avec la pelle et la pioche sur le chantier, est en train de changer complètement. Je suis fier aujourd’hui de voir l’évolution du monde du BTP depuis 15 ans et nous ne sommes qu’aux prémices."
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 06/06/2025 à 12:04
Christophe Possémé
Président @ CCCA-BTP (Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics)
Président @ Le Bâtiment Associé
Parcours
Président
Directeur général adjoint
Directeur de travaux
Conducteur de travaux
Fiche n° 46762, créée le 11/07/2022 à 16:43 - MàJ le 31/03/2025 à 14:29

Alain Druelles
Associé fondateur @ Cabinet Quintet
Parcours
Associé fondateur
Conseiller d’Élisabeth Borne à la formation professionnelle et à l’apprentissage
Conseiller de Muriel Pénicaud à la formation professionnelle et à l’apprentissage
En charge de l’interface avec le cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, pour assurer le lancement et la mise en œuvre de la réforme de la formation
Directeur Éducation Formation
Directeur adjoint à la direction Éducation Formation
Chef du service formation continue
Coordinateur régional pour la Formation professionnelle
Fiche n° 24387, créée le 21/07/2017 à 11:37 - MàJ le 13/03/2025 à 14:34