Formation professionnelle : une feuille de route stratégique peu ancrée dans l’avenir (J.-P. Willems)

News Tank RH - Paris - Actualité n°397940 - Publié le
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La communication conjointe du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère chargé du travail et de l’emploi, présentée au Conseil des ministres du 28/04/2025, est une des rares communications depuis plusieurs mois qui peut tenir lieu de formalisation de la stratégie de l’État en matière de formation professionnelle. On pourra constater que la communication s’écarte peu du credo traditionnel de l’adéquationnisme emploi-formation et que parmi les orientations préconisées, au-delà de l’absence de toute référence à l’effort financier nécessaire à la politique esquissée, bien peu prennent en compte ce que sera la formation professionnelle demain, tant dans les possibilités techniques de sa production que dans les attentes des individus, avec une exception notable sur ce point dans l’analyse de l’avenir de la voie professionnelle dans les lycées.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Formation est la réponse, quelle est la question ?

La communication pointe que le taux d’emploi des jeunes deux ans après la sortie d’études est inférieur de 15 points à celui des Allemands et de 30 points à celui des Britanniques. Constat également que 480 000 postes sont restés vacants en 2024, notamment dans le bâtiment, l’industrie et la restauration. Conclusion ? l’offre de formation n’est pas adaptée !

Si la formation a les pouvoirs qu’on lui prête, que n’investit-on massivement dans cette solution toute trouvée pour renforcer l’attractivité des métiers, réduire le taux de chômage et améliorer les conditions d’emploi. Et si elle n’a pas ces pouvoirs, pourquoi alors utiliser un tel raccourci qui fait de la formation la solution miracle aux pratiques de recrutement, conditions d’emploi et de rémunération, possibilité d’évolution, stabilité de l’emploi, etc.

Des certifications inadaptées, des diplômes publics peu réactifs

La loi du 05/09/2018 a réformé les Commissions paritaires consultatives pour les rendre plus dynamiques. Force est de constater qu’elles restent des instances très lourdes avec des délais longs. Et que le travail de traduction des diplômes de l’enseignement supérieur sous le format compétences exigé par France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… , ce qui n’est jamais que le droit commun de la certification en France, s’effectue dans la douleur et non sans résistances.

Qu’est-ce qu’une certification adaptée aux besoins des entreprises ? »

Pour autant, et si l’on parle de rythme d’évolution, qu’est-ce qu’une certification adaptée aux besoins des entreprises ? Celle qui correspond à l’offre d’emploi du jour qui ne sera pas forcément celle de demain ? L’avenir est-il dans des diplômes révisés tous les ans ou tous les deux ans dans une copie du mouvement brownien de l’évolution des compétences en entreprise ? Rajoutons une couche : comment on construit une formation, et un diplôme, préparant aux métiers de demain ?

Ce débat n’est pas nouveau et la réponse est connue : en structurant les certifications sur les fondamentaux et en développant les capacités d’adaptation que certains nommeront dans le jargon pédagogique les métas compétences ou plus simplement capacité à apprendre qui va inclure la capacité à rechercher la bonne information et la traiter, la capacité à se former seul et avec les autres en permanence, l’analyse réflexive et la capacité de remise en question de son expérience.

Les limites de la logique adéquationniste entre formation et emploi ont déjà été pointées à de multiples reprises, on peut trouver ici un exemple récent  sous la plume du directeur du Céreq • Établissement public qui dépend du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et du ministère du Travail.• Création : 1971• Missions :- Construire des… .

Plutôt que de lancer une course à l’échalote de l’actualisation permanente des certifications, il serait sans doute bienvenu de s’interroger sur ce que doit contenir une certification qui doit avoir, quelles que soient les évolutions, une durée de vie d’au minimum cinq ans.

L’apprentissage : une adéquation qui n’en serait pas une

Alors que l’adéquationnisme emploi-formation est mis en avant par la communication, en matière d’apprentissage cet adéquationnisme est remis en question :

« Cependant, une partie des flux d’entrées en apprentissage ne se fait pas suffisamment en fonction des besoins en compétences du marché du travail en raison de considérations économiques de certains acteurs de la formation. »

Si certains acteurs de la formation ont le pouvoir de déclencher des embauches sur commande, ne nous privons pas de les encourager »

Ainsi, il y aurait des recrutements par les entreprises qui ne correspondraient pas à des besoins, mais auraient simplement comme finalité les objectifs économiques des organismes de formation. Mais si certains acteurs de la formation ont le pouvoir de déclencher des embauches sur commande, ne nous privons pas de les encourager.

On souhaiterait avoir la liste des métiers concernés et des entreprises qui ont recruté des apprentis sans avoir de besoin, uniquement parce qu’un CFA le leur a demandé.

Plus sérieusement, l’apprentissage parce qu’il est le résultat d’un double recrutement, par le CFA et par l’entreprise, parce qu’il confère un statut de salarié, parce qu’il permet d’acquérir de l’expérience, parce que l’alternance est la meilleure manière d’ancrer durablement des compétences, parce qu’il permet des poursuites d’études, parce qu’il allège le coût de ces études pour les jeunes et les familles, est typiquement le dispositif qui cumule les atouts et répond aux besoins à la fois des jeunes et des entreprises.

Toujours à propos de l’apprentissage, il est indiqué que « certaines formations doivent être moins financées et devront faire la démonstration de leur utilité économique, tandis que d’autres doivent être encouragées pour correspondre aux besoins de l’économie ». Mais il existe des indicateurs simples et disponibles qui permettent déjà de faire ce choix.

En rappelant que la formation n’a pas qu’une utilité économique mais également sociale, on peut donner deux indicateurs : le taux de réussite au diplôme et le taux d’insertion. Ces chiffres sont disponibles. Pourquoi ne pas en tenir compte plutôt que de raisonner à partir de partis pris (sur la formation à distance par exemple) ou demander à une entité publique (les régions en l’occurrence) ce qui est bon pour les entreprises ? Le pari de la loi du 05/09/2018 était de sortir d’un apprentissage administré et de faire confiance aux acteurs. Les jeunes et les entreprises ont été au rendez-vous de ce pari. Qui peut dire, mieux qu’eux, ce qui est utile ou ne l’est pas ? La preuve par le terrain ou la preuve par le haut ?

La voie professionnelle et la réforme des lycées

On trouve dans la partie consacrée aux lycées professionnels une analyse moins convenue sur l’attractivité de la filière professionnelle pour les jeunes :

« Pour que des jeunes acceptent de s’insérer tôt dans la vie professionnelle, il faut qu’ils aient la garantie que leur niveau de qualification puisse s’élever tout au long de leur carrière, grâce à la formation continue. »

Il ne s’agit pas ici de simplement préconiser des formations plus adaptées aux besoins des entreprises (ce qui est fait), mais de considérer que la voie professionnelle n’a de sens que si elle ne constitue pas une impasse, ou une voie de garage comme l’on disait autrefois. C’est ce que Jean-Marie Luttringer, fin connaisseur de l’emploi et de la formation en France mais également en Allemagne, nomme le « ratio d’espoir » que propose un système emploi-formation à un individu.

L’approche systémique est indispensable en matière d’emploi et de formation »

Pour constater que le ratio d’espoir en Allemagne est plus élevé qu’en France car le diplôme de formation initiale y prend beaucoup moins de place dans la détermination de la carrière professionnelle. Là où l’on retrouve le tropisme de la formation qui peut tout c’est que la conclusion est de faire porter tous les espoirs de l’évolution sur la formation continue. Or, cela dépend également des modalités de gestion des ressources humaines et des pratiques de recrutement. L’approche systémique est indispensable en matière d’emploi et de formation puisque le système éducatif, le marché du travail, la formation continue et les pratiques de GRH des entreprises entretiennent de fortes relations d’interdépendance. Ne pas prendre en compte ces interdépendances, c’est croire en des causalités linéaires là où il faudrait penser système.

C’est pourquoi la réforme des lycées est insuffisante si d’une part la promesse de formation continue ne peut être tenue, comme le souligne la communication, mais également si les pratiques de GRH, et notamment le recrutement et la gestion des carrières, ne confèrent pas une place plus importante à l’évolution interne. Autrement dit à la constitution des compétences dont on a besoin plutôt que l’achat sur le marché du travail.

La territorialisation de l’enseignement supérieur

Un double étonnement à la lecture de la communication sur ce sujet. La première est que la mobilité des étudiants comme des salariés est d’autant plus importante que le niveau d’études est élevé. La question de l’accès territorial à l’enseignement se pose donc de manière plus aigüe, nous semble-t-il, sur les premiers niveaux de qualification. A tel point que l’on peut se poser la question de savoir si l’adéquation formation supérieure-économie locale a vraiment du sens.

La deuxième surprise est qu’il n’est jamais question de formation distancielle pour réduire la fracture territoriale. La suspicion qui semble s’être abattue de manière généralisée sur cette modalité de formation qui est de nature à permettre l’accès à l’enseignement pour tous demeure incompréhensible, d’autant qu’elle est devenue, et sera d’autant plus demain, une modalité banalisée de formation. Attention à ne pas adopter, pour de mauvaises raisons, des attitudes rétrogrades alors que la compétition technologique fait rage et que la priorité serait davantage de favoriser l’innovation pédagogique via la technologie qui n’exclut pas l’accompagnement humain comme on voudrait le faire croire.

Une gifle à Qualiopi

Enfin, relevons dans la communication des deux ministères le sévère constat que « la certification Qualiopi sera remise à plat car elle n’assure pas la fonction qui lui était conférée de garantir un standard de qualité pour les formations en apprentissage et pour les publics adultes ». Dispositif mal né, la certification Qualiopi n’a jamais pu jouer véritablement son rôle faute de s’en voir attribuer plusieurs : la confusion entre contrôle qualité (sans avoir défini au préalable ce qu’est une formation de qualité, comme personne ne sait dire aujourd’hui ce qu’est un apprentissage de qualité), contrôle réglementaire et contrôle de service n’a jamais permis à cette certification de se situer véritablement sur le champ de la stricte qualité de la formation.

Nous avons besoin de peu de règles mais de règles solides et stables »

Un ouvrage à remettre sur le métier donc, en espérant que l’on échappera à la mortifère logique selon laquelle lorsqu’une règle ne fonctionne pas on en déduise qu’avec plus de règles cela fonctionnera mieux. Nous avons besoin de peu de règles mais de règles solides et stables : commençons par dire ce qu’est une formation et un apprentissage de qualité, retenons quelques indicateurs seulement en se concentrant sur l’essentiel, dont les résultats, et évitons de nous noyer dans l’administration de l’accessoire.

Conclusion

Comme on l’aura compris, la communication sur la stratégie commune en matière de formation professionnelle n’annonce pas un grand soir. Ce sont moins les intentions qui sont en cause que les limites du diagnostic et surtout le recours à des recettes qui ont déjà montré leurs limites. Dans une société de compétences, nous avons besoin à la fois d’audace et d’imagination, il nous semble qu’il reste encore une partie du chemin à faire.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 30/04/2025 à 12:37