« Apprentissage : un dispositif à ajuster pour le rendre encore plus efficient » (colloque de Bercy)
« Le succès quantitatif de l’apprentissage est indéniable. Il a trouvé son public, qu’il s’agisse des jeunes et de leur famille, et des entreprises, grâce à une image profondément transformée. On peut cependant s’interroger sur les effets de transfert que cet essor a entraînés : les élèves et les étudiants qui deviennent apprentis, les entreprises qui, auparavant, utilisaient davantage le contrat de professionnalisation et qui, aujourd’hui, se tournent vers l’apprentissage. Ces effets de substitution sont-ils une bonne chose ? », déclare Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
, docteur en droit et consultant RH, à l’occasion du séminaire « Politiques de l’emploi, interactions de l’économique et du juridique » organisé par le ministère de l’Économie et le ministère du Travail et de l’Emploi (Dares) le 12/11/2024. Le thème du séminaire était : « L’essor de l’apprentissage : quel bilan et quelles perspectives ? ».
« Il existe de nombreuses formations initiales comme le CAP ou le BP, mais les besoins et les attentes de la profession ont évolué. Le Bachelor Coiffure & Entrepreneuriat que dispense “REAL Campus by L’Oréal” complète cette offre de formation. Avec ce diplôme, nous voulons offrir l’ensemble des compétences nécessaires pour innover et repenser le parcours client. À travers cette filière d’excellence, nous souhaitons revaloriser le métier de coiffeur, encourager l’entrepreneuriat et favoriser l’insertion professionnelle », indique Anne-Léone Campanella
Directrice générale @ Real Campus by L’Oréal
, directrice générale, Real Campus by L’Oréal.
« Le coût de l’essor de l’apprentissage est exorbitant et problématique pour les finances publiques, alors que le contrôle qualité est assez lâche. On assiste aussi à une explosion de cette filière dans le supérieur (niveaux 5, 6, 7, 8 : plus d’un million d’apprentis contre 400 000 avant 2018), alors que l’on constate une absence d’effet emploi de l’apprentissage à ce niveau d’études et à une promotion sociale limitée », ajoute Pierre Cahuc
Professeur d’économie @ Science Po • Directeur @ Chaire sécurisation des parcours professionnels
, docteur en économie, professeur à Sciences Po, directeur de la chaire sécurisation des parcours professionnels.
News Tank rend compte de ces débats, introduits par Gilbert Cette
Président @ Conseil d’orientation des retraites (COR) • Professeur @ Neoma Business School (Neoma) • Partenaire @ Exso
, président du Conseil d’orientation des retraites notamment, et conclus par Jean-Emmanuel Ray
Professeur de droit privé - Ecole de droit @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Professeur de gestion Co directeur du Master 2 professionnel « développement des RH & droit social » @ Universit…
, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Participants au séminaire du 12/11/2024
• Pierre Cahuc, docteur en économie, professeur à Sciences Po, directeur de la chaire sécurisation des parcours professionnels
• Jean-Pierre Willems, docteur en droit et consultant RH
• Anne-Léone Campanella, directrice générale, Real Campus by L’Oréal
• Introduction : Gilbert Cette, coprésident du séminaire « Politique de l’emploi, interactions de l’économique et du juridique », président du Conseil d’orientation des retraites, professeur d’économie à Neoma Business School
• Conclusion : Jean-Emmanuel Ray, coprésident du séminaire, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
État de lieux de l’apprentissage en France - effets de la réforme de 2018
« Toutes les conséquences du passage à un marché n’ont pas été tirées » (Jean-Pierre Willems)
« Toutes les conséquences du passage à un marché n’ont pas été tirées. Ainsi :
- Les modalités de détermination des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage ne prennent pas en compte les règles relatives à la concurrence (NPEC différents pour des diplômes comparables, non application de la loi qui prévoit une minoration pour les organismes publics, etc.).
- Le principe de gratuité de la formation pour l’apprenti a été conservé mais, juridiquement, il ne s’impose plus. Cette gratuité peut être mise à la discussion. Faut-il, par exemple, la maintenir pour tous les niveaux de qualification ?
- L’intervention de l’État demeure massive, l’apprentissage étant un marché de tiers payant.
D’autre part, le système d’apprentissage français demeure hybride. Il relève de la formation initiale mais son fonctionnement est proche de la formation continue, et il s’agit d’un marché fondé sur le recrutement mais qui est porté par la politique de l’éducation et de l’emploi.
Le succès quantitatif de l’apprentissage est indéniable. Il a trouvé son public, qu’il s’agisse des jeunes et de leur famille, et des entreprises, grâce à une image profondément transformée. On peut cependant s’interroger sur les effets de transfert que cet essor a entraînés : les élèves et les étudiants qui deviennent apprentis, les entreprises qui, auparavant, utilisaient davantage le contrat de professionnalisation et qui, aujourd’hui, se tournent vers l’apprentissage. Ces effets de substitution sont-ils une bonne chose ?
Il est indéniable également que le coût de l’apprentissage est élevé : 20 000 € environ par apprenti (40 % pour les NPEC, 60 % pour les aides aux employeurs et aux apprentis). Faut-il réduire ce coût ou, au contraire, investir davantage ?
Enfin, on s’interroge sur le recours potentiellement abusif à l’apprentissage par les entreprises, mais n’oublions pas que le droit leur impose de recruter des alternants (une obligation pour les entreprises de plus de 250 salariés). Si elles n’emploient pas un nombre de salariés alternants supérieur à 5 % de leur effectif total de l’année, elles sont redevables d’une CSA (contribution supplémentaire à l’apprentissage). Le message qu’on leur adresse est donc le suivant : “Recrutez beaucoup d’apprentis” et pas : “Si vous en recrutez trop, vous êtes dans l’abus”.
En réalité, le recours à l’apprentissage par les entreprises est abusif uniquement si elles ne remplissent pas leur mission formative. On leur reproche aussi parfois de confier à leurs apprentis les mêmes tâches que celles qu’accomplissent les salariés en CDI par exemple. Mais c’est une bonne chose qu’elles le fassent. L’inverse serait un abus. À condition toutefois de respecter la progression pédagogique et l’accompagnement du jeune en apprentissage. »
« Nous apportons la preuve que la formation artisanale et l’enseignement supérieur, cela marche » (Anne-Léone Campanella)
« La filière de la coiffure n’est toujours pas valorisée en France. Le résultat est qu’il manque 10 000 coiffeurs. Il existe bien de nombreuses formations initiales comme le CAP ou le BP, mais les besoins et les attentes de la profession ont évolué. Le Bachelor Coiffure & Entrepreneuriat que dispense “REAL Campus by L’Oréal” complète cette offre de formation. Avec ce diplôme, nous voulons offrir l’ensemble des compétences nécessaires pour innover et repenser le parcours client. À travers cette filière d’excellence, nous souhaitons revaloriser le métier de coiffeur, encourager l’entrepreneuriat et favoriser l’insertion professionnelle. “REAL Campus by L’Oréal” est, pour moitié, une école de coiffure et, pour l’autre, une école de commerce. Nous apportons la preuve que la formation artisanale et l’enseignement supérieur, cela marche.
La formation est dispensée selon un rythme unique d’alternance : trois mois de formation sur le campus et neuf mois en entreprise. Nous donnons ainsi aux appentis la possibilité d’être dans la situation réelle d’un salarié, tout en respectant la progression pédagogique du cursus. Les maîtres d’apprentissage sont tous en accord avec les valeurs de l’école et sont totalement partie prenante de l’enseignement. Pour que celui-ci soit le plus proche possible de la réalité des métiers de la coiffure, nous faisons appel à des intervenants externes professionnels : des coiffeurs, coloristes, barbiers en activité et des experts-comptables qui travaillent avec des coiffeurs par exemple.
C’est grâce à la réforme de 2018 que l’on a pu créer cette école à l’écoute permanente du terrain. Nous formons des apprentis pour qu’ils soient en prise directe avec les besoins du secteur de la coiffure. »
« La nature de l’établissement d’enseignement tient un rôle très important dans l’insertion des jeunes » (Pierre Cahuc)
• « En France, le taux d’emploi des apprentis et des jeunes formés en lycée professionnel varie de 20 points. Il est de 50 % en moyenne pour les jeunes sortant de lycée professionnel avec un CAP ou un bac pro et de 70 % pour les apprentis.
• Toutefois, les performances de l’apprentissage sont très différentes selon l’établissement et le type de formation dispensée. Les apprentis qui obtiennent un CAP cuisine en CFA ont un taux d’emploi en moyenne plus élevé que ceux qui l’obtiennent en lycée professionnel, mais ce n’est pas une règle générale car certains lycées pro font bien mieux que des CFA. Ce qui fait la réussite de la formation, c’est l’établissement, sa façon d’élaborer son offre de formation, d’enseigner et de fonctionner avec l’entreprise d’accueil, ainsi que son insertion dans le tissu économique local.
• La nature de l’établissement tient un rôle très important dans l’insertion des jeunes. C’est sur ce point qu’il faut réfléchir pour améliorer cette insertion. »
Pierre Cahuc, docteur en économie, professeur à Sciences Po, directeur de la chaire sécurisation des parcours professionnels
Enjeux persistants et problématiques nouvelles - Les défis de l’apprentissage en 2024
« Une évolution problématique » (Pierre Cahuc)
« Comme le dit la Cour des Comptes (rapport 2023) : “La transformation du cadre juridique, organisationnel et financier de la formation professionnelle et de l’alternance par la loi du 05/09/2018 ne s’est pas accompagnée d’une attention suffisante portée à la qualité de la dépense”. On assiste à “un déficit inédit du système de formation professionnelle et d’alternance, sans pour autant que l’on ait l’assurance de répondre aux besoins des jeunes et des actifs peu qualifiés”.
Le coût de cet essor de l’apprentissage est exorbitant et problématique pour les finances publiques, alors que le contrôle qualité est assez lâche. On assiste aussi à une explosion de cette filière dans le supérieur (niveaux 5, 6, 7, 8 : plus d’un million d’apprentis contre 400 000 avant 2018), alors que l’on constate une absence d’effet emploi de l’apprentissage à ce niveau d’études et à une promotion sociale limitée.
Autre constat : la durée des formations s’est raccourcie en lien probablement avec l’aide unique aux employeurs qui n’est versée que pour la première année du contrat.
D’autre part, la réforme a créé un marché de l’apprentissage qui a eu pour effet d’accroître le nombre de CFA : ils étaient environ 1 000 en 2017, et on en dénombre 3 500 en 2024. »
« Se doter d’un outil de suivi de l’impact de l’apprentissage autre que l’insertion professionnelle » (J.-P. Willems)
« On dispose aujourd’hui d’indicateurs pour mesurer l’intérêt de l’apprentissage, mais il faudrait élargir ces critères pour mesurer l’effet de l’investissement dans cette filière. Sous couvert d’apprentissage, par exemple, on finance aujourd’hui beaucoup de formations qui ne mériteraient pas de l’être par les fonds de l’apprentissage.
Il faudrait également se doter d’un outil de suivi de l’impact de l’apprentissage autre que l’insertion professionnelle des jeunes. Quel est son effet sur le système éducatif par exemple ? »
Quels ajustements du dispositif pour un apprentissage encore plus efficient ?
« Réduire progressivement les coûts » (Pierre Cahuc)
- « Les dépenses de l’apprentissage ayant explosé, la question qui se pose est de réduire progressivement ces coûts. L’aide exceptionnelle qui est versée aux employeurs d’apprentis a ainsi vocation à rester exceptionnelle et donc à disparaître.
- On peut également s’interroger sur la gratuité de la formation pour les apprentis.
- Il faudrait renforcer les exigences à l’égard des CFA en matière d’accompagnement et d’insertion.
- Les outils de suivis de l’insertion ne couvrent pas tous les jeunes, en particulier ceux qui travaillent en tant qu’auto-entrepreneurs après leur formation. Il faut donc les renforcer.
- Il faudrait mobiliser une partie des ressources de la prime à l’embauche pour adapter l’offre de l’enseignement professionnel secondaire et l’orienter vers les métiers en tension. Les formations qui offrent des débouchés sont insuffisantes dans l’offre globale.
- Il est également nécessaire de renformer le lien entre l’enseignement professionnel et le service public de l’emploi. En Allemagne par exemple, le SPE joue un rôle important dans la recherche d’un contrat d’apprentissage par exemple. En France, on constate une vraie étanchéité entre les lycées professionnels et le SPE.
- C’est ce que nous avons voulu surmonter en lançant, en 2020, l’expérimentation du dispositif Avenir Pro qui vise à accompagner les élèves dans leur parcours d’insertion professionnelle en synergie avec France Travail, Science Po et le ministère de l’Éducation nationale (découverte des métiers, rencontre avec les entreprises du bassin d’emploi, aide à la recherche d’emploi, etc.). 300 lycées professionnels participent à cette opération avec leurs élèves de terminale. Nous obtenons des résultats satisfaisants en termes d’insertion professionnelle : +45 % d’insertion en emploi entre 2021 et 2022.
Il existe beaucoup d’autres leviers que l’apprentissage pour favoriser l’insertion professionnelle, plus efficaces et moins coûteux. »
« Trois voies possibles pour l’avenir de l’apprentissage » (J.-P. Willems)
« Trois voies sont possibles pour l’avenir de l’apprentissage :
- Le considérer comme un outil d’insertion et se concentrer sur les jeunes les moins qualifiés. Depuis que l’on a ouvert l’apprentissage à tous les niveaux d’enseignement en 1987, ce débat revient de manière régulière. Les Régions qui finançaient l’apprentissage avant la réforme de 2018 se partageaient ainsi entre celles qui réservaient leurs fonds aux apprentis du supérieur et celles qui se concentraient sur les bas niveaux de qualification.
- La 2e option consiste à faire de l’apprentissage une voie d’éducation massive. Cela suppose de faire des transferts budgétaires de la formation initiale vers l’apprentissage et d’avoir une approche plus globale, appréhendant l’efficience de l’investissement éducatif dans toutes ses dimensions.
- La 3e orientation vise à faire de l’apprentissage un outil clé de la formation tout au long de la vie. En effet, pourquoi limiter cette voie à 30 ans comme aujourd’hui ? L’alternance en général peut être un outil d’accompagnement des reconversions peu onéreux.
S’agissant de la qualité des organismes de formation : tous sont certifiés Qualiopi puisque c’est une obligation, mais cela ne signifie pas forcément qu’ils dispensent une formation de qualité. Nous avons besoin de normes davantage centrées sur la performance réelle. Il nous manque un système d’évaluation des CFA partagée par tous les acteurs. »
« Un système sous perfusion » (A.-L. Campanella)
- « Il faut aujourd’hui capitaliser sur les points forts de l’apprentissage. Le Gouvernement a ainsi permis la création de CFA d’entreprise pour répondre aux problèmes de recrutement, mais cela ne doit pas nous empêcher de voir les limites du système. Nous mesurons bien que le modèle économique de l’apprentissage est très fragile, sous perfusion de l’État et des Opco.
- Autre limite : l’épée de Damoclès que représente la révision des NPEC tous les six mois. Ces fluctuations de coûts des formations ne facilitent pas le maintien de la qualité par les CFA.
- Un autre axe d’amélioration continue consiste à poursuivre la valorisation de l’apprentissage. Dans l’artisanat, par exemple, il faut marteler que l’on peut faire des études au-delà du bac par cette voie. »
« Aujourd’hui, les Masters pro attirent les meilleurs étudiants » (J.-E. Ray)
• « Lorsqu’on parle d’une explosion de l’apprentissage dans le supérieur, il faut bien distinguer ce qu’il se passe dans les écoles de commerce et d’ingénieurs d’une part, et dans les universités d’autre part. Mais le succès dont il est question est bien une réalité : aujourd’hui, les Masters pro attirent les meilleurs étudiants, au détriment d’ailleurs des Masters recherche qui forment les enseignants.
• L’apprentissage n’est pas une voie de promotion sociale automatique, mais je vois à l’université beaucoup de personnes de milieux très modestes qui viennent faire des études. Je suis ainsi très surpris par le nombre important de jeunes dits “des quartiers” qui s’inscrivent à mon Master en apprentissage. Ce sont des jeunes qui en veulent, qui ont faim et cela me plaît.
• Ce qu’aiment les jeunes c’est qu’ils sont salariés et non stagiaires. Ils reçoivent une rémunération “prévisible”, ce qui n’est pas le cas lorsqu’ils travaillent ponctuellement chez McDonald’s par exemple ; ce qui leur permet d’aller au terme de leur cursus. J’observe également que la transition est beaucoup moins brutale entre une formation supérieure par l’apprentissage et la vie professionnelle. Et au bout de cinq ou six ans, ils ont acquis un double réseau : celui qu’il se sont créé à l’université et celui de l’entreprise car elles sont de plus en plus nombreuses à créer en leur sein des promotions d’apprentis. »
Jean-Emmanuel Ray, coprésident du séminaire, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il dirige le Master 2 en apprentissage « Développement des ressources humaines et droit social »