« L’apprentissage coûte trop cher : ce raisonnement est faux » (Muriel Pénicaud)

News Tank RH - Paris - Interview n°337602 - Publié le 17/09/2024 à 15:56
Muriel Pénicaud lors des Worldskills Lyon 2024 -

« L’apprentissage coûte trop cher : ce raisonnement est faux. On investit moins sur un apprenti (7 500 à 8 000€) que sur un lycéen professionnel (12 500 €) ou un étudiant (13 000 à 14 000€). Et s’il est apprenti, il n’est pas au chômage, dont le coût de l’accompagnement en mission locale est de 8 000 € », déclare Muriel Pénicaud Administratrice @ Positiv’ • Membre du conseil d’orientation @ Global Summit of Women • Senior advisor @ Bain Capital • Fondatrice et présidente @ Fonds de dotation Sakura
• « Engagée » (Éditions…
, ancienne ministre du Travail (2017-2020), aujourd’hui dirigeante d’entreprise, conférencière, photographe et auteure, à News Tank, le 12/09/2024, lors de la compétition internationale des métiers Worldskills Plus grand concours des métiers au monde, la WorldSkills Competition est organisée tous les deux ans sous l’égide de l’association WorldSkills International à Lyon.

« Je me suis émue publiquement lorsqu’on a commencé à raisonner en silo, en diminuant les coûts contrats pour les aides-soignantes ou les cuisiniers, alors que nous en manquons en France », ajoute-t-elle.

S’agissant du recentrage de l’aide unique à l’apprentissage sur les apprentis les moins qualifiés et les entreprises de moins de 250 salariés, préconisé notamment par l’Igas et l’IGF dans leur récente revue des dépenses d’apprentissage, Muriel Pénicaud rappelle que les aides aux entreprises existaient avant la réforme de 2018 qu’elle a initiée lorsqu’elle était ministre du Travail.

« Au moment de la Covid-19, nous avons donné un énorme coup de pouce à toutes les entreprises, quelle que soit la taille. Mais cette aide a perduré trop longtemps. (…) J’étais favorable à une diminution plus rapide des aides aux grandes entreprises (plus de 1 000 salariés), sauf pour celles qui embauchent des apprentis en situation de handicap. 8 % des jeunes sont handicapés et seulement 2 % accèdent à l’apprentissage. »

Les Worldskills Lyon 2024, l’évaluation par l’OCDE des programmes d’EFP (enseignement et formation professionnels), ses projets : tels sont les autres sujets abordés par Muriel Pénicaud.


Muriel Pénicaud répond aux questions de News Tank

Vous avez défendu la candidature de Worldskills en France lorsque vous étiez ministre du Travail. Comment cela s’est-il déroulé ?

En 2019, j’ai eu la grande joie de mener une délégation française d’une quarantaine d’acteurs économiques et sociaux à Kazan, en Russie, pour présenter et défendre la candidature de la France, afin d’organiser pour la première fois les Worldskills Plus grand concours des métiers au monde, la WorldSkills Competition est organisée tous les deux ans sous l’égide de l’association WorldSkills International . Quand j’ai vu la masse de jeunes fascinés par de nombreux métiers qu’ils ne connaissaient pas, ainsi que par l’excellence et la passion, cela m’a fortement motivée pour que la France l’emporte. Et cela s’est concrétisé à Lyon.

Vous êtes intervenue sur la possibilité de créer un Pisa pour l’enseignement professionnel et l’apprentissage durant une conférence des Worldskills Lyon 2024. Quel message voulez-vous faire passer ?

L'OCDE met au point la première évaluation internationale à grande échelle des programmes d’EFP (enseignement et formation professionnels). J’ai resitué cette expérimentation en lien avec les grandes vagues de transformation qui arrivent :

  • l'IA Intelligence artificielle  ;
  • le verdissement de l’économie ;
  • la démographie Nord-Sud ;
  • le changement du rapport au travail.

Mon objectif est que cette dimension soit bien intégrée dans Pisa VET Évaluation internationale de l’enseignement et de la formation professionnels (Vocational Education and Training). Une étude de l’OCDE, qui a débuté en 1987, mesure la durée de validité des compétences professionnelles de la formation initiale. À l’époque, on l’estimait à 30 ans. Aujourd’hui, elle a chuté à deux ans en moyenne, tous métiers confondus.

La moitié des emplois dans le monde, soit un milliard, seront, dans les dix ans à venir, très impactés : soit créés, soit détruits, soit transformés. Il faut intégrer dans l’éducation, dans la formation continue et dans les modes d’évaluation, l’idée que la compétence est une cible mouvante. Si nous n’ajoutons pas la curiosité, le challenge, le travail d’équipe, la capacité à mettre en contexte et à innover, elle sera obsolète très vite. Il faut donc modifier la manière d’enseigner et d’évaluer.

Le Medef lance un manifeste pour encourager la mobilité européenne des apprentis. Qu’en pensez-vous ?

Je suis ravie que le Medef se mobilise sur ce sujet. Quand j’étais ministre du Travail, j’avais confié une mission à Jean Arthuis Président @ Euro App Mobility
. Il était chargé de développer l’Erasmus de l’apprentissage en France. Il avait présenté une liste de recommandations, et nous avons levé les blocages dans la loi du côté français avec la reconnaissance des qualifications réciproques. Ensuite, il a créé une association (EuroApp Mobility) pour développer la mobilité européenne des apprentis. Mais, nous sommes encore au tout début de ce mouvement, qui permet une ouverture des compétences sur les manières de travailler et sur la culture.

Que pensez-vous de la proposition de l'Igas et de l’IGF de supprimer l’aide unique à l’apprentissage pour les niveaux 6 (licence) et 7 (master) aux entreprises de plus de 250 salariés ?

Depuis un an, nous sommes face à deux confusions :

  • L’apprentissage coûte trop cher : ce raisonnement est faux. On investit moins sur un apprenti (7 500 à 8 000€) que sur un lycéen professionnel (12 500 €) ou un étudiant (13 000 à 14 000€). Et s’il est apprenti, il n’est pas au chômage, dont le coût de l’accompagnement en mission locale est de 8 000 €. Je me suis alors émue publiquement lorsqu’on a commencé à raisonner en silo, en diminuant les coûts contrats pour les aides-soignantes ou les cuisiniers, alors que nous en manquons en France.

  • Les aides aux entreprises existaient avant la réforme de 2018. Au moment de la Covid-19, nous avons donné un énorme coup de pouce à toutes les entreprises, quelle que soit la taille. Mais cette aide a perduré trop longtemps. Ce qui a fait exploser les coûts aussi, c’est l’augmentation du nombre des apprentis : nous en avions 320 000 et, désormais, un million. C’est un immense succès pour le pays. Mais j’étais favorable à une diminution plus rapide des aides aux grandes entreprises (plus de 1 000 salariés), sauf pour celles qui embauchent des apprentis en situation de handicap. 8 % des jeunes sont handicapés et seulement 2 % accèdent à l’apprentissage. Ils ont des talents, de la volonté, mais ils n’ont malheureusement pas de perspectives professionnelles.

Quel est votre avis concernant les groupes de travail sur la qualité de la formation et l’apprentissage initiés par le haut-commissaire à l’enseignement et à la formation professionnels ?

C’est une bonne initiative qu’il existe un lieu de dialogue sur ces sujets. La qualité et l’innovation doivent être améliorées en continu.

Quels sont vos projets en cours ?

Je fais des conférences en France et à l’étranger sur le futur du travail auprès de chefs d’entreprise et de décideurs, afin de les préparer sur ce sujet qui devient stratégique. Le fait d’avoir 25 ans d’expérience en entreprise, dont 11 en tant que dirigeante au Comex de groupes du CAC 40, compte beaucoup, car j’ai une double vision : politique et entreprise. J’interviens aussi sur l’avenir de l’éducation.

Je suis régulièrement sollicitée, comme pour le Global Summit of Women , sur des sujets liés au développement du leadership féminin. Je reste fidèle aux sujets qui me tiennent à cœur.

Par ailleurs, je fais de la photographie d’art  et j’expose dans plusieurs pays. En octobre 2024, les éditions Skira sortiront une monographie de 150 de mes photos. Je suis plus dans l’influence et l’éveil. La partie artistique s’entremêle avec mon activité de conférencière, car j’utilise parfois certaines de mes photos pour illustrer mes propos sur l’égalité hommes femmes, par exemple, voire prolonger les discussions.

Muriel Pénicaud


• « Engagée » (Éditions Humensis, 2023)

• Expositions photographiques à Paris, Tokyo, Pékin, dans le Vaucluse et en Haute-Marne.

• Lauréate 2024 du prix international Julia Margaret Cameron pour les femmes photographes

Parcours

Positiv'
Administratrice
Global Summit of Women
Membre du conseil d’orientation
Bain Capital
Senior advisor
Fonds de dotation Sakura
Fondatrice et présidente
Galileo Global Education
Administratrice
ManpowerGroup
Administratrice
OCDE
Ambassadrice, représentante permanente de la France
Ministère du Travail et de l’Emploi
Ministre du Travail
Business France
Directrice générale
Haut Conseil du Dialogue Social
Membre du Haut Conseil du Dialogue Social
Groupe ADP
Administratrice
France
Ambassadrice déléguée aux investissements internationaux
Orange
Administratrice du groupe, présidente du comité de gouvernance et de responsabilité sociale
Danone
Directrice générale des ressources humaines, chargée également de l’innovation sociétale
Dassault Systèmes
Directrice générale adjointe, chargée de l’organisation, des ressources humaines et du développement durable
Ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle
Conseiller pour la formation auprès de la ministre du travail Martine Aubry
Ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle
Fonctions de direction régionale puis nationale
Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT)
Administratrice territoriale responsable de la formation du personnel territorial

Établissement & diplôme

Strasbourg
Diplôme de psychologie clinique
Paris
Diplôme de Sciences de l’Education
Paris
Diplôme d’Histoire

Fiche n° 22836, créée le 17/05/2017 à 15:47 - MàJ le 16/09/2024 à 18:42

Muriel Pénicaud lors des Worldskills Lyon 2024 -