Ne pas fidéliser pour être plus attractif : une solution aux difficultés de recrutement ?
Cela pourrait paraître contre-intuitif : lorsqu’on recrute, on a plutôt tendance à présenter une corbeille de mariée la plus emplie possible. S’inscrire dans le temps, rassurer, donner des perspectives paraît la moindre des choses si l’on veut retenir un candidat. Et si ce raisonnement n’était pas toujours adapté à la réalité de l’emploi ou du candidat ? Si, pour attirer, il était nécessaire d’annoncer que l’on ne retiendra pas ?
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Partir de la réalité des emplois
Avec près d’1,5 million de personnes qui se reconvertissent chaque année, environ deux millions de démissions, 800 000 licenciements et 500 000 ruptures conventionnelles, le marché du travail connaît de plus rapides et profonds changements que l’on pourrait le penser a priori.
Un turn-over moyen de 15 % dans le privé
Ces mouvements conduisent à un turn-over moyen de 15 % en 2023 dans le secteur privé, mais avec de fortes disparités selon la qualification - le turnover des ouvriers est le double de celui des cadres - et selon les secteurs, la palme revenant au commerce et à la distribution, à l’hôtellerie-restauration ou encore aux services aux entreprises pour les activités les moins qualifiés (propreté, sécurité, etc.).
Peut-on vraiment promettre une stabilité de l’emploi ?
Ces constats amènent à une conclusion : peut-on vraiment promettre, lors d’un recrutement, une stabilité de l’emploi pour des métiers à forte pénibilité ou aux conditions de travail exigeantes (horaires, localisation…), pour lesquels on constate que peu de salariés dépassent quelques années d’ancienneté dans le meilleur des cas ? C’est alors un jeu de dupe entre une promesse qui, soit ne sera pas tenue, soit sera considérée d’emblée comme non réaliste, les non-dits de départs n’étant pas la meilleure manière de débuter la relation.
Pour autant, il est rare qu’un recruteur annonce à un candidat qu’il est le bienvenu, mais qu’a priori la relation ne durera pas.
Et de la réalité des candidats
Des enquêtes récentes, notamment celle de l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) • Service à compétence nationale du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse • Création : 2015 (décret n° 2015-1771)• Activités : observatoire producteur de connaissances, centre de… de novembre 2023, montrent que les moins de 30 ans, davantage que les plus âgés, préfèrent parfois les engagements courts aux engagements de longue durée, jugés parfois « enfermants ». Il n’est pas certain que, pour nombre de candidats, la première attractivité de l’emploi tienne à la stabilité dans le temps plutôt qu’au niveau de rémunération, au sens du travail ou aux conditions de travail.
Une proposition qui pourrait faire sens
Pour les métiers qui présentent des limites à un engagement dans le temps, qu’il s’agisse de la possibilité de développer ses compétences, des conditions d’emploi, du niveau de rémunération, de la difficulté à évoluer dans le temps parce que la majorité des emplois sont identiques (entreprises à faible pluralité de métiers dans la propreté, les transports, le commerce, etc.), ne serait-il pas possible de mettre en avant, pour attirer les candidats, qu’un des intérêts de l’emploi est que l’on n’y restera pas, mais qu’il nous aura permis d’évoluer ?
Communiquer sur les compétences qui seront acquises
Certains secteurs, dans l’emploi à domicile ou dans le commerce, se sont posé la question : ne faudrait-il pas, pour pallier la pénurie de candidats, mettre en valeur ce que quelques mois ou quelques années dans le métier permettent d’acquérir et de développer comme compétences, et comment elles pourront ensuite être utilisées ailleurs. Autrement dit, avoir un discours de vérité qui serait : nous savons que vous ne resterez pas des années chez nous, mais votre passage vous sera utile pour l’après, même ailleurs. La traduction concrète, c’est qu’il faudrait identifier et rendre visible les valeurs ajoutées de l’emploi et les compétences qui seront acquises : si je m’occupe d’une personne dépendante pendant trois ans, comment je peux réinvestir dans d’autres emplois les compétences acquises ; si je suis conducteur de bus pendant cinq ans, qu’est-ce que je peux valoriser dans d’autres métiers ; si je suis vendeur en magasin pendant deux ans, quelles sont les opportunités qui me sont offertes ensuite, etc.
En d’autres termes, cela revient, pour une entreprise ou une branche, à inscrire son offre dans un parcours dont elle ne constitue qu’une étape. À charge pour elle de la valoriser au mieux.
La difficulté pour les métiers à forte culture
Pour avoir tenté cette démarche avec quelques secteurs, elle est, à l’évidence, particulièrement inaudible pour les branches à très forte culture métier qui ont l’impression, quelles que soient les difficultés de recrutement auxquelles elles sont confrontées, qu’elles dévaloriseraient leurs métiers avec un tel raisonnement. Il n’est effectivement pas simple, pour une branche, de reconnaître que son attractivité ne lui permet pas de garder les salariés. Mais peut-on continuer à nier la réalité : si le turnover est élevé, si les salariés partent et si on a du mal à en recruter, ne faut-il pas, à un moment, se rendre à l’évidence.
Des évolutions dans les mentalités mais également dans les dispositifs
Envisager un parcours entre différents emplois et valoriser les compétences acquises, c’est une politique acquise au sein d’une même branche professionnelle. C’est loin d’être le cas entre les branches professionnelles. Prenons l’exemple des certifications : les CQP valorisent le plus souvent les compétences spécifiques au métier et insistent sur la contextualisation des compétences. Ce qui est très bien pour préparer à l’emploi. Mais beaucoup moins pour permettre d’identifier au mieux ce qui est valorisable dans d’autres emplois. Certes, la relation de service client est différente lorsque l’on travaille au domicile d’un particulier, dans un restaurant ou un hôtel, ou dans un magasin de détail. Pour autant les fondamentaux ne sont-ils pas les mêmes ? L’essentiel n’est-il pas dans la capacité à s’adapter à autrui, à prendre en compte ses attentes et à avoir une attitude professionnelle ? Or, aujourd’hui, les référentiels de compétences et la commission de France compétences encouragent cette démarche, font davantage la part belle à la spécialité des compétences plutôt qu’à leur généralité, jugée trop imprécise.
Plutôt que de chercher des correspondances entre des certifications spécifiques, ne pourrait-on encourager, au contraire, les certificateurs à mettre en avant la transversalité des compétences qu’ils reconnaissent ?
Comme on le voit, il n’y a pas que les mentalités qui doivent bouger. Nos dispositifs sont peut-être encore trop articulés sur des logiques de filières et de métiers et ne prennent pas suffisamment en compte les besoins de mobilité professionnelle et le fait que, dans certains métiers, l’insertion est rarement durable.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40