« Pourquoi la modulation des NPEC pour les formations à distance ne sera sans doute jamais appliquée »
La loi de finances devrait être adoptée après l’engagement de la responsabilité du Gouvernement et l’absence prévisible de censure. De ce fait, la disposition permettant la modulation des NPEC pour les formations à distance sera applicable dès la publication du texte, après son passage devant le Conseil constitutionnel. Pour autant, l’entrée en vigueur du texte ne garantit pas l’entrée en vigueur de la mesure. On peut même parier sur une absence de mise en œuvre de la mesure.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Une mise en œuvre qui pourrait virer au casse-tête absolu voire au naufrage juridique
L’article L. 6332-14 du Code du travail prévoit que les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage (NPEC) sont déterminés par les branches professionnelles qui doivent prendre en compte les recommandations de France compétences
• Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019
• Gouvernance quadripartite…
. Ces taux peuvent être modulés selon des critères fixés par décret.
Le Code du travail citait, de manière non exhaustive, deux cas :
- lorsque l’apprenti est reconnu travailleur handicapé
- lorsqu’il existe d’autres sources de financement publics.
Sur le premier point, le décret du 26/11/2020 est intervenu pour déterminer les conditions dans lesquelles le NPEC peut être majoré jusqu’à 4 000 euros pour les apprentis bénéficiaires d’une RQTH lorsque le CFA justifie d’aménagements particuliers.
Sur le second point, aucun décret n’est intervenu alors qu’initialement une minoration pouvant atteindre 30 % du NPEC était envisagée pour les établissements déjà financés, principalement au titre de la formation initiale.
Le Gouvernement est donc invité à déterminer par décret des modulations du NPEC lorsque la formation comporte des modalités de formation à distance.
Ce texte appelle plusieurs remarques :
- La loi n’était pas nécessaire puisque l’article L. 6332-14 habilitait déjà le Gouvernement à fixer des critères de modulation des NPEC sans en donner une liste exhaustive. Le Gouvernement pouvait donc déjà faire ce que prévoit la loi de finances.
- Pouvoir n’est pas vouloir. Le décret prévoyant des modulations n’est pas impératif, comme le démontre l’absence de décret depuis six ans en matière de cofinancements publics. La loi pourrait donc n’avoir aucun effet si le Gouvernement décide que cette modulation n’est pas opportune.
- La loi ne prévoit que le principe de la modulation sans fixer le sens de celle-ci. Le texte de la loi de finances permet aussi bien une modulation à la hausse qu’à la baisse. Si l’on a bien compris que dans l’esprit des sénateurs à l’origine de la disposition, il s’agissait plutôt de minoration, le texte permet une variation dans les deux sens et les branches professionnelles pourraient prendre des décisions en ce sens pour peu qu’elles identifient des formations distancielles qui ont des surcoûts par rapport à des formations présentielles. L’hypothèse n’est pas absurde car tout dépend de ce que l’on entend par formation à distance.
- Alors qu’initialement étaient visées les formations 100 % à distance, le texte de loi vise les formations faisant appel à des modalités de formation à distance. La question de la définition des formations visées risque d’être un casse-tête.
- Quelle formation ne fait pas l’objet aujourd’hui, au moins pour partie, d’une possibilité de formation à distance : accès à des ressources, tutorat en ligne, groupes de travail distanciels, forums d’échanges, cours synchrones ou asynchrones, etc.
- Tracer une ligne de partage dans les pratiques pour isoler, et donc définir très précisément les formations concernées, ne sera pas mince affaire.
- Une fois ce travail réalisé, se posera la question du contrôle : comment l’OPCO pourra-t-il vérifier si la formation comporte, et dans quelle proportion, des modalités distancielles la faisant entrer dans le périmètre ? Ce contrôle sera bien compliqué a priori et ne pourra reposer que sur du déclaratif qu’il faudra ensuite vérifier avec potentiellement des milliers de formations concernées (toutes celles qui n’auront pas identifié le distanciel visé tout en le pratiquant…). Sans compter sur les débats portant sur l’appréciation des critères retenus pour définir la formation à distance ou sur les mesures prises pour se trouver juste de l’autre côté de la frontière.
- Il ressort des travaux d’analyse des comptabilités des CFA par France compétences que le critère « formation distancielle » n’est pas une variable forte dans l’explication des coûts de production du CFA. Comment alors France compétences va-t-elle procéder pour établir des recommandations prenant en compte ce critère, s’il venait à être défini ? Il faudrait d’ailleurs que l’analyse croise les études de coûts avec les critères retenus pour définir les formations à distance concernées. Or une telle corrélation est impossible aujourd’hui au vu des données disponibles.
- Même si les marges de manœuvre des branches sont minimes, elles n’en sont pas moins, dans le système actuel, réelles.
- Or comment une branche pourra justifier des différences de financement entre tel et tel cursus sans tomber dans l’arbitraire ou la décision injustifiée ?
- L’apprentissage est devenu un marché, ce qui est souvent oublié, et les CFA s’estimant lésés, victimes d’arbitraire ou d’un conflit d’intérêts (pour les organismes relevant des branches professionnelles qui fixent les NPEC) pourraient contester juridiquement une éventuelle minoration de taux.
- Face aux enjeux financiers, les partenaires sociaux seraient avisés de sécuriser leurs décisions faute de voir ces décisions mises en cause voire leur partialité être questionnée devant les tribunaux.
Si l’on résume : rien n’oblige le Gouvernement à agir, s’il avait voulu le faire il n’avait pas besoin de la loi, France Compétences ne dispose pas d’éléments précis pour objectiver ses recommandations sur le sujet, les partenaires sociaux devraient y réfléchir à deux fois avant de décider et en tout état de cause le contrôle de la réalité par les OPCO s’avère relever de l’usine à gaz. Bon courage à tous !
Une loi qui risque d’être rapidement dépassée
Le sujet de la refonte du système de détermination des NPEC est sur la table depuis longtemps. Le constat d’un système illisible et complexe et de ce fait peu légitime et aboutissant à des incohérences notables (nous avons ici même fait état de 50 % d’écart sans justification entre des diplômes de même niveau conduisant au même métier) est aujourd’hui admis par tout le monde ou presque.
La réflexion sur l’évolution du dispositif se fait autour de deux pistes : celle d’un NPEC pivot avec plus de latitude laissée aux branches professionnelles et celle d’un financement à tiroirs dans lequel l’Etat assurerait un socle et les branches et entreprises apporteraient des compléments.
Cette réflexion doit normalement aboutir dans l’année pour donner lieu à une nouvelle révision générale pour 2026, France Compétences ayant d’ores et déjà annoncé une révision partielle des NPEC pour la rentrée 2025.
Comment mettre en place un système spécifique aux formations à distance dans le système actuel, alors qu’on est déjà en train d’envisager un système nouveau ?
Le plus sage dans ce domaine serait sans doute d’intégrer, s’il y a lieu, la question des formations à distance, dans le nouveau système. Ce qui rend inutile un décret précipité sur des bases chaotiques aujourd’hui, et permettra sans aucun doute de vérifier, quel que soit le système retenu, que l’entrée par la modalité présentielle, distancielle ou hybride n’est vraiment pas la plus pertinente.
Et voilà pourquoi nous estimons que la disposition adoptée dans la loi de Finances a très peu de probabilités d’avoir une traduction pratique.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/02/2025 à 18:44