Il n’y a pas de droit à l’apprentissage (Jean-Pierre Willems)
Nombre de jeunes ne trouveront pas le contrat d’apprentissage souhaité en cette rentrée 2025 et devront peut-être réviser leurs projets, voire les abandonner purement et simplement. Nombre de CFA n’auront pas l’effectif d’apprentis attendu ou espéré cette année. La faute au ralentissement économique, à la baisse générale des recrutements (et pas que des recrutements d’apprentis). Ce qui nous rappelle ce que l’on oublie parfois un peu trop vite : que l’apprentissage est avant tout un recrutement et qu’il n’est pas un dispositif de formation comme les autres.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
L’apprentissage, c’est d’abord un recrutement
Au regard des vertus de l’apprentissage qui offre un contrat de travail, une formation gratuite, un salaire, une expérience et un diplôme, on comprend qu’il ait rapidement trouvé son public après que la loi du 05/09/2018 a fait sauter quelques verrous à son développement. Il n’est pas certain toutefois que cette croissance ne se soit pas effectuée en occultant la dimension spécifique de l’apprentissage, phénomène renforcé par le fait que nombre d’écoles et établissements centrés jusque-là sur la formation initiale sous statut d’élève ou d’étudiant ont fortement augmenté les places offertes en apprentissage. Et laissé par là même entendre que l’on était admis dans un cursus « en tant qu’apprenti ». L’utilisation sans mesure du vocable alternant, qui est un fourre-tout ne renvoyant jamais qu’à un processus de formation associant entreprise et établissement de formation, vient ajouter à la confusion.
On ne devient apprenti qu’avec un contrat de travail »Car on ne devient apprenti qu’avec un contrat de travail. S’il est possible d’intégrer un cursus pendant trois mois avant de conclure un contrat d’apprentissage, on reste pendant ce laps de temps « stagiaire de la formation professionnelle » (Code du travail, art L. 6222-12-1).
Il faut d’ailleurs ici procéder à une distinction, fondamentale au plan juridique mais pas toujours claire pour les étudiants, voire pour ceux qui les conseillent :
- Il est possible de s’inscrire en formation initiale sous statut étudiant avec l’accord de l’école pour basculer en apprentissage à n’importe quel moment. Dans ce cas, l’étudiant peut rester redevable des mois passés en formation, la réglementation de l’apprentissage ne s’applique pas ;
- Les candidats à l’apprentissage inscrits en tant que stagiaires de la formation professionnelle ne sont pas apprentis. Le principe de gratuité de l’apprentissage n’est pas applicable. En revanche, dès lors qu’un contrat est conclu dans les trois mois du début du cycle de formation, d’éventuels frais versés par le postulant doivent être remboursés, le droit de l’apprentissage s’appliquant y compris rétroactivement puisque la période de formation antérieure au contrat sera financée par l’Opco.
Il en résulte que si le postulant n’a pas conclu un contrat au terme des trois mois, il peut rester redevable de coûts de formation, le droit de l’apprentissage ne s’appliquant pas.
C’est d’ailleurs la solution retenue par la proposition de loi déposée par Emmanuel Grégoire et dont les vicissitudes politiques n’ont pas à ce jour permis l’adoption définitive qui prévoit que sont interdites les clauses prévoyant « le non-remboursement des frais demandés au postulant à l’apprentissage lorsqu’un contrat d’apprentissage est conclu dans la durée de trois mois prévue à l’article L. 6222121 ». Ce qui confirme a contrario que le remboursement n’est pas une obligation lorsqu’aucun contrat n’est conclu dans un délai de trois mois.
Tout ceci est logique : le statut d’apprenti n’est pas conféré par le CFA mais par l’entreprise. Ce qui amène à un second constat : ce ne peut être le projet du jeune qui est premier dans l’apprentissage. C’est nécessairement le besoin de l’entreprise et le fait qu’elle est prête à recruter. Autrement dit, il n’y a pas de droit à l’apprentissage, celui-ci étant toujours conditionné par la décision d’une entreprise de recruter, ce qu’elle est toujours libre de faire, ou pas.
Au-delà des questions statutaires, le fait que l’apprentissage soit conditionné par un recrutement lui confère également la nature de dispositif sélectif : seuls ceux qui sont recrutés deviennent apprentis. La barrière de l’emploi est parfois trop haute pour certains jeunes. Si le dispositif du préapprentissage a pu être une solution, sa suppression pour raisons budgétaires rend plus complexe l’entrée en apprentissage de jeunes éloignés de l’emploi et conditions indispensables à l’embauche. Attention à ne pas renforcer la dimension sélective de l’apprentissage si l’on veut que celui-ci joue un rôle encore plus important en matière d’égalité des chances.
Pour les CFA, la question des cycles économiques
L’activité économique est sujette à des cycles dans lesquels s’enchaînent les périodes fastes et celles qui sont plus compliquées. Par ailleurs, l’évolution des activités, des organisations et des technologies déplace les besoins de compétences. L’activité d’un CFA, contrairement à une activité de formation initiale sous statut d’élève ou d’étudiant, est dès lors conditionnée par un ajustement perpétuel entre l’offre qu’il propose et les recrutements que les entreprises sont disposées à réaliser.
Ce qui présente deux difficultés :
- La première est celle de maintenir des cycles à faibles effectifs pendant les périodes de creux, pour avoir un cursus susceptible d’accueillir des promotions plus fournies lorsque le marché de l’emploi sera plus favorable pour le ou les métiers concernés ;
- La seconde est d’avoir une agilité suffisante pour évoluer au rythme du marché du travail, qui connaît parfois des inflexions brutales.
C’est sans doute une des limites de la loi du 05/09/2018, dotée par ailleurs de bien des vertus. Alors que la régulation par les conseils régionaux incluait un mécanisme « parachute » de financement des déficits avant éventuellement de fermer un cursus, le financement à l’unité et quantitatif de l’apprentissage peut conduire à des choix de fermeture rapide de cursus déficitaires, alors même que l’on traverse un creux cyclique.
Et l’on voit bien que le modèle de fonctionnement d’un CFA ne peut être celui d’une école dont l’alimentation dépend davantage de la démographie que de l’économie. Pour la seule raison qu’il n’y a d’apprentissage que lorsqu’une entreprise recrute et que, pour cela et quelques autres raisons, l’apprentissage ce n’est pas de la formation.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/10/2025 à 16:28