Le travail empêché, nouveau mal du siècle ? (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°411698 - Publié le
©  Seb Lascoux
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Risques psychosociaux, stress, mal-être au travail, burn-out… Les mots s’empilent, souvent abusivement tenus pour synonymes, pour décrire les effets d’une situation de travail insatisfaisante. Notre conviction est que si l’on met à part ce qui relève strictement de la relation entre deux personnes, le véritable problème est le travail empêché.

L’empêchement peut venir d’un manque de moyens ou de ressources, c’est un moindre mal. Il peut également être produit par le décalage existant entre la conception qu’a le salarié de ce qu’est un bon professionnel et la manière dont l’entreprise lui demande de travailler. Ce qui est beaucoup plus difficile à résorber, et souvent même insoluble.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Le travail empêché, source de stress

Le stress est défini comme un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face (ANI du 02/07/2008 relatif au stress au travail).

Les ressources en question peuvent être extérieures à la personne et relever de l’organisation, comme le manque de temps, de budget, de soutien, d’outils ou encore de délégation de capacités de décisions, ou lui être inhérentes lorsqu’il s’agit notamment d’un manque d’expérience ou de compétences pour exercer correctement ses missions.

La problématique est très proche de celle de la compétence »

Le travail est donc empêché par défaut de moyens adéquats qui peuvent être mobilisés. La problématique est très proche de celle de la compétence : si la performance d’un salarié est insuffisante, avant de le mettre en cause il faudra vérifier si l’entreprise a correctement défini les objectifs notamment en vérifiant si l’environnement externe n’est pas empêchant, a fourni des moyens adaptés et a vérifié que le salarié disposait bien des ressources nécessaires, en termes de compétences, pour exercer ses activités. Si tel n’est pas le cas, l’insuffisance professionnelle ne peut être établie, l’entreprise ayant une responsabilité première dans l’organisation du travail.

Cette problématique propre à la performance du salarié peut donc être étendue aux questions de santé au travail. On rappellera la décision de la Cour de cassation du 19/09/2013  qui a retenu la responsabilité de Renault dans le suicide d’un salarié dont les juges ont estimé qu’il n’avait pas été suffisamment accompagné dans ses nouvelles fonctions et laissé pendant plusieurs mois en situation d’échec.

Il est de la responsabilité de l’entreprise de veiller à ce que tous les salariés soient placés dans un confort de travail suffisant et ne soient pas en situation de ne pouvoir réaliser leur mission.

Malgré le tragique exemple cité plus haut, cette situation ne présente pas de complexité dans sa gestion. Si les parties peuvent ne pas s’accorder sur les moyens nécessaires, il n’en reste pas moins que le travail est empêché par défaut de ressources et n’est pas contesté dans sa finalité ou ses modalités, ce qui rend l’affaire plus complexe.

Le travail empêché, source de mal-être

Dans ce cas de figure, ce n’est pas la réalisation de l’activité qui est en cause, elle est possible. En revanche, il y a un décalage entre ce que l’entreprise demande au salarié de réaliser, la finalité du travail ou ses modalités, et la conception que se fait le salarié du travail d’un bon professionnel. Autrement dit, le salarié va considérer que ce qu’on lui demande est contraire à ses valeurs ou son honneur professionnel. Prenons quelques exemples :

  • Une banque crée un nouveau produit financier et demande à ses agences de le commercialiser, avec des objectifs quantitatifs. Un directeur d’agence considère que le produit n’est pas adapté à sa clientèle, par ailleurs fidèle, et qu’il n’est pas possible de proposer ce produit qu’il estime sans qualité. Il fait valoir que l’activité commerciale consiste à vendre des produits adaptés répondant aux besoins des clients, on lui répond que l’activité commerciale consiste à vendre beaucoup ;
  • Une aide-soignante fait la toilette de personnes malades dans un établissement de santé. Elle converse avec les patients pendant la toilette et contribue à les maintenir actifs. Elle crée une qualité de relation qui influe positivement sur le mental des personnes. Son responsable lui reproche de passer trop de temps à chaque toilette et de ne pas respecter les délais. Il lui indique qu’elle n’est pas psychologue et que son travail est avant tout de veiller à l’hygiène corporelle.

Dans les deux cas, le salarié peut avoir le sentiment de perte de sens de son travail, de détérioration de la relation avec les clients ou patients et de dévalorisation personnelle puisque la valeur ajoutée tenant à la qualité de la relation établie est niée par sa hiérarchie. Pourtant l’entreprise ne commet aucune faute vis-à-vis des salariés : elle n’exige rien d’illégal et fait des choix qui relèvent de ses responsabilités d’employeur.

Il ne s’agit pas simplement d’une question de ressources, mais de conception même du travail »

Si la situation perdure, le salarié peut être envahi par le mal-être, venir travailler à reculons ou avec angoisse, se sentir comme un pion dans l’organisation et au final être malade.

Le problème est qu’il ne s’agit pas simplement d’une question de ressources, mais de conception même du travail tant dans sa finalité que dans ses modalités. La solution est donc autrement plus difficile à mettre en place. La plus adéquate serait sans doute la séparation : quand les attentes des salariés et les demandes de l’entreprise sont à ce point divergentes, il est difficile de penser qu’elles pourront reconverger rapidement.

Dans une telle situation, la séparation serait sans doute l’inévitable solution. Sauf que de multiples contraintes peuvent la rendre inenvisageable pour le salarié qui va demeurer dans une situation insatisfaisante, sans solution d’évidence. Avec un mal-être grandissant qui peut à terme avoir de graves conséquences sur le plan de la santé. Car nous sommes dans une situation dans laquelle chacun peut s’estimer légitime : le salarié qui considère que les valeurs ne se négocient pas, sinon ce ne sont plus des valeurs, et que sa conception du bon professionnel et du sens au travail doit primer, et l’entreprise avec sa logique propre qui va considérer qu’elle a à organiser une activité avec ses champs de contraintes propres et qu’elle ne peut prendre en compte tous les souhaits des salariés, surtout quand ils remettent en cause son organisation.

Conclusion

Bien plus que le management toxique ou les tribulations des pervers narcissiques, il nous semble que le mal-être exprimé par les salariés au travail exprime non pas un rejet, et encore moins un refus du travail, qu’un niveau d’exigence sur la qualité du travail et une conception « honorable » du travail au sens défini par Philippe d’Iribarne dès 1989. Ce qui expliquerait que le mal-être au travail soit plus important en France qu’ailleurs, mais nous laisserait également moins de solutions pour en sortir. Le travail empêché, nouveau mal du siècle ? Peut-être, mais assurément un mal français.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/10/2025 à 16:28

©  Seb Lascoux
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