Le rapport au travail aurait changé mais pas le rapport à la formation ? (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°410906 - Publié le
©  Seb Lascoux
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Depuis la crise du Covid, on ne compte plus le nombre d’études, de rapports, d’articles, de témoignages sur le changement du rapport au travail et sur la quête ou la perte de sens, sur les mutations des formes du travail ou encore sur l’évolution des attentes des candidats à un emploi.

Mais on cherchera en vain un travail de fond sur l’évolution corrélative du rapport que chacun entretien avec la formation, et plus largement le développement de ses compétences.

Est-il possible que le rapport au travail se transforme et que parallèlement le rapport à la formation lui n’évolue pas ? Non, bien sûr. Et cette évolution nous semble avoir quatre dimensions qui questionnent la valeur d’usage de la formation, sa personnalisation, l’expérience vécue et la distinction délivrée.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Quatre dimensions qui questionnent la valeur d’usage de la formation, sa personnalisation, l’expérience vécue et la distinction délivrée

  • La valeur d’usage

Historiquement, la formation trouvait sa valeur en elle-même : nimbée de l’aura positive de l’éducation, elle est dotée d’un signe positif en tant que telle. Se former est une activité noble, parfois d’ailleurs d’autant plus noble qu’elle se distingue du vil travail. On notera comment aujourd’hui encore le travail est associé à la souffrance, au burn-out, aux risques psychosociaux, au travail « empêché », aux « bullshit jobs », etc. Alors que la formation émancipe, autonomise, fait évoluer et grandir.

Si cette représentation idyllique, quasi édénique, de la formation demeure, elle est toutefois mise en cause de deux manières :

  • Par la formation prescriptrice qui apporte de la compétence normée et loin de développer l’autonomie au travail enferme au contraire dans des process appris qu’il s’agirait de reproduire sans plus avoir à y réfléchir. La formation n’est alors que l’instrument de la normalisation de l’activité. Elle devient susceptible de générer le même rejet ;
  • Par le développement d’attentes qui se déplacent du produit vers la valeur d’usage. Se former c’est bien, mais pour quoi faire ? Autrement dit, à quoi va m’être utile la formation, tant d’ailleurs dans le champ professionnel que dans la sphère personnelle : la porosité toujours plus prononcée entre le temps de travail et le temps personnel se retrouve en matière de formation, notamment dans le cadre des formations aux relations interpersonnelles, trop facilement dénommées « formations de développement personnel ». Mais pas seulement : la maîtrise des outils technologiques et particulièrement la maîtrise de l’IA sont rarement sans effet au plan personnel.

Cette évolution sur les attentes trouve une traduction dans les textes. Alors que la définition de l’action de formation a longtemps été centrée sur le programme, donc le contenu de la formation, elle est aujourd’hui exclusivement bâtie autour des objectifs et donc de la finalité de la formation. Notons que les pratiques n’ont pas toujours suivi, que les évaluations continuent à porter majoritairement sur le produit et non sur son usage et que l’offre de formation gagnerait sans doute à être plus explicite sur ce que la formation permet de réaliser plutôt que sur ce qu’elle propose.

  • La personnalisation

C’est un constat qui dépasse largement le champ de la formation : la perte des repères collectifs traditionnels associée à une plus grande individuation, au sens jungien, a eu pour conséquence la croissance d’une demande de reconnaissance personnelle, individuelle parfois exacerbée, que l’on pourrait résumer d’un « être reconnu pour soi-même ».

L’individualisation des pratiques de gestion des ressources humaines a largement accompagné cette évolution, quand elle ne l’a pas précédée voire encouragée.

Cette exigence d’être considéré et pris en compte personnellement dans la formation s’exprime d’ailleurs parfois en réaction à un travail anonymisé, normalisé et soumis à de multiples process niant la réalité de l’individu confronté à la réalisation de son activité. Elle peut conduire à un rejet des formats standardisés, des formations descendantes et des formateurs qui ont des difficultés à s’adapter à leur auditoire ou qui peinent à arbitrer entre les exigences du client commanditaire et les attentes des participants.

Donner le temps de s’exprimer sur sa situation, sur son quotidien, sur ses doutes et sur ses souhaits ou ambitions est un temps nécessaire, y compris dans des formations techniques, pour répondre à la demande des participants. Ce qui suppose que subsiste dans la formation la qualité artisanale qui permet de ne pas livrer un produit préfini mais de modeler jusqu’au dernier moment le contenu et les modalités pour qu’elles permettent à chacun de s’y reconnaître. Elle suppose également que, compte tenu de la grande disponibilité de ressources en tous domaines accessibles à chacun, le formateur accepte d’être challengé par les expériences, outils ou méthodes que les participants auront déjà expérimentés par eux-mêmes. Le rôle de l’expert légitimé par son parcours décline rapidement au profit d’un expert agile, à l’aise dans la confrontation et capable de ne pas voir une remise en cause personnelle de son discours ou de ses pratiques.

  • L’expérience singulière

Il ne vous est pas proposé de venir en formation mais de vivre une expérience »

Vous l’avez sans doute constaté dans certaines publicités : il ne vous est pas proposé de venir en formation mais de vivre une expérience. Celle-ci peut se concrétiser dans le ou les lieux dans lesquels vous allez travailler, dans les personnes que vous aurez l’occasion de rencontrer, par les modalités qui vous seront proposées, les outils que vous pourrez utiliser ou encore les découvertes que vous pourrez faire. Différenciation du produit, certes, mais également une autre manière de vous distinguer et de vous singulariser, donc de vous reconnaître. Vous allez vivre ce que tout le monde ne vit pas, faire partie des happy few qui y ont accès et pouvoir témoigner d’une expérience unique, ou supposée l’être.

Certes, encore faut-il que la promesse soit tenue. Mais la qualité de l’expérience vécue pas exclusivement en termes d’efficacité pédagogique mais également en termes de distinction est une exigence montante du champ de la formation continue mais également de l’apprentissage lorsqu’on propose à des jeunes d’intégrer un cursus et un campus ou une communauté.

  • La distinction

Le besoin d’être distingué ne s’exprime pas seulement dans la personnalisation de la prestation ou de l’expérience vécue : il réclame l’officialisation de la reconnaissance sous la forme de la certification.

Il ne faut pas sous-estimer la demande profonde des individus »

On peut expliquer la prolifération des diplômes, titres, certifications, badges, labels et autres marques de reconnaissance par un tiers de ses compétences par la volonté de réguler le marché du travail, de rendre lisible les compétences, de les valoriser voire de les sélectionner.

Mais il ne faut pas sous-estimer la demande profonde des individus (et leurs craintes également) de disposer de ces brevets de compétences qui montreront à tous qu’ils sont qualifiés, compétents, reconnus, validés.

Si les dispositifs de financement de la formation s’articulent très majoritairement aujourd’hui sur l’offre de formation certifiante, avec une équation peut être un peu rapide selon laquelle la qualité des certifications serait sous contrôle, ce n’est donc pas uniquement par facilité pour les financeurs mais également en réponse à la demande sociale de reconnaissance.


Conclusion

S’il devait y avoir un seul mot pour résumer les mutations de la demande sociale vis-à-vis de la formation, ce pourrait être celui-ci : reconnaissance. Me reconnaître en tant que personne dans le processus de formation, prendre en compte mes valeurs d’usage personnelles et pas exclusivement celles qui ont été prédéfinies, me faire vivre une expérience valorisante et certifier aux yeux de tous la compétence que je possède. Me permettre de me reconnaître et d’être reconnu.

C’est à cette aune que, quels que soient les questionnaires que vous avez élaborés, vous serez évalué si vous êtes formateur. Pas simple de satisfaire une telle exigence de reconnaissance personnelle, et pourtant il semble que ce soit notre chemin pour quelques années.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/10/2025 à 16:28

©  Seb Lascoux
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