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Formation professionnelle : « Changer les critères d’analyse du marché » (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°346629 - Publié le 04/12/2024 à 11:10
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

« Dans les analyses publiques du marché de la formation professionnelle, deux critères principaux sont utilisés pour les organismes de formation : le statut de l’organisme et le chiffre d’affaires. Or ce sont deux critères dépourvus de pertinence qui ne permettent pas d’appréhender la nature des organismes de formation, la composition du marché et ses dynamiques. Une autre analyse est possible, à partir de critères existants ou qu’il serait opportun de mettre en place. »

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Deux critères sans pertinence : le statut et le chiffre d’affaires

Tant les analyses réalisées par la Dares • Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail• Création : 1993• Missions : Éclairer le débat public en publiant des données ou des analyses… dans le cadre du jaune formation professionnelle , que celles du Céreq • Établissement public qui dépend du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et du ministère du Travail.• Création : 1971• Missions :- Construire des… sur le marché de la formation , mettent en avant le statut des organismes de formation et le chiffre d’affaires réalisé. Pourtant ces deux critères distinctifs n’apportent aucune valeur ajoutée dans la compréhension du marché de la formation et des dynamiques qui le traversent.

Concernant le statut, le jaune budgétaire distingue quatre catégories :

  • les micro-organismes ou organismes individuels,
  • les privés à but non lucratif,
  • les privés à but lucratif,
  • les organismes publics et parapublics.
Le statut associatif a tant d’usages différents qu’il est un bien trop minuscule dénominateur commun »

Cette segmentation a le premier défaut de regrouper des catégories très hétérogènes et très arbitraires. Par exemple, dans le privé à but non lucratif, on retrouvera à la fois des associations reconnues d’intérêt public, des associations paritaires, des organismes à statut associatif mais liés à une organisation patronale, des CFA d’entreprises, des associations ayant des activités principales dans le domaine éducatif, social, culturel, artistique… mais ayant une activité plus ou moins complémentaire de formation, ou encore des associations fiscalisés, mais également des fondations ou des ONG, etc.). Quel est le sens d’agglomérer les résultats de ces structures en laissant penser qu’elles auraient quelque ressemblance entre elles ? Le statut associatif a tant d’usages différents qu’il est un bien trop minuscule dénominateur commun.

Concernant les privés à but non lucratif, nous retrouverons aussi bien de grands groupes d’enseignement et de formation que des entreprises ayant une activité de formation de leurs clients ou de leur réseau ou de leurs filiales ou encore des entreprises à mission ou des GIE. Pour ne pas parler des groupes dans lesquels cohabitent des structures commerciales et des structures associatives. Autant de configurations, autant de raisons d’être et autant de stratégies différentes.

Enfin, dans le public et parapublic, nous allons retrouver des établissements éducatifs (EPLE, universités…), mais également des établissements publics ayant des finalités diversifiées (AFPA, chambres consulaires, établissements publics sous tutelle ministérielle, ou encore collectivités locales dont plusieurs gèrent en direct des CFA, etc.).

Le statut ne délivre aucune information utile par rapport à l’activité de formation »

Comme on peut le constater, ce n’est pas le statut qui peut nous renseigner sur la stratégie de l’organisme de formation, la détermination et l’évolution de son offre, son modèle économique, ses moyens de développement, sa capacité d’innovation, etc. Le statut ne délivre en fait aucune information utile par rapport à l’activité de formation.

Le critère du chiffre d’affaires, qui pourrait permettre de segmenter par la taille, n’est pas plus pertinent. Un organisme de formation qui réalise 4 millions d’euros de CA et dont la formation est la seule activité ne peut avoir une identité de stratégie, de positionnement ou de modèle économique que le CFA d’un grand groupe qui réalise 7 millions d’euros de CA lesquels ne constituent qu’une goutte d’eau par rapport au CA total de l’entreprise.

Comme on le perçoit, la question principale n’est ni celle du statut ni celle du CA, mais alors existe-t-il un ou des critères pertinents pour appréhender le marché de la formation ?

Deux critères complémentaires et hautement pertinents : le pourcentage d’activité en formation et la nature de l’activité complémentaire

Il est surprenant qu’un indicateur figurant dans les bilans pédagogiques et financiers soit systématiquement ignoré et ne soit pas pris en compte pour analyser le marché de la formation. Il s’agit du pourcentage que représente l’activité de formation par rapport aux autres activités de l’organisme.

Cet indicateur doit être renseigné par les organismes de formation et il pourrait permettre de distinguer trois catégories d’organismes :

  • Ceux dont l’activité de formation et d’apprentissage représente 80 % ou plus de l’activité globale. Autrement dit, les organismes qui ont la formation comme activité exclusive ou quasi-exclusive avec une possibilité réduite d’absorber d’éventuelles pertes sur le champ de la formation et partant une forte exposition aux évolutions du marché ;
  • Ceux dont l’activité de formation représente plus de 20 % et moins de 80 % de l’activité globale. Ces organismes ont une activité de formation « moyenne » qui peut s’équilibrer avec une ou plusieurs autres activités. Dès lors, le positionnement sur le marché et l’impact des évolutions de ce marché sur son activité et son existence ne sont pas les mêmes que pour un organisme plus exposé ;
  • Ceux dont l’activité de formation, quel que soit son volume, est inférieure à 20 % de l’activité globale de l’entité. Pour ceux-là, la stratégie de l’organisme de formation risque d’être étroitement liée aux choix stratégiques effectués sur les activités principales. Autrement dit, ce sont des facteurs exogènes au marché de la formation qui risquent d’influer majoritairement sur l’activité de la structure.

Nous aurions une meilleure appréhension du marché si nous pouvions identifier les parts respectives représentées par chacune de ces catégories, les domaines de formation sur lesquels elles sont positionnées, l’évolution du nombre d’organisme dans chacune des catégories, le croisement entre ces trois catégories et les trois marchés de la formation : l’apprentissage, la formation continue de tiers payant (achat de formation continue avec des fonds publics ou mutualisés) et le marché libre (achat par des entreprises et particuliers sur leurs fonds propres).

La seule prise en compte de la nature et des résultats de l’entité porteuse nous livre une vision très biaisée de la réalité »

Il faudrait en plus tenir compte du fait que les BPF (bilans pédagogiques et financiers) sont réalisés au niveau du Siren porteur de la déclaration en tant qu’organisme de formation. Dès lors, pour les organismes rattachés à une des structures d’un groupe, la seule prise en compte de la nature et des résultats de l’entité porteuse nous livre une vision très biaisée de la réalité. Il serait dès lors pertinent de rajouter dans le BPF la mention relative à l’appartenance, ou non, à un groupe et de peser le poids relatif de la formation pas seulement par rapport à l’entité support mais également par rapport au groupe.

Le critère de la nature des activités auxquelles la formation est adossée

Cette information ne figure pas, à date, dans les bilans pédagogiques et financiers, mais elle pourrait être utilement rajoutée. Pourquoi ? Parce qu’il serait fort intéressant de pouvoir identifier, pour les entités (ou les groupes) à activités multiples, s’il s’agit d’une activité de formation initiale, ce qui caractériserait un organisme ayant certes des activités différents (formation initiale, apprentissage, formation continue…) mais de même nature, ou s’il s’agit d’activités totalement distinctes (activités artisanales, industrielles, commerciales, libérales, de prestation de services, etc.) et donc avec des synergies de nature très différentes que pour les établissements d’enseignement.

On comprend aisément que l’intérêt de la formation pour un fabricant de menuiseries aluminium qui forme ses sous-traitants à la pose, pour un fabricant de machines onéreuses qui forme ses clients pour accompagner leur lourd investissement, pour une ONG qui forme son réseau de bénévoles ou pour un franchiseur qui forme son réseau de franchisés n’est pas tout à fait de même nature que pour un établissement d’enseignement qui complète son activité par le recours à l’apprentissage et à la formation continue.

La réalité n’est jamais que la représentation que l’on construit

Aucun indicateur n’est neutre et surtout pas ceux qui peuvent paraître comme évident. Ne plus se questionner sur la nature et la qualité du thermomètre que l’on utilise, c’est se condamner à reproduire des analyses faites d’a priori et de représentations peut être obsolètes.

Indispensable de cesser d’analyser les organismes de formation par rapport à leur statut ou par rapport à leur taille »

Or il nous semble que si l’on veut comprendre le marché de l’apprentissage et celui de la formation continue, il est indispensable de cesser d’analyser les organismes de formation par rapport à leur statut ou par rapport à leur taille (nous avons ici considéré le CA mais il en irait de même si l’on retenait le nombre d’apprentis ou de stagiaires) pour appréhender leur positionnement à partir de l’exclusivité, ou non, de leur activité, leur rattachement, ou non, à un groupe aux activités diversifiées et la nature, par grandes catégories, de ces activités. C’est la condition pour ne plus avoir une appréhension purement administrative et sans valeur ajoutée du marché mais pour en comprendre le fonctionnement économique et les transformations.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40


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©  Seb Lascoux
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