Cinq conditions pour développer un apprentissage de qualité (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°324153 - Publié le 07/05/2024 à 10:00
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Jean-Pierre Willems - © News Tank.

Le débat sur le coût de l’apprentissage devait bien finir par se déplacer sur le terrain de la qualité. Le détour par la ou les dérives de circonstances, telles que pointées par l’émission Complément d’enquête diffusée le 25/04/2024 (« À qui profite les milliards de l’apprentissage ? ») n’était d’ailleurs pas vraiment utile et ne fait que brouiller les pistes. Le vrai enjeu est ailleurs : lorsque l’État  (rappelons que la contribution formation et la taxe d’apprentissage sont des impôts dont la loi fixe l’utilisation et non des ressources privées) investit  légitimement et massivement dans un dispositif d’éducation, il est logique qu’il s’attache à la qualité des actions mises en œuvre. Encore faut-il qu’il définisse clairement ce qu’est cette qualité et qu’il indique aux acteurs ce qu’il attend en contrepartie de son financement.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Condition 1 : Dissocier la légalité et la qualité

En confiant à Qualiopi le soin de réguler le marché de la formation et en supposant que des processus « qualité » pouvaient jouer un rôle réglementaire, un péché originel a été commis dont il est bien difficile de s’affranchir.

Dans aucun autre domaine, légalité et qualité sont à ce point mêlés que l’on ne sait plus très bien qui fait quoi et pourquoi.

Prenons un exemple : il y a, en France, des restaurants étoilés, des restaurants non étoilés et des restaurants qui ne respectent pas les règles d’hygiène. Que ces derniers doivent fermer ne pose guère de problème de principe. Mais il ne viendrait à l’idée de personne que ce soient les mêmes acteurs et les mêmes procédures qui doivent être utilisés pour attribuer les trois étoiles et pour décider des fermetures. 

En matière de formation, il y a trois niveaux :

  • Le contrôle de légalité, qui relève certes des autorités de la formation, mais également du droit de la consommation voire du droit pénal, sans avoir forcément besoin d’empiler les textes spécifiques à la formation. Une escroquerie en matière de formation est avant tout une escroquerie ;
  • Le contrôle financier, qui relève de la responsabilité des acheteurs (tous les financeurs de la formation) et de l’exécution des contrats. C’est une responsabilité contractuelle ;
  • Le contrôle qualité, qui doit relever de processus propres à la qualité et n’avoir d’autre objet que de distinguer les prestations de qualité sur la base de référentiels spécifiques.

Tant que l’on mélangera allègrement ces trois dimensions, il est illusoire de penser que nous pourrons y voir plus clair sur le marché de la formation et nous continuerons à alimenter préjugés, confusions et jugements hâtifs. Rien de rigoureux ne peut sortir d’un système lui-même confus.

Condition 2 : Dire ce que l’on souhaite le plus clairement possible

On peut toujours discourir de la qualité de l’apprentissage si elle n’est définie nulle part. Chacun aura bien, en fonction de l’institution à laquelle il appartient, voire de ses intérêts propres, une conception de la qualité qui lui paraîtra toujours plus légitime que celle d’autrui. Ce qui garantit des débats sans fin et surtout sans intérêt.

Il revient à l’État, pour un dispositif d’intérêt général et qui implique autant d’acteurs, de créer le débat sur la qualité de l’apprentissage et d’arbitrer sur les quelques critères qui permettront de la matérialiser.

Les juristes savent qu’à défaut de définition de qualité, les concepts peinent à trouver une application opérationnelle et ne sont générateurs que de confusion. La qualité n’échappe pas à cette règle.

Aujourd’hui, l’apprentissage est essentiellement évalué sur deux critères : le taux d’accès au diplôme et le taux d’insertion. C’est trop peu pour définir la qualité de l’apprentissage, d’une part parce que cela ne porte que sur des résultats qui peuvent relever d’autres facteurs que l’apprentissage, d’autre part parce que ce ne sont pas des indicateurs propres à l’apprentissage, mais qu’ils peuvent concerner tout dispositif de formation.

On pourrait s’appuyer sur les 14 missions des CFA, qui définissent les spécificités de l’activité de CFA par rapport à un organisme de formation, mais encore faudrait-il donner une traduction concrète, en termes de résultats effectifs, pour donner une opérationnalité vérifiable à ces missions.

Prenons un exemple :

L’apprentissage est une formation en alternance et le CFA doit mettre en œuvre une pédagogie de l’alternance. La norme Qualiopi vérifie que les processus qui permettent la gestion de cette alternance existent (livret de liaison, visites d’entreprises, articulation des enseignements et des activités, etc.). Ne peut-on aller plus loin si l’on veut garantir la qualité d’une pédagogie spécifique ? Et considérer que si tous les apprentis n’ont pas bénéficié au moins d’une visite d’entreprise, alors il ne s’agit pas d’apprentissage ? Ou que si les activités exercées en entreprise ne sont pas suivies et validées par le CFA, il n’a pas pratiqué de pédagogie de l’apprentissage ?

De même, être un CFA inclusif n’est pas garanti par le fait d’avoir un référent handicap et un réseau potentiel d’acteurs à disposition : a-t-on effectivement intégré des personnes en situation de handicap ? Avec quels résultats ? A-t-on mixé les publics dans certaines filières ? A-t-on élargi les critères de recrutement avec des dispositifs d’accompagnement adapté pour favoriser l’accès à l’apprentissage ?

Si la qualité se constate, elle doit se constater dans les résultats et pas seulement dans les processus. Si le résultat est là, est-il si important, d’ailleurs, d’aller vérifier le processus ? La performance infère bien souvent la compétence. 

Condition 3 : Ne pas tout demander à la règle

La culture jacobine et bureaucratique de nos formes de gouvernance conduit inévitablement à l’inflation des règles et à la perpétuation du fantasme que de la loi, du décret et de la circulaire, ou plutôt de sa version modernisée qu’est le « questions/réponses », naîtront les pratiques.

C’est oublier que la règle procède plus souvent d’une évolution des pratiques que l’inverse, et que la verticalité du texte est la moindre des garanties de son application. 

Dans un domaine comme l’éducation plus encore que dans d’autres, il serait pertinent d’avoir un encadrement règlementaire structurant mais limité, et de s’intéresser aux pratiques, notamment innovantes, en créant des lieux et outils de diffusion de ces bonnes pratiques. Lorsqu’un investissement éducatif est massivement financé par l’effort collectif, il n’est pas illogique que l’innovation soit partagée et remise à disposition de tous.

  • Quel lieu, aujourd’hui, est chargé de la diffusion des bonnes pratiques ?
  • Les millions d’euros et les heures passées par les CFA à obtenir la certification Qualiopi ne seraient-ils pas mieux employés s’ils alimentaient une base de bonnes pratiques et d’outils partagés permettant de garantir la qualité de l’apprentissage et constituant le répertoire des pratiques de qualité ? 

Condition 4 : Accepter de faire des choix pour rester opérationnel

Les entreprises qui pratiquent le management par objectifs en ont fait l’expérience de longue date : plus la batterie d’objectifs s’élargit et moins ils sont efficaces. Choisir, c’est renoncer. Et renoncer est la condition de l’efficacité.

Si l’on veut vraiment piloter la qualité, il ne peut y avoir 32 indicateurs de qualité. Il faut pouvoir distinguer entre cinq et dix indicateurs clés maximum, qui permettront de caractériser ce qu’est un apprentissage de qualité. Au-delà, le message se dilue, les injonctions paradoxales ne manquent pas de surgir, et plus personne n’est capable de dire ce qu’est la qualité. Pour revenir sur les restaurants trois étoiles, l’attribution est décidée à partir de cinq critères principaux et de quelques critères complémentaires.

La culture bureaucratique est également celle de l’exhaustivité : souhaitant tout contrôler, elle finit inévitablement par indifférencier le principal et l’accessoire, l’important et le négligeable. Si la définition de la qualité de l’apprentissage doit être partagée, elle ne doit se décliner qu’en quelques critères opérationnels qui seront faciles à assimiler par les jeunes, les familles, les CFA ou les entreprises, et permettront à chacun de choisir avec discernement.

Condition 5 : Récompenser  les vertueux

Lorsqu’on élabore une règlementation en ayant principalement à l’esprit d’éviter les fraudes, on pénalise en général l’intégralité des bons élèves et on rend seulement un peu plus complexe la fraude, sans jamais l’éviter totalement.

Il serait bon d’inverser le raisonnement : lorsqu’on fait le choix d’un dispositif massif, il faut l’accompagner d’une dynamique qui tire le système vers le haut et comprend des incitations à la performance. Il faut donc accepter de mettre en place un dispositif incitant à la qualité et la récompensant.

Plusieurs propositions ont été formulées par différents réseaux ou branches professionnelles dans le cadre de la révision du système de fixation des NPEC. L’idée d’un financement « socle » ou « de base » systématique et d’un financement complémentaire basé sur différents critères a été formulée. Dans ces critères, la question peut se poser de récompenser la qualité constatée par la mise en œuvre de bonnes pratiques et/ou par les résultats obtenus. Certes, il faut être prudent dans la prise en compte de résultats bruts et éviter les effets de bord (par exemple : renforcer la sélection à l’entrée pour avoir des résultats de réussite élevés ou encore considérer un taux d’abandon brut, sans tenir compte du taux de turnover inhérent au secteur dans lequel on travaille, etc.). Il n’est pas d’évidence en ce domaine. Mais au moins le chantier pourrait-il être ouvert, dès lors que la qualité est définie et ses quelques indicateurs arrêtés.

Quels que soient les moyens retenus, le principal se situe dans la méthode : ne pas fabriquer les règles en pensant aux fraudeurs, mais les imaginer en se demandant comment elles permettront de récompenser les vertueux. 

Conclusion

On peut poursuivre pendant encore des années les faux débats : la place du privé et du public dans l’apprentissage, la légitimité du supérieur à former par apprentissage, les inévitables manquements de quelques entreprises ou CFA comme dérives de la libéralisation, etc. On peut être certain que pas grand-chose de positif ne sortira de ces débats et ne profitera aux jeunes et à la situation économique et sociale du pays.

Notre conviction est que tant que ces débats empêcheront de travailler sur les cinq conditions listées ici, il n’y aura pas de progrès d’ensemble de la qualité de l’apprentissage.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40

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