Formation, QVT, renouveau du dialogue social : les recommandations de la Commission de l’IA

News Tank RH - Paris - Actualité n°318311 - Publié le 14/03/2024 à 16:20
©  D.R.
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« Le renouveau du dialogue social devrait constituer la pierre angulaire du recours à l’IA Intelligence artificielle . À l’échelle nationale comme à l’échelle de l’entreprise, il est nécessaire de construire les usages de l’IA selon une démarche partenariale », indiquent les experts de la Commission de l’intelligence artificielle dans un rapport remis au Président de la République Emmanuel Macron le 13/03/2024.

Ce rapport comprend 25 recommandations à l’attention du Gouvernement qui représentent un engagement annuel d’environ 5 Md€ au cours des cinq prochaines années. L’objectif est de « faire de la France un acteur majeur de la révolution technologique de l’intelligence artificielle ».

Le déploiement de l’IA doit viser un objectif d’humanisme, selon la Commission de l’IA. Pour y parvenir, elle a identifié trois piliers principaux : la formation, le dialogue social et le service public.

Le rapport préconise :

• d’investir 200 M€ dans la formation professionnelle continue des travailleurs et dans les dispositifs de formation autour de l’IA,
• de faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA ;
• d’attirer et retenir des talents de stature internationale avec des compétences scientifiques ou entrepreneuriales et managériales dans le domaine de l’IA,
• de généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées.


Un effet positif de l’IA sur l’emploi

Le rapport émet un effet positif de l’IA sur l’emploi dans les entreprises qui adoptent l’IA, car celle-ci remplace des tâches, et non des emplois. « Dans 19 emplois sur 20, il existe des tâches que l’IA ne peut pas accomplir. Les emplois directement remplaçables par l’IA ne représenteraient donc que 5 % des emplois d’un pays comme la France. »

Les experts de la Commission de l’IA indiquent aussi que la diffusion de l’IA créera des emplois, dans de nouveaux métiers, mais aussi dans d’anciens métiers.

« Au total, certains secteurs ou certains domaines pourraient connaître des baisses nettes d’emplois, qui doivent être accompagnées par les pouvoirs publics. Mais cela n’implique pas que l’IA aura un effet négatif sur l’emploi national en France. »

Comme il faut aussi s’attendre à ce que certains métiers disparaissent ou voient leurs effectifs nettement réduits, le rapport précise que « la complexité des situations et des métiers ne permet pas de fournir une réponse uniforme et globale aux défis de l’IA ».

« Des études plus précises sont nécessaires pour aborder la variété des secteurs, des chaînes de valeur et prendre en considération les statuts. Au-delà, il est essentiel d’organiser l’accès et le développement de la formation initiale et tout au long de la vie. »

Faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction des usages et de régulation des risques d’IA

Selon les experts de la Commission, le dialogue social est indispensable pour

  • encourager l’usage de l’IA,
  • discuter des finalités et du sens des transformations technologiques,
  • développer la capacité d’apprentissage des organisations,
  • concevoir des plans de formation adaptés.

« La participation de l’ensemble des parties prenantes est une condition incontournable du déploiement des nouvelles technologies dans une perspective d’émancipation, d’autonomisation et d’amélioration des conditions de travail, notamment par la réduction de tâches ingrates », indique le rapport.

Le rapport indique que les représentants des salariés sont peu associés aux choix technologiques et organisationnels sur les lieux de travail comme au plan national. Cela tient, selon les experts, à ce que l’intelligence artificielle et le numérique en général sont présentés comme des sujets techniques avant tout, que les travailleurs et les employeurs ont du mal à appréhender.

Ils constatent une mésinformation des acteurs sociaux sur les enjeux et les outils, ainsi qu’un travail en silos des DSI et des DRH. Le rapport préconise deux actions afin de permettre au dialogue social d’intégrer les enjeux de l’IA  :

  • la formation des représentants des salariés actifs dans les instances où sera discuté le déploiement de l’IA ;
  • insérer le dialogue social technologique dans un processus itératif qui caractérise les projets d’IA.

L’IA elle-même pourrait être mise au service du dialogue social avec la création et le déploiement d’outils spécialisés. Des outils à base d’IA générative Generative AI en anglais : branche de l’IA qui vise à créer des modèles capables de générer du contenu original (texte, image, vidéo, musique…). peuvent être développés avec les partenaires sociaux pour aider les salariés à mieux comprendre des débats techniques. Les experts de la commission IA imaginent ces outils : par exemple sous la forme d’une instance simple de dialogue, ils pourraient intégrer une part commune à toutes les entreprises (Code du Travail, etc ) et une part spécifique

  • à l’organisation dans laquelle est placé chaque travailleur (convention collective, règlement intérieur de l’organisation, etc )
  • et à ses représentants syndicaux.

« L’outil pourrait contribuer à accroître la connaissance des droits et la compréhension des transformations en cours ou encore à améliorer la préparation des réunions (conseils d’administration, comité social d’entreprise, élections des représentants…). Lors des négociations sociales, l’IA peut aussi contribuer à analyser et exploiter d’immenses quantités des données et ainsi appuyer la négociation. »

Pour aller plus loin, le rapport aborde la possibilité d’un ANI sur l’IA : « Que ce soit au travers d’associations, de syndicats ou de tout autre collectif organisé, des accords relatifs aux traitements des données et à l’utilisation de systèmes d’IA pourraient permettre d’accroître l’effectivité de la garantie des droits de chacun ».

QVT et IA : des conséquences positives

L’IA peut augmenter la qualité de vie au travail, y compris pour des travailleurs de la classe moyenne. « Certains utilisateurs de l’IA se déclarent effectivement plus épanouis et plus performants, car ils peuvent se débarrasser de tâches routinières et améliorer la qualité de leur travail. »

Le rapport abordent aussi les risques : surveillance, discrimination, intensification du stress, etc.

« Les conséquences de l’IA sur la qualité de vie au travail dépendront de nos choix collectifs et de la qualité du dialogue social à son égard. Un mauvais usage des systèmes d’IA peut également introduire une surcharge mentale qui peut mener à un épuisement cognitif si le temps libéré par la machine se traduit pour le travailleur par du stress et par une hausse excessive de tâches complexes. Ces risques appellent une réflexion sur la redistribution des gains permis par l’IA, pouvant notamment permettre une réduction du temps de travail et un meilleur équilibre vie privée et vie professionnelle. »

Les experts de la Commission de l’IA font référence à des initiatives positives récemment lancées :

  • l’engagement de développement de l’emploi et des compétences à l’échelle régionale dans les Hauts-de-France (Cité de l’IA), et à l’échelle nationale (« Perspectives IA »),
  • l’élaboration de guides d’accompagnement, d’outils d’auto-diagnostic.

« Empêcher tout management algorithmique abusif »

Le rapport préconise d’investir dans l’observation, les études et la recherche sur les impacts des systèmes d’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi. « Le cadre juridique qui définit un socle incontournable de droits (droit du travail, droit de la protection des données personnelles, etc), apparaît pour le moment suffisant pour assurer un déploiement de l’IA respectueux des travailleurs ». Elle rappelle la condamnation par la Cnil de l’entreprise Amazon à une amende de 32 M€ pour « surveillance des salariés ». Le rapport préconise le même encadrement afin d’empêcher tout management algorithmique abusif, qui provoque les risques suivants : 

  • perte d’autonomie au travail,
  • subordination déshumanisante à la machine,
  • surveillance excessive des travailleurs,
  • isolement des travailleurs,
  • perte du sens du collectif.

La commission de l’IA recommande :

  • Un dialogue social spécifique dans les entreprises et les administrations sur le développement rapide des systèmes d’IA, notamment générative, dans les organisations du travail ainsi que le recours non encadré du « management algorithmique » ; 
  • Une modernisation et un renfort des services d’inspection du travail.

« La formation des agents l’inspection du travail, ainsi que celle des agents qui veillent à la prévention des risques en matière de santé et sécurité au travail, doit être organisée. »

Objectif formation pour les entreprises

La formation professionnelle continue sera un outil indispensable pour faire face à la transition profonde des métiers avec l’intelligence artificielle selon les experts, qui n’oublient pas les demandeurs d’emplois. L’évaluation du coût est de 200 M€.

« Les entreprises ont a priori intérêt à former leurs salariés aux nouvelles compétences. Si elles ne le font pas, ou pas encore, c’est aussi que le flou règne encore sur les enjeux de compétences et de formation professionnelle continue pour les métiers transformés par l’introduction de l’IA. »

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