Mobilité des apprentis : « Une volonté commune d’aller plus loin » (Nelly Fesseau / Jean Arthuis)

News Tank RH - Paris - Interview n°308467 - Publié le
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Jean Arthuis et Nelly Fesseau - ©  D.R.

« La France est un des pays moteurs en matière de mobilité des apprentis. Lors de ces journées à Bordeaux, nous accueillions les directeurs des agences allemande, danoise, et serbe, ainsi que des professionnels de l’apprentissage de 27 pays européens comme la Pologne ou l’Autriche qui ont de très bonnes pratiques à partager pour développer la mobilité des apprentis. Nous observons une réelle implication globale de la part des agences et une volonté commune d’aller plus loin. »

C’est ce qu’indique Nelly Fesseau, directrice de l’Agence Erasmus+, au sujet des « Rencontres européennes Erasmus+ pour la mobilité des apprentis », qui se tenaient à Bordeaux du 13 au 15/11/2023.

« À l’échelle nationale, nous faisons avancer les choses grâce à une synergie des acteurs de l’apprentissage qui a notamment permis d’obtenir le renforcement du rôle de référent mobilité avec la loi de 2018. L’Agence Erasmus+ et EuroApp Mobility travaillent conjointement depuis plusieurs années pour former les référents mobilité des organismes de formation », poursuit-elle.

« Notre souhait serait que la Commission européenne prenne l’initiative d’États généraux de la mobilité des apprentis au printemps, et place ainsi ces enjeux dans la prochaine campagne des élections européennes », complète Jean Arthuis Président @ Euro App Mobility
, président de l’association EuroApp Mobility.

Dans cet entretien, ce dernier revient également sur la mise en place de son projet de formation de référents mobilité au sein des CFA, grâce à l’appui des fonds obtenus dans le cadre de l’AMI CMA.


« Une parfaite convergence des points de vue, mais aussi de l’ambition qui nous anime » (J. Arthuis)

La ministre déléguée à l’enseignement et formation professionnels, a ouvert la Rencontre européenne Erasmus+ pour la mobilité des apprentis, organisée du 13 au 15/11/2023. Qu’en retenez-vous ?

Jean Arthuis  : Le discours prononcé par Carole Grandjean DGRH @ Groupe Etam
a été très positif et a confirmé la perspective d’un examen de la proposition de loi Maillard (visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l’apprentissage ») par le Sénat avant la fin de l’année 2023. Nous ne pouvons pas préjuger du vote de la haute assemblée, mais s’il est conforme, cela peut permettre une promulgation du texte début 2024.

[Depuis l’interview, le Sénat a inscrit à l’ordre du jour du 19/12 l’examen de cette PPL.]

Nelly Fesseau : La ministre déléguée est très impliquée sur le sujet ; après l’ouverture des rencontres, elle a tenu à passer du temps avec l’un de nos ambassadeurs Erasmus+ Antoine Castro Mendes pour comprendre la manière dont se passe une mobilité lorsqu’on est apprenti, les freins, les doutes à lever avant de partir, la préparation, etc. Elle s’est aussi déplacée au lycée professionnel Marcel Dassault de Mérignac accompagnée de la Rectrice Nouvelle-Aquitaine et a pu échanger directement avec des apprentis.

Jean Arthuis : Il y a une parfaite convergence des points de vue, mais aussi de l’ambition qui nous anime. Le discours d’Emmanuel Macron de 2017 en Sorbonne avait mis la barre haut, puisqu’il y avait annoncé que 50 % d’une classe d’âge devait passer au moins six mois dans un autre pays, afin de développer des compétences linguistiques mais aussi des soft skills.

Peut-on dire qu’il y a un alignement des planètes ?

Jean Arthuis  : En effet. Tous les freins ne sont pas encore levés, mais là où il y a des volontés, on trouve des solutions. Il y a un environnement politique qui nous parait favorable, y compris au niveau européen, puisque la Commission européenne vient d’adresser une recommandation aux États membres, avec notamment son annexe 2 intitulée « a policy framework for apprentice mobility » qui répond pleinement à nos souhaits.

Un environnement politique qui nous parait favorable »

Cette recommandation est concrète ; elle fixe des pourcentages de stagiaires et d’apprentis en mobilité dans l’enseignement et la formation professionnels, mais aussi dans le cadre du supérieur. C’est une grande avancée de mieux considérer la mobilité des alternants, que ce soit aux niveaux 3 et 4, jusqu’au master 2.

Notre souhait serait que la Commission européenne prenne l’initiative d’États généraux de la mobilité des apprentis au printemps, et place ainsi ces enjeux dans la prochaine campagne des élections européennes. On ne peut pas réindustrialiser l’Europe sans former aux compétences nécessaires, et l’ouverture internationale est un accélérateur.  Cela pourrait être la première pierre de la mise en convergence des politiques sociales en Europe. 

Parmi les pays membres de l’Union européenne, comment se positionne la France ? Est-elle moteur ?

Nelly Fesseau  : La France est un des pays moteurs en matière de mobilité des apprentis. Lors de ces journées à Bordeaux, nous accueillions les directeurs des agences allemande, danoise, et serbe, ainsi que des professionnels de l’apprentissage de 27 pays européens comme la Pologne ou l’Autriche qui ont de très bonnes pratiques à partager pour développer la mobilité des apprentis. Nous observons une réelle implication globale de la part des agences et une volonté commune d’aller plus loin.

Une synergie des acteurs de l’apprentissage à l’échelle nationale »

À l’échelle nationale, nous faisons avancer les choses grâce à une synergie des acteurs de l’apprentissage qui a notamment permis d’obtenir le renforcement du rôle de référent mobilité avec la loi de 2018. L’Agence Erasmus+ et EuroApp Mobility travaillent conjointement depuis plusieurs années pour former les référents mobilité des organismes de formation.

Nos agents accompagnent quotidiennement les organismes de formation par apprentissage qui souhaitent ouvrir leurs parcours de formation à l’international.

Jean Arthuis : La France est sortie du rôle peu engageant qu’elle avait jusqu’à maintenant, depuis le processus de Copenhague de 2002 qui se focalisait sur la reconnaissance des acquis de la mobilité. Pour les niveaux 3 et 4 notamment, la reconnaissance académique était loin d’être suffisante et cela n’avait pas fonctionné.

La loi de 2018 relative à la formation professionnelle et à l’apprentissage a heureusement levé un certain nombre de ces blocages et a permis de laisser plus de place au pragmatisme. Les autorités académiques, au niveau des rectorats, ont désormais une approche plus ouverte, et cela va permettre à la France de figurer parmi les acteurs constructifs.

Quels peuvent être les objectifs en matière d’effectifs ?

Jean Arthuis : La jauge fixée pour 2025 était de 8 % d’alternants en mobilité, elle est désormais de 15 % pour 2030, ce qui veut dire que l’ambition est là. Ensuite, je ne sais pas si on atteindra ces 8 % d’ici deux ans. Il y a des mobilités courtes, et des mobilités longues ; le vrai challenge ce sont les immersions de plusieurs mois et c’est à cela que nous devons travailler. C’est notamment ce qui était au cœur de ces rencontres.

Selon vous, la marge de progression se situe-t-elle sur les niveaux 3 et 4 principalement ?

Jean Arthuis  : Absolument. Depuis la mise en place du consortium Mona, nous avons eu 1 100 départs dans d’autres pays, essentiellement à des niveaux Bac+1 et très peu de niveaux 3 et 4. Les jeunes engagés dans ces diplômes doivent pouvoir bénéficier de mobilités longues, tout en maintenant les mobilités courtes. Souvent, ils partent en cohorte pendant au moins deux semaines, et cela permet de faire naître des désirs de mobilité plus longs. Il y a un message à faire passer au niveau des parents, des entreprises et des CFA.

Par ailleurs, nous accueillons pour le moment très peu de jeunes issus d’autres pays européens. Le problème avec les Opco, c’est qu’ils ne participent au financement que lorsqu’il y a des contrats effectifs.

EuroApp Mobility est lauréat de l’AMI CMA, permettant la mise en place de 43 référents mobilité dans les CFA. Où en est le déploiement ?

Jean Arthuis : En effet, les 43 référents mobilité (ETP) de notre consortium Mona ont été recrutés et formés, grâce au financement obtenu dans le cadre de l’AMI CMA (à hauteur de 70 % du projet). En complément, le ministère du travail, au travers des Dreets, lance des appels à projets pour des référents mobilité financés par le FSE+, et qui peuvent bénéficier à d’autres CFA.

Cette démarche s’est accompagnée de groupes de travail et de livrables afin de prototyper ce modèle. Mais cela ne peut pas suffire : si on veut que des apprentis viennent en France, il faut notamment développement l’enseignement en anglais dans les CFA.

Il faut aussi développer des outils digitaux - sur ce volet, nous sommes accompagnés par Diagoriente, concepteur du portail 1jeune1solution. Nous souhaitons trouver des partenaires européens, c’est-à-dire des structures équivalentes à EuroAppMobility en France, qui pourraient participer à notre plateforme de matching d’offres d’apprentissage et de demandes. Cela va nous demander de prendre en compte les spécificités de chaque pays pour calibrer au mieux cette plateforme : en Allemagne par exemple, ce ne sont pas les CFA qui pilotent l’offre, mais les entreprises.

Nelly Fesseau : L’Agence Erasmus+ France va produire un premier plan de formation sur, et au programme Erasmus+ pour septembre 2024 qui recensera toutes les actions de formation existantes. Car au-delà de l’agence, il y a des formations organisées par des associations, des tiers, et partenaires proches de l’agence que nous allons recenser, de manière à ce que ce soit mis en valeur et partagé.

L’autre point qui doit être travaillé, ce sont les questions d’hébergement, de restauration, la manière dont les jeunes sont pris en charge lors d’une mobilité. Nous envisageons d’évoquer le sujet avec European Student Network qui travaille à l’accueil des étudiants en mobilité.

« Le programme Erasmus+ est sur une dynamique très positive »

Carole Grandjean est revenue sur la signature en juillet d’une convention d’apprentissage transfrontalier entre la France et l’Allemagne, et a annoncé d’autres conventions à venir (Suisse, Belgique, Luxembourg). Cela pourra-t-il aussi participer à la dynamique ?

Jean Arthuis : Le transfrontalier est très important, mais il s’agit souvent de jeunes dans des CFA strasbourgeois accueillis dans des entreprises allemandes. Cela ne posait pas de problèmes avant la réforme, mais désormais, financer des opérations pour les entreprises allemandes a-t-il du sens ? Car la réciprocité n’est pas là.

Dans nos échanges et nos actions en faveur de la mobilité, il faut que l’on intègre ces paramètres et que l’on confie la régulation de l’apprentissage aux entreprises ; ce qui n’est pas un petit chantier ! Souvent, les chefs d’entreprises craignent que les jeunes partis en mobilité ne reviennent pas. Mais il faut comprendre que s’ils ne partent pas pendant leur formation, ils ne le feront pas après !

Cet aspect de contrôle et de régulation, quel peut être le rôle de l’agence Erasmus+ France ?

Nelly Fesseau : Le programme Erasmus+ est sur une dynamique très positive, puisque les fonds alloués à l’Agence sont passés de 1,1 Md€ sur la période 2014-2020 à 2,2 Md€ sur la période 2021-2027, et nous attendons une progression tout aussi importante à partir de 2028. Mais dans tout succès, il faut faire attention à bien tenir les choses, et donc faire en sorte que les questions autour de l’organisation des mobilités soient bordées pour éviter tout dérapage.

L’Agence a à cœur de maintenir un haut niveau de qualité des mobilités »

Le succès de ce programme tient tout autant à la pertinence des opportunités proposées qu’à la qualité des mobilités organisées. L’Agence a à cœur de maintenir un haut niveau de qualité des mobilités. C’est pourquoi son activité d’accompagnement et de monitoring suit la montée en charge du programme, afin que la quantité ne se fasse pas au détriment de la qualité.

Aussi, un département est dédié à l’évaluation des mobilités et leur mise en œuvre : le département du contrôle et de l’évaluation des projets. Cette évaluation passe à la fois par l’analyse de l’ensemble des projets financés, ainsi qu’une politique d’audits et contrôles sur site afin de comprendre au mieux la réalité du terrain.

Ce travail est très important, car nous rendons des comptes à la fois à la Commission européenne, mais aussi aux autorités nationales, à la Cour des comptes et aux organismes d’audit indépendants.

« Les rencontres européennes Erasmus+ sont une occasion unique de souligner les vertus d’une expérience de mobilité pour nos jeunes et apprentis. Pour les jeunes, c’est la promesse d’élargir leurs horizons, et de s’enrichir au contact d’une nouvelle culture dans un environnement différent pour renforcer leur employabilité et leur agilité », selon Carole Grandjean.

« Au fur et à mesure que nous nous approchons de l’objectif du million d’apprentis fixé par le président de la République, les flux de mobilité grandissent en proportion.  J’ai tenu à placer l’accession aux mobilités en Europe au cœur de ma feuille de route.

Je suis aussi particulièrement engagée dans la construction de l’Espace européen de l’apprentissage. Cet Espace se traduit par l’encouragement des mobilités mais aussi par la structuration de l’apprentissage transfrontalier entre la France et chacun de nos voisins. C’est pourquoi, nous avons permis concrètement de lever certains freins à la mobilité des apprentis et au développement de l’apprentissage transfrontalier. 

Pour faire progresser les mobilités, nous favorisons les mobilités longues (de plus de 4 semaines) par une loi qui facilite les démarches administratives, prévoit une protection sociale renforcée et soutient mieux les frais liés à la mobilité par les opérateurs de compétences. 

La mobilité doit être pour tous : quel que soit le niveau de diplôme, le domaine de formation, l’âge du jeune et son lieu de vie ! »

Jean Arthuis

Parcours

Euro App Mobility
Président
Parlement européen
Député (ADLE)
Parlement européen
Président de la commission des budgets
Conseil départemental de la Mayenne (CG 53)
Président
Sénat
Sénateur de Mayenne
Conseil départemental de la Mayenne (CG 53)
Conseiller général
Sénat
Président de la commission des finances
Ville de Chateau-Gonthier (Mayenne)
Maire
Ministère de l’Économie et des finances
Ministre de l’Économie et des finances
Ministère de l’Économie, des finances et de la privatisation
Secrétaire d’État chargé de la Consommation et de la concurrence
Ministère des Affaires sociales et de l’emploi
Secrétaire d’État du ministre des Affaires sociales et de l’emploi (Philippe Séguin)

Fiche n° 24567, créée le 31/07/2017 à 10:58 - MàJ le 02/12/2021 à 11:46

Nelly Fesseau

Parcours

MENJ/MESRI
Experte en charge de l’encadrement supérieur
Institut national du service public (INSP)
Directrice adjointe, chargée de la formation permanente
Ecole nationale supérieure des arts décoratifs
Directrice adjointe
Ministère de la Culture
Chef de la mission du contrôle de gestion ministériel
Musée du Louvre
Directrice adjointe en charge des finances et du jurdique
Centre national du cinéma et de l’image animée
Directrice
Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette (EPPGHV)
Chargée de mission auprès de la présidence

Établissement & diplôme

Institut national du service public (INSP)
Cycle interministériel de management de l’Etat
Institut national des études territoriales (INET)
Diplôme de master management et gestion publique
Sciences Po Bordeaux (IEP Bordeaux)
Diplômée

Fiche n° 50442, créée le 05/12/2023 à 12:57 - MàJ le 22/03/2024 à 15:16

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Jean Arthuis et Nelly Fesseau - ©  D.R.